Les Epigrammes d'Ausone, trouvé à la librairie Les Mots et les Choses, mars 2002..

Notice

1° Edition originale :

Les Epigrammes d'Ausone, traduites du latin, accompagnées et suivies de quelques remarques et d'une bibliographie des œuvres d'Ausone, par Charles Verrier et précédées d'une notice par Remy de Gourmont, Collection Varia curiosa, Bibliothèque internationale d'édition, E. Sansot et Cie, 53, rue Saint-André-des-Arts, Paris, 1905.

2° Recensement des exemplaires (« Il a été tiré de cet ouvrage 6 exemplaires sur papier de chine numérotés de 1 à 6 ; 12 exemplaires sur papier de hollande Van Gelder Zoonen, numérotés de 7 a 18 ; 12 exemplaires sur japon français pelure d'orange et vert mousse, numérotés de 19 à 30, 380 exemplaires sur papier teinté numérotés de 31 à 410 et 20 exemplaires hors commerce avec un bois par MAX ELSKAMP ») :

n° 199 (Coutances)

Texte

AVANT-PROPOS

Les éditions d'Ausone, surtout les primitives, semblent l'image même de cet esprit incertain. Celle que Philippe Junte donna en 1517, à Florence, entremêle dans un inquiétant fouillis les vers pieux du poète et ses légères et même obscènes épigrammes. Voici au recto du feuillet seizième une édifiante série de Versus Paschales et en face une rêverie ambiguë In Puerum formosum, celle même dont semble s'être souvenu Théophile Gautier dans son Contralto des Émaux et Camées.

Les vers édifiants disent :

Sancta salutiferi redeunt solemnia Christi
Et devota pii celebrant jejunia mysistae...

Les vers ambigus psalmodient ce répons :

Cum dubitat natura marem faceret ne puellum,
Factus es, o puer, pene puella, puer.

(Tout homme dit : c'est Aphrodite ;
Toute femme : c'est Cupidon,

Sexe douteux, grâce certaine,
On dirait ce corps indécis
Fondu dans l'eau de la fontaine
Sous les baisers de Salmacis...

Ausone est un poète curieux de tout, mais surtout en imagination. Hanté de visions charnelles, et même de celles qui sont sans beauté, il s'en débarrasse en les écrivant et en les envoyant à ses amis. On connaît son mot si souvent cité : Lasciva est nobis pagina, vita proba ; c'est à son disciple Paulin, évêque de Nole, qu'il soumet cette excuse, en même temps qu'il lui inflige, non sans rougir, son effroyable Cento Nuptialis où les hémistiches innocents du chaste Virgile sont inclinés à conter des choses qu'il n'est pas d'usage de confier à des évêques. Paulin, cependant, cultivant sa sainteté, répondait avec une discrétion toute ecclésiastique.

Decimus Magnus Ausonius, dont la vie emplit tout le IVe siècle, était un vrai gallo-romain, petit-fils d'une Romaine et d'un noble Gaulois, originaire d'Autun, ou du pays des Eduens. Né à Bordeaux, il y revint mourir.

Il était rhéteur, c'est-à-dire qu'il enseignait les belles-lettres, l'éloquence et la poésie. Sa réputation de professeur était très grande ; cela fit que l'empereur Valentinien l'appela à Trêves et lui confia l'éducation de son fils Gratien. De là des honneurs qui ne semblent pas avoir enivré le poète plus que de raison. Questeur, préfet des Gaules, de l'Italie, de l'Afrique, consul, Ausone ne cessa de songer à sa ville natale. A la mort de Gratien (383), il résigna ses fonctions et revint achever son siècle, à Bordeaux, en cultivant la poésie et la cuisine.

La critique moderne lui a enlevé la paternité de la plus jolie des pièces qui lui étaient reconnues, les Roses. C'est dommage. Il lui reste la Moselle, où il y a de bien jolies descriptions de poissons et de délicieux paysages. Ce petit poème est lumineux et transparent comme le fleuve lui-même sur lequel il voyagea pendant son séjour à Trêves :

Spectaris vitreo per levia terga profundo,
Secreti nihil amnis habens...

D'autres morceaux sont agréables dans son œuvre modeste ; beaucoup sont simplement biscornus, témoignant d'une ingéniosité excessive en même temps que naïve.

