N°104 Tome XXVII. Août 1898. |
SOMMAIRE Portrait de Thomas Carlyle d'après Samuel Laurence, gravé par Julien Tinayre. Hors texte REVUE DU MOIS Le Centenaire de Michelet. Du progrès, ou la Revanche de la Voile. Conseils de guerre italiens.
Rachilde : Les Romans........................................................................................................ 514 Une Erreur de Tolstoï (Le Temps, 11 juillet). Almanach du Midi (1898-1899). MEMENTO. L'Eclair. Le s Mémoires de Mme Liane de Pougy (3 juillet). [...] Le Gaulois. Chateaubriand, par Henri de Régnier (28 juin). [...] La Liberté A propos d'Arthur Rimbaud, par Georges Izambard, 9 juillet. [....] Le Réformiste Le certificat d'études primaires (8 juillet). Fragment de l'examen d'un enfant qui fut admis et reçut son parchemin ; cela se passait naguère à H., sur la Loire (1). [...] Le Temps La Vie à Paris, par Jules Claretie (16 juin). Lettre de Sainte-Beuve à un poète mort jeune et demeuré inconnu, M. Tremblai : [...] Le Petit Temps Les derniers manuscrits de Victor Hugo (30 juin). A.-Ferdinand Herold : Les Théâtres...................................................................................... 563 Echos.................................................................................................................. 604
Les Bouquinistes des Quais au XVIIe siècle (Bulletin du Bibliophile (15 mai). Le Chef-d'Œuvre de l'Imprimerie Nationale (Petit Temps), 10 juillet). Les bouquinistes, qui alors étalaient leurs livres non seulement sur les quais, mais aussi sur les rebords du Pont-Neuf, eurent déjà beaucoup d'ennuis au XVIIe siècle. On les avait déjà chassés en 1649 des boutiques du Pont-Neuf ; en 1697 on voulut leur défendre encore les quais et les parapets. C'est alors qu'Étienne Baluze prit leur défense. Le manuscrit de son intéressant mémoire est conservé à la Bibliothèque nationale. « Autrefois, dit Baluze, une bonne partye des boutiques du Pont-Neuf estoient occupées par les librairies qui y portaient de très bons livres qu'ils donnaient à bon marché. Ce qui estoit d'un grand secours aux gens de lettres, lesquels sont ordinairement fort peu pécunieux. Les libraires de la rüe Saint-Jacques firent pour lors de grandes instances pour empescher qu'on ne continuât ce trafic, et enfin ils en vinrent à bout dans le temps des guerres de Paris sur la fin de la minorité du Roy. Les pauvres libraires qui n'ont pas moyen de louer des boutiques ont tasché de gagner leur vie en estallant des livres de peu de conséquence sur les quays et sur les rebords du Pont-Neuf. Ces livres sont de vieux fonds de magazins de libraires, qu'on ne leur demande pas, le fretin (qu'ils appellent parmy eux carimara) des bibliothèques, la despouille de quelque pauvre prestre décédé, de meschants paquets, achetez aux inventaires, tous livres qu'on n'ira jamais demander dans les boutiques de libraires. Cependant on se sert de ce prétexte pour empescher ces pauvres gens de continuer leurs estallages, parce, dit-on, qu'ils empeschent qu'on ne visite les boutiques de libraires ; ce qui est très faux. Car on ne trouvera pas à ces estallages des livres de conséquence, pour lesquels avoir il faut nécessairement aller chez les grands libraires. Aux estallages on trouve de petits traitez singuliers qu'on ne connoît pas bien souvent, d'autres qu'on connoît à la vérité, mais qu'on ne s'avisera pas d'aller demander chez les libraires, et qu'on n'achette que parce qu'ils sont à bon marché ; et enfin de vieilles éditions d'anciens auteurs, qu'on trouve à bon marché et qui sont achetez par les pauvres, qui n'ont pas moyen d'achetter les nouvelles. En cecy il faut considérer autant pour le moins l'interest des gens de letres, que celuy des libraires, et que ce ne sont pas ceux ordinairement qui ont le moyen d'estudier qui estudient, mais bien ceux qui n'ont pas le moyen d'estudier, c'est-à-dire les pauvres. Pline l'a dit, il y a longtemps : Amat studia, ut solent pauperes. De sorte que si on leur ôte le moyen d'achetter des livres à bon marché, on perdra de bons esprits, qui pourroient devenir habilles gens et faire honeur au royaume par la facilité qu'ils auroient d'estudier. Les libraires ne sont establis que pour le service des gens de letres ; ce qui doit obliger les magistrats à s'opposer à leur avarice, de crainte que la cherté des livres, qui est toujours chez les grands libraires, ne ruine la littérature. Ils doivent servir également les pauvres et les riches. Ils peuvent vendre chèrement aux riches, à la bonne heure. Mais ils doivent donner à bon marché aux pauvres; et c'est ce qu'ils ne font pas et ne feront jamais. On dit encore contre ces pauvres gens que, sous ce prétexte, ils distribuent des livres de contrebande. Ce qui est très-faux, et peut être attesté faux par beaucoup d'honnestes gens qui avoient accoustumé de s'arrester aux estallages. Il a plus esté vendu de livres de contrebande dans la rüe Saint-Jaques qu'il n'a esté vendu de vieux bouquins aux estallages. C'est ce qui est certain. Mais quand mesme il seroit