Mercure n° 236 T. LXVI 15 Avril 1907 |
SOMMAIRE Frédéric Charpin : La Question religieuse. Enquête internationale ...............................................577 REVUE DE LA QUINZAINE Remy de Gourmont : Epilogues : Dialogues des Amateurs : XLII. Le Principe d'utilité...................709 [...] La Revue : quelques opinions rapportées d'Octave Mirbeau sur l'art, la nature et le théâtre. R. de Bury : Les Journaux.......................................................................................................743 A.-Ferdinand Herold : Les Théâtres...........................................................................................747 Echos.......................................................................................................................782 Il faut toujours, paraît-il, parler à propos. Si M. Berthelot n'était point mort, les journaux eussent trouvé incongrue l'idée de parler de Lavoisier. Mais Berthelot, chimiste, étant mort, il est permis d'évoquer le souvenir de Lavoisier, chimiste. M. Roujon en profite pour se demander dans le Figaro si quelque jacobin prononça réellement la parole fameuse : « La République n'a pas besoin de savants. » M. Roujon n'a point sur cette question de lumières particulières ; aussi s'en rapporte-t-il à M. J. Guillaume, qui est historien, puisqu'il est membre de la Société d'histoire de la Révolution. Or, M. J. Guillaume estime que le mot n'a pas été prononcé. C'est l'ordinaire destin des mots historiques. Mais les mots historiques ont cette valeur, tout en étant irréels, de résumer très clairement, à l'usage du peuple, les détails d'un fait. « La République n'a pas besoin de savants : » si Coffinhal qui présidait le tribunal révolutionnaire n'exprima pas tout haut cette belle pensée, il la roulait certainement en silence dans son cerveau obscur de chien de boucher. C'était l'opinion des jurés ; c'était l'opinion de la foule qui s'amusait de la tête que faisaient les victimes. D'ailleurs, si la République folle de ce moment-là avait cru avoir besoin de savants, elle n'aurait pas tué Lavoisier, qui était le plus grand savant de la terre. Le mot, véridique ou d'après coup, est d'une telle logique qu'un enfant de sept ans un peu intelligent aurait pu le faire : « Lavoisier est un grand savant ? Oui. Cependant, on l'a condamné à mort ? Oui. Alors, la République n'a pas besoin de savants ? » Que l'on réponde. On peut objecter, cependant, que, politiciens, magistrats, jurés, tous ignoraient la valeur de Lavoisier. C'est possible. Mais que penser d'un état social où les hommes du pouvoir ignorent tous la valeur d'un Pasteur, la valeur d'un Berthelot ? Est-il absurde de penser qu'un tel état social est une effroyable erreur ? Si j'étais que de M. Briand, qui a prononcé un bel éloge de Berthelot, je voudrais poser la première pierre d'un monument commémoratif de Lavoisier. Commémoratif, c'est trop peu : expiatoire. Il ne faut accepter la solidarité qu'avec les gens de son espèce. Comme choses moins connues, M. Roujon rapporte quelques appréciations de Marat sur Lavoisier, dans l'Ami du peuple (ô peuple, que tu as de singuliers amis !) : « Croiriez-vous que ce petit monsieur qui jouit de quarante mille livres de rentes et qui n'a d'autre titre à la reconnaissance publique que d'avoir mis Paris dans une prison, de lui avoir intercepté l'air par une muraille qui coûte trente millions au pauvre peuple, cabale comme un démon pour être élu administrateur du département de Paris !... Comme Lavoisier n'a pas d'idées en propre, il s'empare de celles des autres ! » Marat était chimiste. § Les récits de « choses vues », quand le récit est net et quand la chose en valait la peine, ont une valeur. Voici une page qui m'a intéressé. M. Gaston Méry raconte dans la Libre parole la reconnaissance par M. Berthelot des restes de Voltaire et de Rousseau au Panthéon : C'est aujourd'hui, me dit Clovis Hugues, qu'on ouvre au Panthéon les sarcophages de Rousseau et de Voltaire pour vérifier si leurs cendres n'ont pas été, comme on le prétend, jetées à la voirie sous la Restauration. Si nous allions voir ! » Et nous partîmes. Au Panthéon, cent ou cent cinquante personnes étaient déjà réunies, échangeant leurs pronostics. Des messieurs très décorés, avec une conviction tranchante, affirmaient qu'on ne trouverait rien dans les cercueils. L'assistance, en général, opinait du bonnet. M. Berthelot, appuyé sur son parapluie, son œil bleu rempli de malice , écoutait sans rien dire ces propos péremptoires. Vers deux heures, la commission des recherches étant au complet, on descendit dans la crypte. On y arriva parmi les bousculades. On dut appeler des agents pour rétablir l'ordre. Des flots de clarté tombant des baies vitrées baignaient cette cohue de gens enfiévrés. On s'entassa dans une étroite galerie, près de la porte d'une sorte de chapelle, en face du tombeau de Soufflot. C'était là que devait reposer Voltaire. Une heure se passa encore. Qu'attendait-on ? Je l'ignore. Déjà le jour baisse quand, enfin, un ouvrier, vêtu d'une cotte et portant une lanterne d'écurie, ouvre