Le Gazetier littéraire

Le Gazetier littéraire. Historiettes, Anecdotes & Indiscrétions de l'An 1923, Georges Crès, Paris, 1924

Un mystérieux recueil d'anecdotes littéraires fait depuis quelques jours, beaucoup parler de lui. Constatons d'abord combien semble revenue la mode des ana. Après les Histoires juives de Raymond Geiger, après le T. S. V. P. Curnonsky et Bienstock, le Gazetier littéraire. Ce Gazetier qui réunit un grand nombre d'historiettes de l'année 1923 est, son nom l'indique assez, plus spécialement consacré aux lettres : il est extrêmement amusant, spirituel et bien renseigné. Et l'on en féliciterait volontiers les auteurs si...

... Si ceux-ci n'avaient cru bon de garder un strict anonymat. Les communiqués de librairie qui accompagnèrent la préparation, puis la publication du livre se contentèrent en effet de nous assurer que ces gazetiers étaient au nombre de quatre, que l'un d'eux était de l'Académie française, un autre de l'Académie Goncourt ; quant aux deux derniers, nul ne nous en dit jamais rien.

Qui connaît la curiosité des gens de lettres pense bien que ce mystère n'a pas été sans piquer au jeu plus d'un des lecteurs du Gazetier. D'autant plus que, répétons-le, certaines histoires ici relatées, fort indiscrètes, gêneront beaucoup tel ou tel personnage illustre (notre président du Conseil lui-même n'est pas épargné).

Plusieurs noms ont été, un peu partout, prononcés ; d'aucuns affirmèrent — qui faisaient les renseignés — que l'académicien français et l'académicien Goncourt dont parlent nos communiqués pourraient bien avoir collaboré autrefois avec succès et que leurs noms commenceraient également par un D... D'autres assurent que le très mordant oncle de Françoise et certain administrateur d'une grande manufacture nationale de tapisseries (non, ce n'est pas Gustave Gefîroy qu'on nommait) auraient leur part de responsabilité dans les indiscrétions du Gazetier. D'autres enfin... Mais à quoi bon ramasser tous les potins qui circulèrent : les uns et les autres firent fausse route jusqu'au jour — le 1er avril — où l'Eclair publia la petite note qui suit :

Nous parierions volontiers que l'Académie française est surtout représentée dans cette piquante gazette par le plus malicieux et le plus averti des journalistes académiques, le chroniqueur, il y a peu de mois, de si brillants reportages... en marge de la Coupole.

Quant à l'Académie Goncourt, si elle a délégué à la rédaction du Gazetier quelqu'un des siens, ce ne peut être que son historiographe officiel (qui est également l'historiographe du bassin de Radoub), le très érudit et très fin... ami personnel de M. Henry Céard.

Resteraient à dévoiler l'incognito des deux « complices de Ch... du Ch... et de L... De... ! Mais d'abord les auteurs du Gazetier sont-ils bien quatre ou plus de quatre ? ou moins de quatre ?

Nous voici enfin sur la bonne voie. N'hésitons point à compléter ces premières indications dont nous avons pu vérifier l'exactitude, mais qui sont encore trop sommaires. Parmi les quatre gazetiers, figurent en effet, l'excellent ex-reporter des Marges et le parfait échotier littéraire du Mercure de France et de l'Œuvre.

Puisque d'autre part, nous voici au Mercure, n'attendons pas meilleure occasion pour dénoncer un troisième coupable : quand nous aurons dit qu'il s'agit d'un des plus anciens collaborateurs de la revue à couverture mauve, connu pour son amour des bêtes et pour sa haine des bas-bleus,. de ce Paul L... qui signe aussi Maurice B... et dont un journal hebdomadaire publiait récemment un pastiche très réussi, qui enfin eut l'an dernier des démêlés avec une femme de lettres dont les jeudis sont célèbres, démêlés contés en détail dans le Gazetier, nous aurons été, croyons-nous, aussi explicites que possible.

Le quatrième, pour ne pas être tout à fait aussi connu que Maurice B..., et même que Paul L..., n'en est pas moins un des esprits les plus curieux, les plus originaux, les plus solides de la jeune génération. Il publia avant la guerre un Cabinet de portraits qui devrait avoir sa place dans toute bibliothèque d' « honnête homme », et il donna, au lendemain de la paix, un petit volume sur les Finances d'un dictateur que l'on ne saurait trop, aujourd'hui encore, recommander à nos politiciens. A noter que M. Ernest T... n'est point cité une seule fois dans le Gazetier.

Reste un cinquième complice : le mordant et érudit critique de l'œuvre, André B..., dont on reconnaît la patte à plus d'une page du Gazetier.

Almanach des lettres françaises et étrangères, sous la direction de Léon Treich, Editions Georges Crès & Cie, janvier-février-mars 1924, p. 361