La Vogue
Le premier numéro de la Vogue parut le 11 avril 1886. C'était une revue hebdomadaire de 36 pages in-18, qui avait pour rédacteur en chef Léo d'Orfer. Bureaux : 41, rue des Écoles. Elle annonçait :
Stendhal inédit, de M. Charles Henry ;
L'Esthétique du verbe, de M. Gustave Kahn ;
Une étude sur les impressionnistes, de M. Félix Fénéon ;
Les Poètes maudits (2e série), de Paul Verlaine ;
Les Illuminations, d'Arthur Rimbaud ;
Des nouvelles de Jules Laforgue ;
Et divers ouvrages en prose et en vers de MM. Léon Cladel, Villiers de l'Isle-Adam, Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine, Gustave Kahn, Charles Morice, Charles Viguier, Jean Moréas, Paul Adam, Huysmans, Mathias Morhardt, René Ghil, Joseph Caraguel, Louis le Cardonnel, Jules Laforgue, Jean Lorrain, Edouard Dujardin.
La plupart des œuvres annoncées ont paru. Jules Renard y donna les nouvelles qui composent Crime de village. Jules Laforgue y inséra le Concile féerique. Jean Moréas et Paul Adam y publièrent le Thé chez Miranda où on lisait des truculences de ce genre :
« C'est l'hiémale nuit et ses buées et leurs doux comas.
Quartier Malesherbes. Boudoir oblong. En la profondeur violâtre du tapis, des cycloïdes bigarrures. En les froncis des tentures, l'inflexion des voix s'apitoie ; en les froncis des tentures lourdes, sombres, à plumetis...
Dehors, la blancheur pacifiante des neiges.
Au foyer, la flamme s'allonge, s'allonge et se recroqueville, s'aplatit et se renfle facétieuse.
Et des émanations défaillent par le boudoir oblong, des émanations comme d'une guimpe attiédie au contact du derme. ».....
[...] La Vogue était convertie aux idées d'évolution. Elle s'avouait persuadée que « le capitalisme doit évoluer, et que dans la limite où ces termes sont connexes, capitalisme, christianisme et judaïsme doivent évoluer ».
Au milieu de l'an 1884, Léo d'Orfer avait eu l'idée de demander à « bon nombre d'écrivains et de poètes » une définition de la poésie. Voici les réponses les plus curieuses qui lui furent adressées :
« La poésie est l'expression par le langage humain, ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l'existence ; elle doue ainsi d'authenticité notre séjour et constitue la seule tâche spirituelle. » STÉPHANE MALLARMÉ.
« ... Aujourd'hui, les poètes modernes me semblent faire de la poésie ce que le Binet de Madame Bovary faisait du bois : « une de ces ivoirines indescriptibles, composées de croissants, de sphères creusées, les unes dans les autres, le tout droit comme un obélisque » et ne servant à rien, heureusement. C'est du tournage de vocables vides, en chambre ; mais enfin la poésie est au-dessus de ces tourneurs et, par les temps utilitaires qui courent, il me semble qu'elle devrait être, à la suite de Baudelaire et de Verlaine, l'un des factices véhicules des esprits détenus, quelque chose de vague comme une musique qui permette de rêver sur des au-delà, loin de l'américaine prison où Paris nous fait vivre. » J.-K. HUYSMANS.
[...] Jean Moréas avait envoyé douze points d'interrogation. Laurent Tailhade plaisantait, ne retenant de l'état de poète lyrique que la facilité d'un beau mariage, et Joseph Caraguel ne voyait dans la poésie que « l'art de dire excentriquement des banalités ».
Pour aider à la définition de la poésie, la Vogue reproduisait l'Art poétique d'Horace, traduit en vers français par Jacques Peletier du Mans.
La Vogue de d'Orfer ne fournit pas une longue carrière. Le titre fut repris depuis à deux reprises pour des publications nouvelles, en 1889 par Gustave Kahn et en 1899 (avant de disparaître définitivement) par Tristan Klingsor (Ernest Raynaud, La Mêlée symboliste, Nizet, 1971, p. 57-62).
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