Il Convito (1895) |
|
Merci à Fabrizio Pinna de nous avoir indiqué que ce texte de Remy de Gourmont figure dans la rubrique « Journaux et Revues » du Mercure de France, Tome XIV, n° 64, avril 1895, pp. 123-124 et de nous l'avoir communiqué. Il figurera aussi dans la bibliographie de CIRCE (Catalogo Informatico Riviste Culturali Europee). [p. 123] Le Convito, c'est une nouvelle revue de grand luxe et de belle littérature que, sous la direction de M. d'Annunzio, publie à Rome l'éditeur Adolfo de Bosis ; elle paraîtra durant une seule année, en 12 fascicules de 80 pages gr. in-4°, sur merveilleux vergé à la cuve timbré au sceau du Convito, et ornée de riches planches d'art. M. d'Annunzio y publie un nouveau roman, Les Vierges aux rochers, avec ce motto de Léonard de Vinci : « Je ferai une fiction qui signifiera des choses grandes ». Autre pensée de Léonard épinglée au premier chapitre : « On ne peut avoir de plus grande seigneurie que celle de soi-même ». Voici, pour donner une idée de l'esprit du Convito, l'analyse de la préface, Prœmio : Quelques artistes, unis par un commun culte sincère et fervent pour toutes les plus nobles formes de l’art, se proposent de publier leurs œuvres en un recueil imprimé avec cette élégante simplicité qui est la parure et la décence des belles images et des claires pensées. Ils ne se dissimulent pas les difficultés qu'ils vont rencontrer, en un temps où semble aboli le culte de choses intellectuelles, et même ils les affrontent, car ils n'entendent pas se confiner dans les offices secrets ou les occultes messes mystiques : c'est en plein soleil qu'ils cultiveront, voulant en boire et faire boire le vin, la vieille vigne italique. L'Italie pourtant semble revenue aux plus obscurs temps des lourdes invasions, quand les Barbares abattaient tous les simulacres de la Beauté et détruisaient tous les vestiges de la Pensée. La différence est que la barbarie d'aujourd'hui est plus vile que celle que grandissait au moins la force de ses aveugles violences. Notre barbarie n'est pas un ouragan d'éclairs et d'incendies, c'est une lente avalanche de marécageuses putridités : et pour comble de honte ce ruisseau de boue a pour source Rome, cette troisième Rome qui devait se lever comme une gloire d'amour et qui croupit cloaculaire. Après avoir exposé les causes de cette abjection, le Convito ajoute : Il y a encore des hommes qui vivent et qui ne désespèrent pas, confiants dans la force ascendante de l'idéalité des pères, dans le pouvoir indestructible de la Beauté, dans la souveraine dignité de l'esprit, dans la nécessité des hiérarchies intellectuelles, et enfin dans l'efficacité de la parole. Ils veulent en cette Rome si triste, où jadis, par les rues papales, on portait [p. 124] en procession les beaux marbres païens avec la même joie que le corps d'un protomartyr, ils veulent qu'on y revoie et qu'on y acclame le triomphe de Venus Victrix ; et, vainqueurs ou vaincus, ils auront laissé trace de leur lutte. Le Convito sera le char de triomphe ou le mausolée de ceux qui auront courageusement défendu contre les Barbares les pénates intellectuelles de l'esprit latin. R. DE GOURMONT. Note de Fabrizio Pinna : le premier numéro de Il Convito porte la date du janvier, mais en réalité fut publié vers le milieu du mois de février (1895) : voir, en particulier, la lettre de d’Annunzio à son éditeur et ami Emilio Treves, 13 février 1895, in Gabriele D’Annunzio, Lettere ai Treves, a cura di Gianni Oliva, Milano, Garzanti, 1999, p. 152. |