Je me suis arrêté longtemps, l'autre jour, au Jardin des Plantes, devant un maki, de Madagascar, tout vêtu de velours noir brodé de blanc. Le bel animal ! Et s'il était parmi nos ancêtres, par hasard, que nous serions dégénérés, avec notre peau au jaune rosâtre, maigrement couverte de poils rudes ! Il est vraiment heureux que nous ayons inventé l'art du vêtement car nous ferions tout nus triste figure parmi la nature aux formes et aux couleurs harmonieuses. Certes, la femelle de l'homme est généralement, dans sa jeunesse du moins, plus présentable que le mâle, mais outre que cela est bien fugitif, il ne faut pas douter que cette beauté ne soit en grande partie la créature de notre désir, tandis que la beauté de certains animaux frappe directement notre sens esthétique. Les Grecs, qui avaient ce sens beaucoup plus développé que nous ne l'aurons jamais, avaient travaillé la forme humaine pour lui donner un rang honorable parmi les formes animales et ils avaient commencé par la râcler de son vilain poil, par la frotter d'huile, par la rendre d'une couleur luisante et homogène. C'est ainsi qu'il faut se représenter les athlètes grecs. Je doute que les hommes nus de nos collèges d'athlètes donnent un spectacle très satisfaisant. Nous n'avons emprunté aux Grecs que leurs exercices musculaires : cela ne suffit pas au point de vue esthétique : un homme en caleçon et qui saute n'est pas nécessairement un bel animal. Le Maki me séduit davantage, bien qu'en sa qualité de lémurien il marche à quatre pattes. La supériorité de l'animal sera toujours qu'il n'a qu'à se présenter pour être beau. Il n'a besoin pour cela de nul effort, de nul travail. Pauvre homme, quel mal il se donne pour n'être pas digne de beaucoup d'admiration ! (Dissociations, 1925)