LES ARBRES

Le charme des arbres

Le charme, c'est-à-dire l'incantation. Celui qui est né parmi les arbres cédera toujours à l'appel de leur renouvellement. Tous les ans, à cette époque, il faut que j'aille voir des arbres de près, des arbres qui ne poussent pas dans la maçonnerie, des arbres à l'état naturel, des arbres en liberté, ou qui en donnent l'illusion. Et il faut que je sois seul et que je les regarde en paix, jusqu'à ce qu'ils m'aient parlé. Ils me parlent. Ce qu'ils disent n'est pas très clair, mais la poésie la plus obscure est aussi celle qui me plaît : j'aime aussi que les mots dépassent la pensée et suggèrent à l'esprit toutes les significations. Si la destinée ne m'emprisonnait pas dans les maisons, j'irais tous les jours écouter les oracles des hauts feuillages. J'en rapporterais beaucoup de sérénité, mais quand je les ai écoutés, une fois seulement, j'en ai pour nourrir longtemps mes méditations. "Une femme et des livres", disait je ne sais qui. Une femme n'a pas la patience d'écouter le langage des arbres, et des livres, quand ils parlent, sont bien superflus. Non, des arbres, rien que des arbres, et tout ce qui croît autour des arbres et à leur ombre, quand cela ne serait que de l'herbe. Je les aime groupés et déjà vieux, avec cet air d'éternité qui les grandit encore et cet air de sagesse qui donne à leurs obscurs discours je ne sais quoi d'absolu. Je veux aussi qu'ils soient entourés d'une abondante vie animale, mais s'il passe des êtres humains, qu'ils se taisent : leurs paroles dissiperaient le charme des arbres. C'est parce qu'ils sont nourris de ce charme et de leurs paroles, plus légères que le vent léger, que les animaux de la forêt sont silencieux ; leurs cris, d'ailleurs, ne sont que des bruits de la nature. Jamais on ne sent comme parmi les arbres à quel point la parole humaine est un discord dans ce concert de frôlements, d'appels, de murmures et de silences. (Le Chat de misère)

La forêt

Un des endroits les plus singuliers et aussi les plus beaux que je connaisse est la petite station de chemin de fer nommée La Londe, aux environs de Rouen. Outre la gare, elle se compose d'une maison unique, une auberge, et où qu'on regarde, on n'aperçoit aucune autre trace de vie humaine ou animale. Tout autour, très loin, ce sont des arbres, l'océan des arbres. Ce lieu semble la solitude même. Si des hommes habitent aux environs, ils sont bien dissimulés. Leur présence ne se traduit que par des routes solitaires qui coupent la forêt. Ces routes mènent quelque part, servent à quelque chose, mais je ne m'en suis jamais aperçu que par le raisonnement. Les trains circulent avec sérénité parmi ces futaies. Un peu plus loin, sur une ligne convergente, il y a une station plus modeste encore, également égarée sous les hêtres, et dont le nom pittoresque m'a souvent intrigué. Elle s'appelle Le Hêtre-à-1'Image et ne s'entoure non plus que de rameaux presque impénétrables, sinon aux sylvains. Ainsi devraient s'appeler les habitants de ce bois, s'il y en a : jamais nom aurait été mieux mérité. Je me souviens d'avoir rencontré non loin de là, à l'auberge de Canteleu, de l'autre côté de la Seine, au-dessus de Croisset, une petite fille qui me parla longtemps de la forêt, et avec quel amour ! Par un instinct merveilleux, elle s'y reconnaissait d'après l'odeur des. diverses essences qui la peuplent, et jamais on ne lui aurait fait prendre, les. yeux fermés, un canton de hêtres, pour un canton de chênes. Sylvaine véritable, elle était née pourtant dans les plaines du Nord, et pleurait à l'idée de quitter, un jour prochain, le pays des arbres. L'océan forestier et l'océan marin inspirent la même tendresse à leurs hôtes ; aussi bien, c'est pareille féerie.

LA CIGUË

Les joies primitives

Que me veux-tu, ombre des Joies primitives, et pourquoi reviens-tu m'obséder tous les ans, à la même heure, à la dernière ?

