La Rédaction : G.-Albert Aurier , 193
G.-Albert Aurier : Le Pendu, 194
Ernest Raynaud : A propos du « Premier Livre Pastoral », 197
Louis Denise : Psaume VII, 205
Rachilde : La Dent , 206
Albert Samain : Soir. Promenade à l'Etang. Sonnet, 212
Pierre Quillard : Anatole France , 214
Stuart Merrill : Merveilles : I. Extases. — II. Apocalypse , 221
Gabriel Randon : Sarcey génial, conte invraisemblable , 224
A.-Ferdinand Herold : Le Livre des Reines : Luciane. Jézabel. Aude. Bradamante. Paryse. Médée. Lucrèce , 233
Alfred Vallette : Choses fugaces : Après l'Interview, 236
Jean Lorrain (d'après Tennyson) : Enilde. Viviane. Elaine. Genèvre , 238
Marcel Schwob : « Le Latin Mystique », 240
Dom Junipérien : Lettres de mon Ermitage , 248
Louis Dumur : Petits aphorismes : Sur les Belles-Lettres , 254
Ernest Hello : Le Secret de M. Renan (avec une lettre de Léon Bloy), 260
R. G. : Comme tout le monde [recueilli dans Promenades littéraires, 7e série], 267
L'Imagier : Le Livret de l'Imagier , 268
Mercure : Les Livres, 268

Le Latin Mystique, les Poètes de l'Antiphonaire et la Symbolique au Moyen-Age, par REMY  DE GOURMONT, avec une Préface de J.-K. Huysmans et une Miniature de Filiger (Edition du Mercure de France, et se vend chez Léon Vanier). - V. page 240.

Journaux et Revues, 275

Choses d'Art, 282

Echos divers et Communications, 282


COMME TOUT LE MONDE

A quelqu'un venu lui soumettre, anxieux, un cas de conscience, M. Renan répondit : « Faites comme tout le monde. » La noblesse inattendue d'une telle parole nous impressionna vivement, et pour « faire comme tout le monde » nous résolûmes, dès que nous parvint la « fatale nouvelle de sa mort », d'interviewer un des nombreux amis du célèbre Académicien. Notre choix fixé sur M. l'abbé S., ancien, condisciple du défunt et qui garda toujours avec lui d'excellentes relations, M. Hermès a bien voulu se dévouer à une tâche neuve pour lui et aller recueillir de la bouche même du sympathique ecclésiastique, l'appréciation suivante : « Monsieur Renan eut dans sa vie deux grandes passions, l'exégèse biblique et Paul de Kock. Ce goût sacerdotal, il le prit au séminaire de Saint-Sulpice, où M. l'abbé Le Hir enseignait l'aleph et le schin de la science judaïque ; ce goût papal, il le prit encore au séminaire, en un temps où les vertus de Grégoire XVI excitaient une grande émulation et où Paolo di Coco était la littérature de fraude des séminaristes malins.

« Je l'avoue, l'auteur de la Femme aux trois culottes eut sur M. Renan une excessive influence. Sans doute M. Renan acquit à cette fréquentation l'amour du style simple, de l'ironie douce, du sous-entendu mi-tendre, mi-polisson, mais à l'historien et au savant une telle intimité fut certainement peu profitable, car elle lui enseigna, assez fâcheusement, l'art des hypothèses romanesques, des déductions fantaisistes ou précipitées, lui inculqua enfin des habitudes d'esprit en désaccord avec ce que M. Le Hir attendait d'un si éminent disciple.

« Paul de Kock ! — A ce nom, que de souvenirs : un Pape, un Beau-Père de l'Eglise, toute une tradition ecclésiastique infiniment respectable ! Et pour ceux qui (comme votre humble interlocuteur) eurent la joie de se compter au nombre des fidèles amis de M. Renan, que de charmantes souvenances ! La grande veuve d'Israël, alors l'épouse respectée de l'illustre et vénérable Défroqué, était obligée à des ruses pour arracher aux mains de son mari la Pucelle de Belleville : Ernest, lui disait-elle, sois raisonnable, écris d'abord ce que t'a demandé M. Buloz, — et je te rendrai ton joujou. »

« Pauvre grand homme ! Le voilà, comme M. de Kock lui-même, au pays des Ombres ! Il a quitté les joies de sa vie, après en avoir compris le néant, après avoir senti l'universelle vanité de tout, de la gloire et des banquets, de l'amitié et de l'interview, de la bonté et de la philologie. Et voilà qu'au seuil de son éternité, quelque part dans les espaces, il a fait connaissance avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour lequel, d'ailleurs, il professait une grande estime. Cependant, je le crains, — l'entrevue a dû être orageuse. »

Sur ce mot de la fin, notre envoyé spécial (qui est fort intelligent) comprit que l'entretien était terminé, et il prit congé, avec un sourire entendu, du respectable abbé, — en lui promettant le secret le plus absolu.