La gloire d'Ausone a beaucoup diminué, disent les scoliastes du jour, depuis la Renaissance. Je ne sais où se détermine le degré de gloire des poètes latins : il est en tout cas évident qu'Ausone est encore un de ceux qui inspirent quelque curiosité.

On, s'est souvent demandé et on se demande encore : Ausone était-il chrétien ? On a même rédigé sur cette question des volumes entiers, qui ajoutent peu de chose aux remarques de Bayle. Pour moi le christianisme d'Ausone, au moins officiel et de façade, est hors de doute. Croit-on en effet que Valentinien, catholique avéré, protecteur du pape Damase, eût remis son fils, futur empereur, aux mains d'un mécréant ? A partir de Jovien, l'empire est redevenu chrétien ; un fonctionnaire doit être chrétien, avouer la religion de l'Etat. Pendant le court règne de Julien, c'était le contraire nécessairement et ce fut même à cause de ses opinions religieuses que Valentinien fut alors mis en disgrâce.

S'il s'agit des sentiments intimes, le problème, d'importance d'ailleurs assez médiocre, est plus difficile à résoudre. Ausone, en ses poésies pieuses, manque de ferveur et même de conviction. Ces choses l'intéressent peu. Comme rhéteur et comme poète, il aime les dieux, mais il n'y croit pas. Croyait-il au Christ ? Un peu plus, peut-être. D'ailleurs si Julien avait vécu, il se fût accommodé des Dieux. En ce siècle, le quatrième, l'état d'esprit des lettrés semble avoir été le scepticisme religieux. Claudien ignore le christianisme, ne s'intéresse qu'à l'histoire et à la mythologie traditionnelle. Il n'y avait pas encore de milieu possible entre la poésie classique, issue de Virgile et d'Ovide, et la poésie chrétienne, venue des psaumes. Il fallait choisir : se montrer dévot ou lettré. Claudien choisit d'être lettré. Ausone n'osa choisir : il fut alternativement l'un et l'autre. C'est pourquoi son petit livre incohérent donne un grand spectacle : une poésie finit, une autre commence.

REMY DE GOURMONT.

Echos

Jean de Gourmont, « Littérature. Charles Verrier : Les Epigrammes d'Ausone, traduites du latin, Sansot », Mercure de France, 1er novembre 1905, p. 109 :

Voici, de M. Charles Verrier, un petit ouvrage qui sera recherché un jour des bibliophiles : une traduction des Epigrammes d'Ausone, précédée d'une notice par Remy de Gourmont. Cette traduction est d'une belle qualité ; les délicatesses aussi bien que les obscénités y sont calquées du latin avec une honnêteté sans restriction : des notes complaisantes et érudites expliquent mêmes les allusions mythologiques ou historiques qui ne nous sont plus guère familières. Dans l'épigramme LXXI, par exemple, « écrite au-dessous du portrait de Crispa, femme impudique, » qui voulait avoir goûté de tout avant de mourir.

Il y a des choses plus fines et plus profondes « A Cupidon. »

Fais en sorte que ce qu'on appelle l'amour, ô Cupidon, soit partagé, ou détruis-le tout à fait. Allume la lampe dans deux cœurs à la fois, ou bien prends garde de n'en blesser aucun.

Dans la préface, M. Remy de Gourmont répond à cette question si souvent posée : Ausone était-Il chrétien ? « Ausone, écrit-il, en ses poésies pieuses, manque de ferveur et même de conviction. Ces choses l'intéressent peu. Comme rhéteur et comme poète, il aime les dieux, mais il n'y croit pas. Croyait-il au Christ ? Un peu plus peut-être. En ce siècle. il n'y avait pas encore de milieu possible entre la poésie classique, issue de Virgile et d'Ovide, et la poésie chrétienne, venue des psaumes. Il fallait choisir. Ausone n'osa choisir : il fut alternativement l'un et l'autre. C'est pourquoi son petit livre incohérent donne un grand spectacle ; une poésie finit, une autre commence. »

Voici le jugement qu'Ausone a porté lui-même sur ses poésies : « II y a des plaisanteries, et aussi des choses sérieuses dans mes livres. Le Stoïcien et l'Epicurien y jouent chacun leur personnage. Que ma muse soit donc grave ou s'égaye à son gré, pourvu que je ne m'écarte point des bonnes mœurs antiques. »

« Lasciva est nobis pagina, vita proba », écrivit-il aussi.