Parfums des résédas épars et des tilleuls, charme des ancolies en deuil, franges des végélias ! Fraîcheur des ruisseaux clairs sous les aunes jaloux, menthes où s'est tapie l'angélique grenouille aux yeux doux !...

— Tout cela, dit l'Ombre, c'est pour te rappeler aussi l'odeur des ciguës, des suprêmes ciguës coupées dans la verdeur matinale, c'est pour te rappeler la ciguë et son odeur exceptionnelle, et criminelle (Proses moroses).

A moi-même.

G. d'Espagnat.

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LES COQUELICOTS

Les coquelicots

Depuis Paris jusqu'à la mer, au fond de la Normandie, le fleuve rouge des coquelicots vous accompagne. Il déborde çà et là et s'étend comme un lac sur les champs de blé. On se demande si les cultivateurs ne vont pas récolter autant de gerbes de coquelicots que de gerbes de blé. Au moins ce sera très mêlé. En certains champs, c'est même le rouge qui domine et l'emporte sur l'or. C'est à croire que la fleurette a été semée intentionnellement avec le grain. Non, car je ne pense pas que le charmant mélange de la couleur des blés mûrissants et du coquelicot ait beaucoup de charme pour les paysans. Ils ne voient pas les choses comme nous, qui passons, et je crains que, pour eux, la fleur qui amuse notre œil ne soit que de la mauvaise herbe. Hélas ! dans la nature, presque tout ce qui est joli, éclatant ou doux, n'est que de la mauvaise herbe,

et si rien n'est plus utile, rien n'est plus monotone et plus terne qu'un champ de betteraves. Nous n'avons guère de ces cultures du Midi ou de l'Orient aux belles couleurs et même dans le Midi les champs orgueilleux de garance ont disparu. Autrefois, la Normandie ne se fleurissait pas seulement des pavots, mais du lin bleu de ciel et du sarrasin tout blanc, cher aux abeilles. Le lin a presque disparu. C'est dommage pour l’œil, car c'était une fête que ces champs d'azur, et le sarrasin devient plus rare. Il reste en été le coquelicot, et au printemps le bleuet, plus timide et assez vite étouffé par la végétation des céréales. Aussi je souhaite que la petite graine noire, qui ressemble à des grains de poudre, continue de se mêler follement au blé et à prospérer. Au fond cela ne lui fait pas grand mal et c'est une parure. (La Petite Ville)

LES FEUILLES

En art, la géométrie intervient pour arrêter et symétriser les exubérances de la vie.

C'est la feuille, plutôt que la fleur trop violente (la fleur n'est qu'une feuille folle d'amour), qui enrichira de stylisations nouvelles le nouvel art décoratif. La feuille apparaît souvent toute stylisée par la géométrie de la nature. Etant plate (sauf le type houx), on n'a pas besoin de la déformer par projection pour l'appliquer sur un plan. Il n'y a pas deux feuilles rigoureusement pareilles, mais les différences sont en deçà d'une forme fixe, toujours reconnaissable au premier coup d'œil. Sans doute le feuillage du hêtre et celui du charme sont identiques pour des yeux même habiles, et on ne distingue pas sans un peu d'expérience les feuilles de l'érable, du sycomore et du platane : elles diffèrent cependant par les dentelures, par les angles plus ou moins ouverts de leurs pointes. Que de beaux feuillages nous avons, et comment les a-t-on négligés si longtemps pour l'acanthe qui vaut à peine la feuille de l'artichaut aux profondes découpures ! Il n'en est pas de laid d'abord ; même la douce feuille du tilleul, un peu ronde, mais relevée par une petite pointe, même la feuille du peuplier lisse et froide, même les feuilles de l'aulne, de l'orme, du hêtre, du bouleau ont une forme. Mais d'autres sont admirables : le chêne, le frêne, le gui, le noyer, l'érable, la vigne, le lierre. Et il faut aller jusqu'à l'herbe, aux graminées, aux trèfles, aux phaséoles, et admirer le style délicieux de la bette, de la molène, du pain-à-coucou, de l'éclaire, du pas-de-lion, de la renoncule, de la houlque, de la flouve, des plus humbles, du pissenlit, du persil et du plantain ! C'est dans les bois, les prairies et les potagers qu'il faut tenir les écoles d'art décoratif (Sur l'Art nouveau de l'an 1912).

