Les chats (04. 02. 1907) |
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Il y a des foyers sans chien surtout dans les villes ; il y en a très peu sans chat. Tantôt le chat est considéré comme un animal utile, tantôt comme un animal agréable, tantôt comme un véritable enfant de la maison. A Paris, le chat n'a pas un maître et une maîtresse, il a un père et une mère. Hier, devant l'attitude hostile de son chat, une femme de lettres fort connue me disait avec un grand naturel : « Il n'y a que son père qui ait la permission de le caresser. » Le chien aussi fait partie de la famille, mais le chien d'appartement demande des soins dont se passe le chat, habile à faire lui-même sa toilette. La supériorité du chien, considéré comme « enfant », est qu'on peut l'emmener avec soi à la promenade. Comme les matrones romaines, le chat reste à la maison, et avec ses délicieuses griffes, il file, lui aussi, la laine des tapis, des fauteuils et des rideaux. Le chat n'est pas exigeant : de la chair et de la chaleur ; mais il est indocile, volontaire et fort égoïste. Rivarol a décrit d'un mot le fond de son caractère : « Le chat ne nous caresse pas. Il se caresse à nous. » Cependant, il y a des chats affectueux ; quand ils sont très aimés, très gâtés, ils manifestent sinon de la reconnaissance, du moins de la prédilection. Comme tous les animaux, y compris l'homme, le chat est bien plus intelligent dans sa jeunesse que dans son âge mûr. Pour lui inculquer les bonnes manières avec quelque succès, il faut commencer son éducation de très bonne heure ; venue la puberté, le chat est indomptable et on le tuerait plutôt que de lui faire changer d'habitudes ; on peut apprendre au chien à monter la garde devant un poulet rôti ; pour le chat le mieux nourri, gavé des plus succulentes nourritures, une proie est toujours une proie et il ne résistera pas à son désir. Un chat peut voler, et manger, une pièce de viande plus grosse que lui : le plus domestiqué, le plus pomponné et pouponné est resté un carnassier, une miniature de tigre. Sans doute, on apprend au chat à ne faire la guerre ni aux poissons rouges du bocal, ni aux serins de la cage, mais il ne faut pas s'y fier absolument : tout au fond de son cœur, il ne cesse de convoiter ces animaux trop aimés, et il ne résisterait peut-être pas à toutes les occasions. Se souvient-on de la jolie page de Théophile Gautier sur un chat et un perroquet ? Resté seul avec le perroquet, le chat, très intrigué, tourne autour du perchoir, se demandant : qu'est-ce que c'est que ce gros oiseau ? Enfin, il trouve la solution : Cela doit être, se dit-il, un poulet vert ! Quand un chat de la maison a découvert que le perroquet de la maison est un poulet vert, le perroquet est bien malade. Cependant, le chat est intelligent et, comme tel, il arrive souvent à comprendre les lois élémentaires de la solidarité. Les bêtes et les gens vivant autour d'un même foyer forment un clan, qui est immédiatement respecté par le chien ; le chat, quoique avec moins de bonne volonté, accepte lui aussi, quand il a été bien dressé, les lois du clan, et on le voit jouer avec le chien, son mortel ennemi, on le voit respecter les oiseaux de la maison et sa bonté, trop souvent, s'étend jusqu'aux souris familières. Je pense aux chats, parce que l'on vient de publier la biographie d'un chat. Que l'on ne rie pas, c'est la pure vérité. Le chat s'appelle Tybert et le biographe du chat s'appelle M. Charles Régismanset. Ce petit livre, avec ses jolies images, m'a beaucoup amusé, et je m'y suis instruit aussi sur la psychologie du chat domestique, du chat gâté, du « chat-enfant ». Tybert, né à Paris, est fils d'un chat de gouttière et d'une chatte angora ; il est d'un noir brunâtre et ses oreilles sont un peu trop longues. Sa maîtresse, sa mère, veux-je dire, qui l'adore, l'emmène à la campagne et c'est là que ses instincts se développent. Un jour, tout petit encore, il découvre dans le jardin un oiseau mort. Aussitôt il se jette dessus et l'emporte « en grognant comme un fauve ». C'est là un bon trait de psychologie féline. Autre trait : Tybert, qui, dans la maison, aime à être caressé, ne se laisse pas prendre quand il joue dans le jardin ; là il est redevenu l'animal sauvage, pour qui tout autre animal est un ennemi. Voici qu'il réussit à attraper une petite musaraigne et, « deux heures durant il la fait sauter entre ses pattes, l'abandonnant, la laissant fuir, la reprenant, avant de la dévorer. » Une cruauté pareille, également inconsciente, se retrouve chez l'enfant, quand il coupe une mouche en morceaux, avec la même curiosité amusée, qui lui a fait briser un joujou mécanique. Les renards apportent à leurs petits des proies vivantes et leur apprennent à les égorger ; les chats agissent de même et tout le monde a vu une chatte mettre entre les pattes de son chaton une souris blessée. Livrés à eux-mêmes, les petits carnassiers mettent en pratique l'enseignement maternel ; mais l'instinct suffirait peut-être à faire leur éducation. Il y a beaucoup de curieuses observations dans la première partie du livre de M. Régismanset. J'aime aussi les chapitres où il est parlé des relations de Tybert « avec