LE MONUMENT LE PLUS LAID DE PARIS
[...] ne loge-t-on à sa place l'admirable Maréchal Ney, dont le sabre lyrique en mon enfance, coupait adroitement les boules de neige que je lui jetais ? Et à la place du Maréchal Ney ? La statue de Jean Moréas.
Je suis de votre avis.
Mais il faut s'habituer, à trouver des ordures dans le plus beau sentier, malgré les écriteaux.
Puis, où trouver la Commission de salubrité publique ?
L'Administration des Beaux-Arts ?
C'est elle qui contribue à faire ses petits besoins dans le beau sentier.
Le gros public, celui-là qui possède une éducation et une instruction sommaire va toujours, il faut bien le constater, vers la vulgarité, la médiocrité, la complication il est bien difficile de le retirer de son erreur et de son indifférence.
Les vrais artistes ? ils œuvrent, ils sont minorité, et trouvent rarement le temps de se défendre.
Malgré tout c'est par eux que l'Epoque sera sauvée de la Honte.
Quant à l'Etranger, critique clairvoyant, il sait choisir.
Pour moi il me reste la faculté de ne pas voir dans le crépuscule d'un beau ciel l'esthétique de manège Belge (sans la probité du sculpteur forain) qui décore un Pont Alexandre III et un Grand Palais ou la hideur de telle statue qui dépasse de beaucoup la stupidité du monument des Aéronautes du Siège cité autrefois comme le modèle du genre.
Et je me consolerai tant qu'on ne touchera pas au cœur de l'Isle-de-France, au cœur du monde, à cet ensemble : Le pont-neuf, le palais de justice, les coupoles et Notre-Dame, la ligne du Louvre dont on peut jouir par tous les éclairages.
Le plus hideux monument ? Il y en a deux qui m'horripilent. L'ignoble Jules Simon qui me rappelle un imbécile, chaque fois que je passe dans ce coin charmant de la Madeleine, pour aller contempler un Cézanne, un Manguin ou un Renoir dans la vitrine des Bernheim. Et l'adipeux Gambetta qui pète à pleine bouche dans l'air le plus français de Paris, en plein Louvre, hélas !... Décidément, c'est celui-ci que je hais le plus. Il m'offusque, au seuil de cette voie triomphale qui, partant du palais de nos rois va, en passant par l'Arc de Triomphe, jusqu'au Versailles de Racine, d'où s'envolent les aigles de David. En cette compagnie glorieuse ce tas de pierres parlementaire est vraiment indécent.
En tout cas, la Grande Roue, d'abord, et le plus vite possible.
J'hésite entre le ballon incroyable de la Défense Nationale (l'autre), et l'automobile folle de la Porte-Maillot.
J'opte pour le monument de la place Saint-Ferdinand à Serpollet. Je crois.
Quel est le monument le plus laid de Paris ? C'est peut-être le Grand-Palais, gros carré qui me bouche l'horizon quand je me promène sur les quais de la Seine. La statue la plus laide ? Le Gambetta de la place du Carrousel.
Je renonce à énumérer les tristes « œuvres d'art » qu'il faudrait camoufler pour les soustraire à la vue des étrangers... On pourrait peut-être faire grimper du lierre le long de ces monuments, les étouffer sous de la reposante verdure.
Vous me demandez quelle est, selon moi, la statue la plus laide de Paris et quelles sont les œuvres d'art qu'il importe le plus vivement de soustraire aux regards ? On n'a que l'embarras du choix : le Jules Simon en sucre de la place de la Madeleine, le [...]
pp. 86-87.
[document communiqué par Franck Liebard]
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