vray, ce qui n'est pas, que ces pauvres gens débitoient des livres de contrebande, le remède dont on se sert ne peut pas empescher ce commerce. Car ceux qui le font portent les livres dans leurs poches et sous leur manteau, et les vont distribuer dans les maisons où ils ont leurs habitudes. Cela est de notoriété publique. On dit encore contre ces pauvres gens que lorsque quelque valet ou autre a desrobé quelque livre, il les leur porte pour le vendre, ce qui est très préjudiciable au public. A cella on respond que ce remède n'empeschera pas ce mal ; car on porte esgallement ces sortes de livres aux marchands qui sont sur le quay des Augustins. Outre qu'il ne faut pas oster la liberté de vendre séparément quelques livres, [y] ayant de pauvres gens qui sont obligez dans leur nécessité de vendre leurs livres peu à peu pour subsister. Ainsy il semble qu'on devroit tolérer, comme on a fait jusques à présent, les estallages, tant en faveur de ces pauvres gens qui sont dans une extrême misère, qu'en considération des gens de letres, pour lesquels on a toujours eu beaucoup d'esgars en France, et qui, au moyen des défenses qu'on a faites, n'ont plus les occasions de trouver de bons livres à bon marché. » C'est donc probablement à Etienne Baluze que nous devons cette bibliothèque en plein vent, sans laquelle disparaîtraient tous les livres qui n'ont pas une valeur de catalogue, et ce sont souvent les meilleurs. L'Imprimerie Nationale prépare pour l'an 1900 une Histoire de l'Imprimerie en France au quinzième et au seizième siècle, due au libraire érudit, M. A. Claudin. Il s'agit d'ordonner un ouvrage qui contienne les spécimens les plus curieux de l'ancien art typographique français, et « en effet, à côté des caractères Garamond, adoptés par l'Imprimerie royale lors de sa fondation par Richelieu en 1640, qui figurent pour l'impression de cette histoire jusques y compris la préface, à côté des caractères Grandjean, gravés en 1693 et employés jusqu'à la fin du premier empire, qui ont servi à l'exécution du corps de l'ouvrage, on a placé des spécimens de caractères employés par les imprimeurs qui ont exercé en France depuis le quinzième siècle. Dans l'exemplaire offert au président de la République, on retrouve par exemple les polices ou alphabets de l'atelier établi à la Sorbonne en 1470 ; des imprimeurs parisiens Friburger, Gering et Crantz établis en 1473 rue Saint-Jacques, à l'enseigne du Soleil d'or ; des ateliers de Pierre César dit Cæsaris, maître ès arts, et Jean Stoll ; de Guillaume Mayn, val [Maynval] et Ulric Gering : de Gaspar, Russangis, Louis Simonnet, de Bourges, Richard Blandin, d'Evreux, Jean Symon et plusieurs autres, qui travaillaient en coopération, dès 1475, rue Saint-Jacques, au Soufflet Vert ; puis des grands ateliers lyonnais, de ceux d'Angers et de Tréguier. L'ouvrage est un résumé d'anciens exemples, dans lequel entrent aussi de précieuses reproductions de lettres ornées et de gravures, dont la première de l'atelier des frères de Gourmont, Paris, 1587 représente l'auteur du Tableau des arts libéraux offrant son livre au duc de Nevers. L'œuvre complète renfermera plus de douze cents planches extraites des livres les plus rares et réunis à grand'peine, douze cents planches parmi lesquelles la grande lettre ornée du titre de la Mer des hystoires, une gravure du Thérence en français, de Vérard ; une autre de l'atelier de J. Maurand montrant le « roy Gontran et le roy Childerich son nepveu »; les marques de Pigouchet et de Simon Vostres, des Heures d'Amiens et des Heures de Verdun ; le titre du Discours du songe de Poliphile, de l'atelier de Jacques Kerver et encore de l'atelier de Louis Cyanens, le frontispice très finement dessine d'une nouvelle du Décaméron de Bocace. » La contemplation de toutes ces merveilles engagera peut-être les éditeurs de livres de luxe à revenir enfin décidément à la gravure sur bois, à abandonner tous ces truquages de la gravure mécanique, qui sont l'un des déshonneurs de notre siècle. Seul le bois peut accompagner la lettre : tous ceux qui aiment les livres comprennent cela. R. DE BURY. LES REVUES Les événements actuels ont inspiré à M. Urbain Gohier, à côté d'excellents articles de polémique que l'on doit à cet écrivain, le goût de certaines recherches d'histoire comparée. L'Armée de Condé que publie la Revue blanche (Ier juillet) est un document de la plus grande valeur pour ceux qui s'intéresseraient à la formation de l'esprit de corps chez les officiers de notre armée. Dans cette même publication, à côté d'un fragment bien curieux du Saül de M. André Gide, M. Remy de Gourmont donne sur l'Esthétique de la Langue française des pages du plus haut intérêt. Ses remarques, s'il est possible d'en discuter quelques-unes, sont d'une intelligence et d'une ingéniosité qui égalent celles qui assurèrent aux travaux de [f]eu Darmesteter, sur le même objet, leur fortune parmi les lettrés. « Il n'est pas bien certain en effet, écrit M. de Gourmont que le vieux français fût aussi dénué qu'on l'a cru [...]. CHARLES-HENRY HIRSCH. |