son père et sa mère », mais il y avait là moins de choses nouvelles à dire. Le chat, d'abord très gâté, finit par devenir un tyran. Il saccage la maison, il prohibe tout voyage, tout déplacement un peu long. On l'a ramené à Paris, les vacances finies ; l'année suivante, on l'emporte encore à la campagne, mais cette fois on l'y laisse. Alors il devient un chat à demi-sauvage, très coureur, et, comme beaucoup de ses pareils, il meurt dans une aventure amoureuse. Les gens qui aiment les bêtes et qui leur parlent, s'imaginent que les bêtes les comprennent. Cela serait beaucoup. Ce que les animaux domestiques comprennent surtout dans les paroles qu'on leur adresse, c'est le ton de la voix, et ils distinguent parfaitement le ton de la colère du ton de la caresse. Le chat n'est pas le mieux doué sous ce rapport : beaucoup de chats n'arrivent même pas à répondre à leur nom, inférieurs en cela aux chevaux et aux bœufs. Le cheval sait associer plusieurs de ses mouvements au son des paroles humaines ; un attelage peut être mené à la voix, par un charretier qui a le don du dressage. Le chat comprend beaucoup mieux que les paroles, les mouvements et les gestes ; il se plie facilement aux habitudes ; il est pour les repas d'une fidèle ponctualité ; ses ruses, quand il s'agit de son propre intérêt, sont quelquefois curieuses. Pourtant, je crois que l'intelligence du chat est plutôt un air qu'une réalité. Il est, en tout cas, bien inférieur au chien. Le chien associe des idées élémentaires avec une sûreté merveilleuse. J'ai vu ceci à la campagne : tantôt je sortais de la maison avec une canne, tantôt sans canne. Dans le premier cas, le chien bondissait, partait aussitôt en avant, sûr qu'il s'agissait d'une promenade. Dans le second cas, il savait qu'il n'était question que d'un tour de jardin, et il ne bougeait pas. C'est de l'intelligence. Les jeunes chiens dans leurs jeux sont presque aussi curieux que les enfants. Ils savent parfaitement ce que c'est de gagner ou de perdre, et, pas plus que les enfants, ou les hommes, ils n'aiment à perdre. Ils n'aiment pas non plus à gagner toujours, car alors ce n'est plus un jeu, et ils ont le sens du jeu. J'ai connu un jeune colley, nommé Diamant, qui me provoquait au jeu, inlassablement. Dès qu'il me voyait, il allait se munir d'un petit morceau de bois ; les bûchettes à allumer le feu lui agréaient surtout ; il en maintenait une entre ses dents, en prenant bien soin de n'en mordre que l'extrémité pour me laisser une prise : alors on jouait à qui serait le plus fort. Quand il avait gagné plusieurs parties, il était satisfait. Ce colley, qui pourtant n'avait été soumis à aucun dressage, était d'une intelligence remarquable : il reconnaissait au pas, à l'odeur, à je ne sais quoi, un visiteur ami à travers la porte fermée, et, longtemps avant sa venue quotidienne à heure fixe, il manifestait une réelle impatience. Le chat ne va pas si loin. Son acte d'intelligence le plus caractérisé est de savoir associer l'idée de certains actes avec l'idée d'homme. Le chat, comme le chien, sait que l'homme est un être qui sait ouvrir les portes, et il sait aussi comment il faut s'y prendre pour décider l'homme à les ouvrir. C'est un commencement de conversation. L'intelligence des animaux, dégagée de la légende et des mauvaises observations, est bien intéressante à étudier. Elle aide singulièrement à mieux comprendre le mécanisme de l'intelligence des hommes. A mon avis, toute bonne psychologie humaine doit commencer par la psychologie animale. Mais le vrai commencement débuterait, bien plus bas que le chien, le chat, ou même certains insectes, qui sont déjà très haut dans l'échelle intellectuelle. Un jeune savant d'un esprit très curieux, M. Georges Bohn, a osé faire des études sur la psychologie des actinies, humbles animaux marins, plus connus sous le nom d'anémones de mer. Cela a donné des résultats étonnants : dès qu'il y a vie, il y a choix ; il y a des rudiments de volonté. Mais ces travaux ne sont pas à la portée de tout le monde. Tout le monde, au contraire, devrait savoir observer un animal domestique et prendre plaisir aux lueurs d'intelligence qui se manifestent dans ses actes. M. Régismanset a donné dans son Tybert, chat (1), en même temps qu'une agréable œuvre littéraire, un bon exemple. REMY DE GOURMONT. [texte communiqué par Mikaël Lugan] (1) Rachilde, probablement la « femme de lettres fort connue » dont il est question au début de l'article, a consacré quelques lignes à ce roman dans sa chronique du Mercure de France du 1er janvier 1907 : Ce Tybert est le gentil héros d'aventures très véridiques, très finement observées, et il meurt jeune comme il sied à ceux qu'aiment les dieux. Je transcris, en guise de morale, cette phrase de légère mauvaise humeur : « Nous sommes les esclaves de ce chat. Nous ne sortons plus pour qu'il ne s'ennuie seul ! » A qui le dites-vous, cher Monsieur ! Vous pourriez tout aussi bien déclarer que les écrivains sont simplement les animaux domestiques des chats. Il y a fort longtemps que ma chatte me prend pour sa bonne et me soupçonne de faire danser l'anse de son panier quand je l'emmène à la campagne. [note des Amateurs] |