LES FOUGERES

Les Fougères

- O Forêt, toi qui vis passer bien des amants
Le long de tes sentiers, sous tes profonds feuillages,
Confidente des jeux, des cris et des serments,
Témoin à qui les âmes avouaient leurs orages.

O Forêt, souviens-toi de ceux qui sont venus
Un jour d'été fouler tes mousses et tes herbes,
Car ils ont trouvé là des baisers ingénus
Couleur de feuilles, couleur d'écorces, couleur de rêves.

O Forêt, tu fus bonne, en laissant le désir
Fleurir, ardente fleur, au sein de ta verdure.
L'ombre devint plus fraîche : un frisson de plaisir
Enchanta les deux cœurs et toute la nature.

O Forêt, souviens-toi de ceux qui sont venus
Un jour d'été fouler tes herbes solitaires
Et contempler, distraits, tes arbres ingénus
Et le pâle océan de tes vertes fougères.

"Le vieux coffret", Divertissements.

L'HOMME-PLANTE

Je me suis gonflé et j'ai répandu mes germes comme la fougère au bord de la route répand ses spores. Chaque fois que j'étreignais la fougère femelle, je me croyais sur le chemin de l'infini. La supériorité de la fougère dédaigneuse, c'est qu'elle émet ses spores sans tant de façons et qu'ensuite elle se dessèche ou se livre à la faux.("Insinuations", Mercure de France, 1er juillet 1914)

... la fougère qu'il aimait tant et que certains poètes de la gauloiserie, disait-il, ont déshonorée. Rien n'est plus beau que la fougère de la Manche et de l'Orne, en effet. C'est la plante des solitudes de Lessay, de Mortain et de la Basoche-en-Houlme. Elle forme une mer houleuse de verdure, mais à la houle immobile. Avec elle pousse l'airelle-myrtille qui noircit les lèvres et que les enfants rapportent enfilées d'une avoine. Sur elle dansent les elfes au tintement de leurs grelots et sans faire ployer sa tête, par les belles nuits de lune qui glacent d'argent son feuillage. Elle semble tenir de la plante et de la bête, et elle connaît les maléfices des sorcières, ayant reçu la semence du Diable. Ce sont les raisons que je trouve au bout de la plume qui la faisaient aimer de Gourmont (Fernand fleuret).

LES LILAS

Lilas - Les lilas sont fleuris au Jardin des Plantes. J'en eus la surprise hier par un temps à ondées, des plus agréables. Il y a comme partout du lilas ordinaire et du lilas de Perse qui est un peu foncé, mais le Jardin des Plantes possède aussi le lilas de Chine (syringa sinensis) que je n'ai vu que là, et que d'ailleurs je n'ai remarqué qu'hier. Sa couleur se rapproche davantage du rose, peut-être du rose de Chine. Elle est d'une douceur infinie, mais d'un ton avec quelque chose de plus frais et tout à fait caressant. Je suis resté longtemps devant l'arbuste si joli et j’étais bien tenté par les tendres grappes qui semblaient un assemblage de petites vies. Mais je n’ai point touché aux fleurs et peut-être que, si on me l'eût permis, je n'y eusse point touché davantage. Pourquoi toucher aux fleurs ? Elles sont si délicates sur leurs tiges ou leurs branches, elles sont si bien à leur place, si en harmonie avec tout. Mais la tentation des mains est plus forte, presque toujours, que le plaisir des yeux. On prend, on saccage, on fane, on jette, car les fleurs cueillies, comme les femmes cueillies, ne vivent qu'un moment, ¾ mais elles ne vivent peut-être que ce moment-là. (424e épilogue)

LES LYS

Les Grands Lys Pâles

Songez au sourire pâle des grands lys dans la nuit.
Ils ont des faces tristes et de beaux airs penchés ;
Leur regard s'allonge en lueur douce et poursuit
Ceux qui marchent dans le jardin le front penché.

Songez que les grands lys écoutent les paroles
Qui sortent des abîmes où sommeillent les cœurs.
Ils tendent comme des oreilles leurs corolles
Et ils n'oublient jamais le murmure des cœurs.

