Le troisième centenaire de Saint-Évremond |
A Edmond Pilon. Il ne m'est pas possible d'oublier que l'œuvre de Saint-Evremond forma le principal objet du dernier entretien qu'il me fut donné d'avoir, peu de temps avant la guerre, avec Remy de Gourmont. Il prenait un plaisir particulier à parler de cet écrivain : l'homme lui en convenait tout autant que les idées ; il en avait ordonné avec amour la plus récente édition (1). Il s'était plu au goût que je nourrissais moi-même, depuis l'adolescence, pour ce délicieux écrivain trop volontiers dédaigné : des desseins que je caressais pour en fêter le troisième centenaire, il se montra curieux. Remy de Gourmont marquait pour Saint-Evremond une affection particulière à laquelle n'était peut-être pas étranger le fait d'être nés l'un et l'autre presque au même endroit de la terre. Les mêmes spectacles de la riche campagne normande avaient nourri leur enfance et pénétré d'une sève semblable leurs natures robustes et tout à la fois délicates. Une fois de plus durant cet entretien, je songeai aux affinités intellectuelles de ces deux esprits qui donnent, à deux siècles d'intervalle, le témoignage d'un même goût de vivre et d'une pareille liberté. Je ne soupçonnais point alors que le troisième centenaire de Saint-Evremond devrait, passer presque inaperçu au milieu des ténèbres éclatantes de la guerre, et qu'il me faudrait honorer deux mémoires, tout ensemble. Si humble qu'il soit auprès de ce que je souhaitais qu'il pût être, je ne puis me décharger du soin de cet hommage, pour ce que Remy de Gourmont m'y engagea et que c'est encore une dévotion à sa mémoire que d'honorer un écrivain d'autrefois qu'il aimait et dont il prolongeait parmi nous les plus essentielles vertus. On a longtemps ignoré la date de naissance de Charles de Saint-Evremond. Ses biographes ne s'entendent point là-dessus. Des Maizeaux, qui nous a donné la meilleure vie que nous ayons de cet écrivain, le fait naître le Ier avril 1613 ; Silvestre dit qu'on n'a jamais su son âge. M. de Saint-Evremond lui-même semble s'être employé à dérouter toute recherche ; il indiqua pour sa naissance des époques fort dissemblables, sans qu'on puisse exactement découvrir s'il le fit par coquetterie ou par une pure ignorance. Si la mauvaise écriture du document ne permet pas d'affirmer quel en fut précisément le jour, du moins n'avons-nous plus de doute sur le mois et sur l'année même ; les registres de Saint-Denis-le-Gast (Manche) portent l'acte de baptême, au mois de janvier 1616, de Charles de Saint-Evremond, fils du noble homme Charles de Saint-Denis, seigneur et châtelain dudit lieu. Il convient de célébrer cet anniversaire. En d'autres temps, le seul mérite littéraire eût suffi à le commander; peut-être, aujourd'hui n'est-il pas inutile de représenter que Saint-Evremond, tout homme de plume qu'il demeure, fut, auparavant, homme d'épée, et qu'il n'abandonna point l'armée ni les combats même après qu'une blessure fut venue mettre ses jours fort en danger : les seules circonstances de la politique le contraignirent de quitter un état qui lui convenait tout entier. Il n'est donc point inconvenant de rappeler en ce moment le souvenir d'un homme qui fut exquisément de France et qui sut trouver de la gloire, et de la plus juste, dans les lettres, après avoir accru, dans les guerres, l'honneur d'un nom qu'en toutes circonstances il sut porter avec une inimitable grâce [...]. (1) Saint-Evremond, notice de Remy de Gourmont. (Collection des plus belles pages, Mercure de France, éd. 1909.) Pour plus de commodité, c'est à cette édition que se rapporteront nos notes. |