la porte de la chapelle. J'ai la chance d'entrer à sa suite un des premiers. A gauche, sur un piédestal, une statue du vieil Arouet, reproduction en plâtre de l'œuvre de Houdon. A droite, sur les dalles, une manière de boîte rectangulaire peinturlurée de blanc, sur laquelle apparaissaient encore quelques vagues vestiges de cachets de cire. Cette boîte, c'est le sarcophage de Voltaire. On la soulève et, dessous, apparaît un cercueil qu'on ouvre à coups de marteau, en faisant sauter les armatures de fer... Un cri : « Il y est ! » De fait, au fond du cercueil, étendu sur une sorte de litière de poussière brune, il y a un squelette noirâtre, désarticulé, épars... M. Berthelot s'est saisi de la lanterne d'écurie. Il la promène au-dessus des ossements. Chacun se penche à tour de rôle ; mais il faudrait des heures pour que tout le monde puisse venir voir ! M. Berthelot, après avoir pris la précaution d'enfoncer son chapeau jusqu'aux oreilles, s'incline sur le cercueil béant et, comme on retire un objet d'une malle, en extrait un crâne auquel adhèrent encore des bribes de peau fripée. Il l'élève de la main gauche, au-dessus de sa tête, tandis que, de la droite, il l'éclaire avec la lanterne. C'est un spectacle fantastique et macabre. Le crâne semble, sous les rayons de la lueur jaune et falote, prendre vie et ricaner. D'instinct, nos regards comparent cette grimace d'outre-tombe, au faciès émacié et railleur de la statue de Houdon... C'est la même expression, avec je ne sais quoi de plus aigu et de plus satanique. On songe irrésistiblement aux vers de Musset : Dors-tu content. Voltaire, et ton hideux sourire La nuit est à peu près venue, quand on se prépare à procéder dans une chapelle voisine, à l'ouverture du cercueil de Jean-Jacques. La cohue de tout à l'heure recommence. Les gardiens de la paix sont impuissants, dans la pénombre, à canaliser les impatiences. Une voix s'élève et déclare que, si l'on ne fait silence, on va évacuer la crypte et que la commission continuera, seule, ses investigations. Un calme relatif s'établit. On pénètre dans le caveau. Le sarcophage de Jean-Jacques est bien là, orné d'inscriptions. On l'ouvre. Une enveloppe de chêne apparaît sous une première enveloppe de plomb. Cette fois, aucun cri, quand on constate que les restes de Rousseau, comme ceux de Voltaire, n'ont pas été dispersés. On a une impression de petitesse et d'exiguïté en apercevant le squelette intact de l'auteur des Confessions, étendu sur le dos, les mains croisées sur l'ossature des côtes. Autant la vision du squelette démantelé de Voltaire, de son crâne détaché et ricanant, avait été sinistre, autant, par contraste sans doute, est mélancolique et presque banal le spectacle des restes proprets de Jean-Jacques, qu'on dirait préparés pour les vitrines d'un musée anatomique... Au moment où, défilant devant le cercueil, j'essayais de clicher dans ma mémoire tous les détails de ce tableau funèbre, un de mes voisins dit : « Voici la preuve du suicide. » En même temps il désignait, près de la tempe gauche, une sorte de perforation. M. Berthelot se pencha, et l'ouvrier qui portait le lumignon accompagna son mouvement. Je vis alors, distinctement, un mince filet noir, qui encerclait la calotte du crâne. M. Berthelot, du bout du doigt, suivit cette ligne sombre, qui ressemblait à une trace de scie, et constata qu'elle aboutissait au petit trou que mon voisin venait de désigner. Il déclara : « Cette perforation n'a pas été produite, comme on pourrait le croire, par une balle de pistolet. C'est, vraisemblablement, pendant l'autopsie, qu'elle a été pratiquée, pour l'ouverture de la boîte crânienne. » Il donna des détails devant lesquels chacun s'inclina... § M. de Lovenjoul vient de permettre que l'on publie l'Ecole des Ménages, drame inédit de Balzac, qui lui appartenait. A ce propos M. Claretie, dans le Temps, raconte comment Balzac, ayant pris Lassailly pour secrétaire, sous le titre de collaborateur, lui dictait sa pièce ; vieilles anecdoctes, mais toujours amusantes : Harassé de travail, le maître s'avisa de prendre un collaborateur. Non pas un charpentier de profession, mais un fantaisiste, un poète. Il engagea Charles Lassailly, ce ferreur de cigales, cet amoureux de la lune, en qualité de manœuvre littéraire. Gozlan et Gérard de Nerval ont tour à tour conté l'aventure. Balzac faisait réveiller à une heure du matin le pauvre Lassailly et lui disait : Vous avez encore de vieilles habitudes. Vous dormez la nuit. La nuit on travaille. Voici du café. Prenez-en, et travaillons. Il y avait sur la table une main de papier blanc. Balzac, debout en sa robe de moine, allait, venait, improvisait, en arpentant la chambre. Ecrivez : « Acte premier, scène première... Victoire, cuisinière, et Roblot, le caissier, sont en scène. » C'était l'Ecole des Ménages. Balzac parla, dialogua ainsi jusqu'au jour. A sept heures du matin, Lassailly, accablé de sommeil, entendit le maître lui dire : Maintenant recouchez-vous. Je vous ferai réveillera midi, vous reprendrez du café et nous continuerons ! R . DE BURY. pp. 743-746 |