R. G.


LE LIVRET DE L'IMAGIER

Des deux collaborateurs de ces notices, celui qui reste abandonne, au moins provisoirement, sa tâche. Albert Aurier avait rédigé la curieuse préface du Livret ; il devait donner très prochainement des pages sur le Tombeau de Philippe Pot, sur le Couronnement de la Vierge, de l'Angelico, sur le Tombeau de saint Léocade, qu'il avait découvert à Châteauroux

L'I


JOURNAUX ET REVUES

Sous ce titre : Les Dieux méchants, notre collaborateur Remy de Gourmont a publié au Journal (8 octobre) un article à propos de la mort de notre ami Aurier. Nous en extrayons les lignes suivantes :

"De tous les jeunes écrivains de sa génération et de sa foi littéraire, Albert Aurier était peut-être le mieux doué, celui qui avait l'avenir le plus sûr, celui qui marchait le plus vite vers la plénitude du talent et de la réputation. C'était un critique d'art incomparable, le seul qui, en ces temps derniers, ait trouvé du nouveau en un genre qui semblait stérilisé. On sait qu'en ce moment une école de peinture se développe et s'affirme, qui, rompant avec la plus récente tradition cherche à renouveler l'art par un retour à la simplicité de moyens et aussi par le vouloir d'exprimer, par la couleur ou par la ligne, non pas seulement la beauté ou la vérité des choses, mais aussi les idées et les symboles qui dorment dans les choses. Ce mouvement concorde avec le mouvement analogue que l'on a signalé dans la littérature et qui se peut exprimer d'un mot; l'antinaturalisme II ne s'agit plus de copier la vie telle quelle ou selon de vains arrangements mélodramatiques, ni de raconter, ni de transcrire, par n'importe quel procédé, des anecdotes, même monumentales, même suivies en plusieurs tomes ou en plusieurs rectangles de toile peinte ; il faut que l'œuvre s'élève jusqu'à la signification, qu'elle dise un peu d'éternel, qu'elle proclame un idéal humain de tous les temps et de tous les pays. Aurier était le théoricien de ces tendances nouvelles, et sa critique était sûre. En un mot, il faisait autorité, et, même avec une publicité insuffisante, il créa des réputations qui furent aussitôt ratifiées. Les artistes de la génération montante, les "Indépendants" et quelques autres groupes, font, en lui une perte qu'il n'est pas excessif de qualifier d'irréparable ; on pourra continuer la critique synthétique qu'il avait inaugurée, mais lui seul savait ce qu'il y fallait dire, et nul ne le remplacera."

A. V.

Parmi les trop nombreux articles que les journaux déversèrent sur le défunt Renan, trois ont été surtout remarqués, trois articles fort durs, celui de Paul Adam dans le Journal, celui de Léon Bloy dans le Gil Blas, celui d'Eugène Tavernier (écrivain peu connu, mais qu'on dirait de famille d'Hello dans l'Univers.

Du premier : "La Vie de Jésus emporta l'assentiment du monde, parce que ce livre permit aux gens de vilipender Dieu sans bassesse. Avant lui, l'irréligion appartenait au brutal. Après lui, elle s'acclimata dans les intelligences parées de finesse... Grâce à ses soins littéraires, Jésus offusqua moins de sa supériorité divine les députés et les chefs de bureau.... M. Renan a mis l'absolu au niveau des électeurs."

Appréciation de Tennyson, le poète anglais qui vient de mourir, par M. Stéphane Mallarmé (Echo de Paris) :

"Nous sommes souverainement injustes pour Tennyson ; l'homme que vient de perdre l'Angleterre était une grande figure littéraire. Si les comparaisons n'avaient toujours quelque chose d'absurde, puisqu'elles ne sont jamais tout a fait exactes, je vous dirais que Tennyson est un artiste du vers aussi délicat que François Coppée, aussi habile ouvrier que Leconte de Lisle. Du premier, il le charme dans la description des choses intimes et discrètes ; du second, il possède le lyrisme large, brillant et majestueux.

Les premières poésies de Tennyson affectaient une certaine grâce mièvre, une monotonie suave dont on se fatigua bientôt : il y avait trop de bleu, trop de sentimentalité vague et précieuse dans les vers du poète ; et c'est évidemment ce premier caractère de son talent qui a faussé l'opinion littéraire chez nous. Mais il suffit de lire les œuvres admirables qui suivent pour se convaincre que l'Angleterre avait en lui un brillant et original poète.

