L'Heure qui sonne |
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L'Heure qui sonne, revue d'avant-garde mensuelle, numéro exceptionnel, Mon cher Confrère, Le nom de Roinard m'est venu sous les yeux ce matin, en cherchant quelque chose dans ma bibliothèque et j'ai aussitôt couru à la découverte de votre lettre. J'y ai vu que la date est passée. N'importe, je veux être fidèle à la promesse que je m'étais faite à moi-même de répondre, en quelques mots du moins, à votre requête. J'ai beaucoup connu Roinard en des temps indéterminés, j'ai régi avec lui une petite revue qui s'appelait les Essais d'Art libre, celle même où fut d'abord publié Lilith, et nos noms s'y étalaient fraternellement. Plus tard, je goûtai et respirai au Théâtre d'art la poésie de son Cantique des Cantiques, et plus tard encore (à moins que cela ne soit plus tôt), nous collaborâmes ensemble, avec Saint-Paul Roux [sic], Retté, Rachilde, à un singulier journal, l'Echo de France, qui avait la fantaisie de payer, presque convenablement, notre copie. J'ai donc connu Roinard presque davantage qu'aucun autre de mes contemporains littéraires. Ce n'était pas la période des admirations réciproques et je crois qu'il nous souciait moins de nous étonner les uns des autres que de nous plaire à nous-mêmes et de déplaire à certains. Roinard, d'ailleurs, n'avait encore publié que fort peu de vers, mais il nous paraissait destiné à la réputation qu'il a rencontrée plus tard. S'il n'avait pas été si paresseux, il l'aurait trouvée bien plus tôt. Mais je crois aussi que les circonstances lui furent très défavorables. Vous avez grand raison de le célébrer enfin, et à cela je m'associe très cordialement. Il n'a jamais guère pensé qu'à la gloire, qu'elle vienne : il l'attendait et elle ne le surprendra pas. Croyez-moi bien cordialement à vous. REMY DE GOURMONT. pp. 23-24 [texte entoilé par Mikaël Lugan, février 2006] |