Ils écoutent si bien qu'ils entendent le silence ;
Ils entendent le bruit du sang dans les artères,
Ils entendent les épaules frissonner en silence.
Ils entendent ce qu'on fait et qu'on voudrait taire.

Les lys aux faces tristes entendent les dentelles
Que le vent et la vie gonflent sur les corsages,
Ils entendent les cheveux doux comme des dentelles
Qu'un souffle agite et tourmente en signe d'orage.

Les lys aux faces tristes regardent dans la nuit ;
Ils voient lorsque les mains se rapprochent tremblantes
D'avoir osé s'unir un instant dans la nuit,
Et leur sourire a des ironies complaisantes,

Car ils savent ce qu'ignorent les hommes et les femmes
Et ils pourraient prédire aux âmes leurs destins
Et enseigner aux hommes à lire le cœur des femmes :
Songez aux grands lys pâles indulgents et divins.

"Paysages spirituels", Divertissements.

LES ROSES

La rose qui parle

Je crois que c'était Mérimée qui, en ses vieux jours, disait qu'il ne se baisserait pas pour ramasser un diamant, n'ayant personne à qui l'offrir. Au milieu des roses, et pour le même motif, je n'ai pas eu l'idée d'en cueillir une seule. Je les regarde et j'en respire l'odeur répandue dans l'air. Une éclate, rouge, après la pluie. On dirait que c'est toujours la même. Elle est là à mon réveil, et là encore quand le soir tombe. Je ne serais pas étonné qu'elle me parlât, comme dans les contes de fées, mais que me dirait-elle ? J'aime mieux qu'elle se taise. Si, à force de la regarder, je lui avais communiqué ma mélancolie ? Tais-toi, j'ai peur de ton ironie et, quelles que soient tes paroles, elles contiendraient un glas, dont j'ai peur. Parfois, j'ai envie de te cueillir et de semer tes pétales dans le vent. Quand je ne te verrais plus, je penserais moins aux vieilles joies que tu symbolises. Mais à quoi bon te couper la tête, si ta tête doit repousser éternellement et toujours se moquer de moi ? Car, je le sais, l'hiver même ne peut rien contre toi et tu reparaîtras avec le soleil. Alors, demeure et fleuris en paix pour les mains qui cueillent de la joie en cueillant des fleurs. Ce que tu ne me donnes plus, donne-le à d'autres, à ceux qui viendront, à ceux qui sont venus, à ceux qui savent faire parler les roses, rien qu'en les regardant avec des yeux nouveaux, étonnés de désirer le miracle de leurs paroles. Entre nous deux, rose de pourpre, ce qui convient, c'est le silence. (La Petite Ville, suivie de Paysages, « achevé d'imprimer pour la Société Littéraire de France par Durand à Chartres, le 19 août 1916 cinquantième jour de la bataille de la Somme »)

La rose soufre

La jeune femme disait, tenant à la main une belle rose soufre, un peu penchante : « Voyez, elle est lourde de parfum. » Et la fleur, toute fraîche, semblait accablée, comme une tête lasse d'une pensée trop pesante. C'était peut-être vrai. Les fleurs les plus odorantes sont aussi celles dont les pétales sont le plus charnus, dont la corolle est la plus tassée, dont l'étoffe a le velouté et le duveté des chairs riches et précieuses. Mais le parfum, qui est matière, est si peu matériel ! Le contraire est sans doute vrai aussi et la surface des fleurs les plus légères et les plus transparentes peut laisser monter les plus magnifiques émanations. Où s'élabore l'odeur, dans quel mystérieux laboratoire se triture le parfum des roses, des violettes et celui des lys ? Les pollens sont odorants, mais la rose ne produit pas de pollen, toutes ses étamines se transformant en pétales. Peut-être que la fleur s'est toute changée en désir. Oui, c'est cela, le parfum des roses, c'est leur amour, nous respirons leur désir odorant. Ce monde des fleurs est presque tout entier une création de l'homme. La nature n'en a fourni que les éléments. La rose sauvage, l'églantine n'est que charmante. La rose seule est belle. Il y a autant de civilisation condensée dans la merveilleuse rose soufre, dans la rose thé, si délicate, dans la pénétrante rose rouge, autant de génie que dans la tête de l'homme qui pense, que dans le visage de la femme qui sourit. Ce sont les trois choses qui éclairent le monde et qui empêchent la vie de se corrompre, les trois choses qu'il faut admirer et qu'il faut aimer. Mais qui oserait délibérément insulter la pensée, frapper le sourire, souiller la rose ? Voilà ce que j'ai vu et senti dans la beauté et dans le parfum d'une rose soufre, avec beaucoup d'autres choses dont je me souviendrai toujours, parce qu'elles me touchaient pour la première fois. La nuit tombait. Parfum, pensée, sourire : je respirais.