Tennyson était une nature ardente, éprise d'un art tout à la fois mélancolique et violent, calme et impétueux : tour à tour délicat et sensible, passionné et hautain, il avait des strophes hautes en couleur, ou d'une tristesse pénétrante. Sa lyre possédait des cordes où frémissait le lyrisme le plus échevelé, où murmuraient les plaintes des amoureuses idylles.

Les deux plus belles œuvres de ce poète sont, à mon avis, celles qui portent pour titre In memoriam et Maud ; c'est là qu'il a mis toute son âme, pleurant ici, avec une tendresse exquise, un beau jeune homme ami, fauché par la mort, chantant là le cycle merveilleux des chevaleries anciennes. J'ai dit tout à l'heure que Tennyson rappellait Coppée et Leconte de Lisle : il serait peut-être plus exact de le comparer, dans ses grands poèmes historiques, à Puvis de Chavannes : chez le poète comme chez le peintre, c'est la même simplicité majestueuse, le même coloris harmonieusement épars. Le poème de Maud égale en beauté sereine les fresques du Panthéon.

Pour vous donner une idée à peu près complète de la poésie de Tennyson, il me faudrait vous mettre sous les yeux des extraits de chacune de ses œuvres. La chose serait difficile, car j'aurais l'embarras du choix. Laissez-moi cependant vous lire cette page que j'ai autrefois traduite, et qui vous montrera un côté du génie de ce poète..."

Ici, M. Mallarmé cite Mariana, le poème de Tennyson qu'il traduisit et qui fut publié dans le Mercure de France en juin 1890 (n° 6) :

"... Tennyson était le poète de la cour d'Angleterre depuis plus de quarante ans ; il avait succédé à Wordsworth dans ces fonctions honorifiques auxquelles sont attachés d'assez maigres honoraires. A ce titre, il était tenu de célébrer les grands événements heureux ou malheureux du pays : mariage illustre, victoire éclatante et deuil cruel. Il est juste de dire que les plus belles inspirations du poète ne jaillirent pas de cette source officielle.

Pour vous prouver combien étaient prisées là-bas les œuvres de Tennyson, je ne vous citerai qu'un fait : un éditeur anglais, enthousiasmé par le génie du maître, lui acheta un poème au prix d'une guinée le vers — soit 26 fr. 25.

Quel sera le successeur de Tennyson à la cour d'Angleterre ? il serait difficile dès à présent de le dire. La reine Victoria ne voudra certainement pas de Swinburne, qu'elle trouve trop socialiste et voluptueux, et je ne serais pas surpris que le choix du gouvernement se portât sur William Morris ou Robert Buchanam.

Mais, quelque soit le poète appelé à succéder à l'illustre mort, l'Angleterre ne tardera pas à s'apercevoir qu'avec Tennyson quelque chose de grand et de glorieux s'en est allé."

M. Anatole France a donné dans le Temps une fort intéressante étude sur l'Elvire de Lamartine, en réalité Julie Charles, la femme du célèbre physicien. Si, comme il est probable, l'auteur réunit ces pages en un petit volume, nous aurons sans doute l'occasion d'en parler plus longuement. C'est un fort bon chapitre d'histoire littéraire.

La Revue des Deux-Mondes du 1er octobre contient un très curieux article de M. Alfred Binet sur l'Audition colorée. Voici en quoi consiste ce phénomène : à l'audition ou à la lecture (qui est une pseudo-audition), certains sujets éprouvent la sensation de couleur, sensation mentale, toute psychologique, hormis quelques exceptions maladives où cela devient faiblement hallucinatoire. Ainsi, au prononcé du mot Anémie, telle personne percevra du noir, du jaune, du blanc ; pour elle ce mot est bariolé en trois couleurs. Au reste, nulles règles en cette question ; toutes les auditions colorées sont nettement personnelles.

Statistique de M. Jules Millet :
A noir, E jaune, I blanc, O rouge, U vert.
Statistique de M. E. Claparède :
A noir, E bleu, I rouge, O jaune, U vert.
Notation de Rimbaud :
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu...
Notation de M. Ghil :
A noir, E blanc, I bleu, O rouge, U jaune.

L'A noir est, il est vrai, unanime en ces exemples ; M. Binet ne le fait pas remarquer, non parce que cela gêne sa théorie, mais parce que le nombre des couleurs étant limité, presque autant que celui des lettres, il faut bien qu'il y ait rencontre, le nombre des auditeurs-voyants étant, lui, illimité. D'ailleurs, en d'autres exemples, l'A est tantôt rouge, tantôt jaune, tantôt blanc, etc.

Il est donc puéril de vouloir tirer une théorie esthétique d'anomalies toutes personnelles ; c'est pourquoi M. Binet critique la tentative de P.-N. Roinard en son Cantique des Cantiques, et je lui donne raison, n'étant pas atteint de cette précieuse maladie. Et même la plupart des spectateurs, doués de l'audition colorée, devaient se trouver en contradiction avec lui et cruellement souffrir. — Cependant M. Binet a omis de commenter l'expression populaire et comprise de tous : une voix blanche. Il a encore oublié de noter que les aveugles cherchent à s'expliquer les couleurs par les sons, et que l'un d'eux, à qui on parlait de rouge éclatant, se mit à dire : Cela doit être quelque chose comme un son de clairon. A part ces deux lacunes — qui ne sont pas de peu d'importance en l'espèce — l'étude de M. Binet est intéressante et bien documentée.

R. G.


ECHOS DIVERS ET COMMUNICATIONS

G.-Albert Aurier

Si un souvenir, plus tard, peut mêler quelque douceur à l'inconsolable chagrin de ses proches, ce sera celui des affections et des sympathies que laisse notre ami Albert Aurier. De cela témoignent la foule d'écrivains et d'artistes qui vinrent à la gare d'Orléans, le jeudi 6 octobre, pour un suprême adieu, et le nombre des amis d'enfance et de collège qui, à Châteauroux, l'accompagnèrent jusqu'au caveau de famille où maintenant il repose.

A la gare d'Orléans, des couronnes ont été déposées par MM. Paul Vogler — l'ami avec qui Aurier fit à Marseille ce voyage au retour duquel il s'alita — Remy de Gourmont, Le Barc de Boutteville, puis par Un groupe d'amis, les Essais d'Art Libre, la rédaction du Mercure de France, etc.

Parmi les personnes présentes, nous avons reconnu MM. Edouard Dubus, Remy de Gourmont, Julien Leclercq, Jules Renard, Albert Samain, Pierre Quillard, Jean Court, Louis Denise, Charles Merki, Alfred Vallette, Mme Rachilde, P. N. Roinard, Gabriel Randon, Henry de Groux, Paul Vogler, Vogler père, Ibels, Le Barc de Boutteville, Georges Darien, Edmond Girard, Mme B. de Courrière, André Okenski, Henri Darien, Théodore Chèze, le comte Antoine de La Rochefoucauld, Fournon, Angrand, Roger Marx, Jules Huret, Marcel Collière, M. et Mme Léon Deschamps, Mlle Camée, Léon Maillard, Yvanhoé Rambosson, Léon Riotor, Jules Méry, Léon Dorez, Alfred Mortier, Charles-Henry et Paul-Armand Hirsch, Alejandro Sawa, Tardieu, Etienne Decrept, Ch. Garnier, Emile Devaulx, Louis Kolf, Thézard, Lucien Hubert, Mahut, Arthème Salmon, Moreau, Louis Hugues, Gaston Lesaulx, Forichon, Guillemain , Déguéret, Duchemin, M. et Mme Chernovis, M. et Mme Hautecœur, MMmes de Vaux, Jacques de Vaux, Andhré et Paul Bouché, Vacher, Gustave Moulinet, Richard, Georges et Maurice Pinault, Crespin, Gourin, Clapon, Tissier, Babou, J. des Gâchons, Lefebvre.

Nous avons reçu de nombreuses lettres attristées, dont plusieurs de personnes qui ne connaissaient notre ami que par ses publications. Celles que nous insérons ci-dessous émanent d'amitiés plus particulières :

"Mon cher Vallette,

Dans le train qui marche, le Gil Blas m'apprend l'horrible nouvelle de la mort de notre doux et cher Aurier. Je ne connais pas les siens , mais à vous, notre rédacteur en chef, je tiens à dire — car mon cœur a besoin de le dire à tous en le disant à vous — que je pleure amèrement l'ami perdu.

SAINT-POL-ROUX."

"Mon cher ami,

Je viens, par un faire-part, d'apprendre la mort de ce pauvre Aurier. 27 ans ! Et tant de talent, et tant d'avenir ! Est-ce possible ? Mais comment est-il mort ? De quoi ? Il paraissait si fort, si plein de santé !

Je ne connais personne de sa famille. Je ne connais guère que vous, de ses amis. C'est à vous, mon cher Gourmont, que je dis toute ma tristesse. Ici, dans ma solitude, je me fais un monde idéal de jeunes amis. Je leur parle souvent; ils sont avec moi un peu partout où je suis. Aurier était de ceux-là. Et quoique je ne l'aie entrevu qu'une fois, dans l'ombre d'un théâtre, il m'était devenu cher.

Il n'y a donc que des deuils dans la vie !

Je vous embrasse tendrement."

OCTAVE MIRBEAU" [...]