Une rose dans les ténèbres.

(Petits Crayons)

LES PEUPLIERS

Il était attiré sur les quais par cette bibliothèque champêtre qu'y ont organisé les bouquinistes et aussi par les peupliers qui bordent les rives de la Seine. " Ce sont, disait-il, les plus beaux arbres de Paris. "

Ils faisaient ce jour-là une grande ombre bleue sur la berge, et Gourmont disait : –– Ne devraient-ils pas être sacrés ? Ils représentent dans notre ville de pierres un peu de beauté libre et tout l'effort d'une sève puissante. Eh bien ! les services municipaux les guettent. On ne les vendraLes peupliers - Claude Monet pas cher, car le bois de peuplier n'est pas bon à grand'chose. Mais on se donnera la joie sauvage de ravager toute une région de Paris méthodiquement. On l'enlaidira selon les dernières données de la technique. Enfin on aura la joie d'expulser des bords de la Seine la littérature en plein vent que l'on tolérait jusqu'ici comme une concession nécessaire au goût perverti de malheureux enclins à préférer la compagnie des livres à la compagnie des hommes. " L'émotion, la colère, accentuaient encore son bégaiement. Son lorgnon quittait ses yeux, ses mains écartaient le foulard blanc qui entourait son cou.
Ce plaidoyer fut entendu, sinon des édiles, du moins des dieux qui veillent sur Paris. Les peupliers ont été épargnés; et de Notre-Darne au pont de Solférino les bouquinistes continuent à garnir de leurs étalages les parapets de granit. Ce sont les acheteurs qui se font rares, car, parmi les nouvelles générations.le goût des vieux livres se perd, et il n'y aura bientôt plus pour les aimer que leurs marchands qui, ne les vendant plus, les lisent en se chauffant au clair soleil du printemps, devant la perspective du Louvre. (Lucien Corpechot, Souvenirs d’un journaliste, Librairie Plon, 1936)

LE SCEAU-DE-SALOMON

(lettre à Mme Andrée Béarn de Riquer)

4 juin 1911.

Chère Béarnaise,

Il y avait longtemps que je n’avais vu le sceau de Salomon, mais celui qu’on trouve dans les bois de Normandie est beaucoup moins beau que le vôtre. Il est arrivé et il est resté frais quelques jours, mais les feuilles vertes ont jauni assez vite. Vous êtes bien aimable de m’offrir encore d’autres fleurs, mais je n’ai ni balcon, ni jardin. J’ai bien de la peine à assurer la vie d’une belle plante verte et je viens de perdre un petit arbre japonais qui m’amusait beaucoup. Rien ne pousse et ne prospère chez moi que les livres, triste négation dont les fruits sont la poussière. Je n’aime que les fleurs, les herbes et les arbres, et je n’en vois guère que dans les rues.

C’est pourquoi je suis à plaindre et me recommande à votre souvenir.

Remy de Gourmont

LES VIOLETTES

372

[1er mai 1910]

Violettes. - Ce ne sont pas celles qu'on achète à Paris et qui coûtent deux sous. Elles sont charmantes, mais manquent d'imprévu. Et puis, elles ont fait de trop gros tas aux halles. Les violettes qu'il me faut, je veux les cueillir une à une dans un petit jardin mal tenu ou dans les haies, dans les herbes desséchées de l'an passé. Il y en a qui sont violettes, d'autres qui sont roses, d'autres qui sont blanches. Découvrir un nid de violettes blanches au pied d'un vieux mur ! Je n'aime pas les violettes que l'on achète, j'aime celles que l'on cherche et que l'on trouve et qui semblent naître à mesure qu'on les désire, comme des sourires. (Epilogues)

"La touffe de violettes" (Petits crayons).

"Violet" (Couleurs)