LXXIV N°268 16 AOUT 1908. |
JULES DE GAULTIER : Nietzsche contre le Surhomme, 561 REVUE DE LA QUINZAINE REMY DE GOURMONT : Epilogues : Dialogues des Amateurs : LXVII. Le Sable, 669. RACHILDE : Les Romans. 672. JEAN DE GOURMONT : Littérature, 677. A.-FERDINAND HEROLD : Littératures antiques, 680. EDMOND BARTHÈLEMY : Histoire, 685. JULES DE GAULTIER : Philosophie, 690. A. VAN GENNEP : Ethnographie, Folklore, 695. CHARLES MERKI : Archéologie, Voyages, 698. JOSE THÉRY : Question, juridiques. CHARLES-HENRY HIRSCH : Les Revues, 707. R. DE BURY : Les Journaux, 713. MAURICE BOISSARD : Les Théâtres, 716. TRISTAN LECLÈRE : Art ancien, 719. HENRI ALBERT : Lettres allemandes, 723. HENRY-D. DAVRAY : Lettres anglaises, 728. RICCIOTTO CANUDO : Lettres italiennes, 733. PHILÉAS LEBESGUE : Lettres portugaises. 739. DÉMÉTRIUS ASTÉRIOTIS : Lettres néo-grecques, 743. MERCVRE : Publications récentes, 748 ; Echos, 748. LES ROMANS Daniel Lesueur : Nietzschéenne, Plon, 3.5o. Michel Corday : Mariage de demain, Fasquelle, 3.5o. Ludovic Réhault : Le Fils de Monsieur Camille, Ollendorff, 3.5o. Henri Duvernois : Crapotte, Albin Michel 3.5o. René Behaine : Histoire d'une société, Fasquelle, 3.5o. Maxence Legrand : La Bataille perdue, Grasset, 3.50. André Martoret : Les Deux instincts, librairie Universelle, 3.5o. Nonce Casanova : La Symphonie arabe, Ollendorff 3.5o. Ferdinand Bac : Le Fantôme de Paris, Fasquelle. 3.5o. Georges Baume : Les Trois apôtres, Librairie Nationale, 3.5o. Jules Pravieux : Mon mari, Plon, 3.5o. Richard d'Oniot : La Conversion d'une Parisienne, Bibliothèque indépendante, 3.5o. Charles Foley : Kowa la mystérieuse et Jean des Brumes, Pierre Lafitte, Ollendorff, 3.5o. Constantin Photiadès : Les Hauts et Bas, Bernard Grasset, 3.5o. Jean de la Hire : La Roue Fulgurante, Librairie illustrée, 3.50. Ernest Daudet : Au galop de la vie, Plon, 3.5o. Emmanuel Delbousquet : Miguette-de-Cante-Cigale, Librairie Nationale, 3.5o. Max et Alex Fischer : Camembert-sur-Ourcq, Flammarion, 3.5o. Robert de Traz : Au temps de la Jeunesse, Plon, 3.50. Nietzschéenne, par Daniel Lesueur. Je crois avoir avoué déjà que je n'avais jamais lu Nietzsche. Cet aveu ne m'est nullement pénible. Il ne faut jamais lire les philosophes à la mode (même si vous habitez la même maison qu'eux, parce que vous ne pouvez pas les goûter en paix, tellement vous rencontrez de gens qui vous eu dégoûtent avant de vous être formé le moindre jugement sur leur doctrine. J'attendrai donc pour lire Nietzsche qu'il fasse partie des vieilles lunes; mais, en attendant, je suis effrayée de ce qu'il inspire aux femmes ! Jadis c'était Jésus-Christ qui leur prêchait l'abstinence de toutes sensualités et qui en faisait des espèces de monstres luttant contre la nature, leur nature si parfaitement, si joliment animale ; maintenant voilà que Nietzsche remplace le confesseur catholique et les pousse à la résistance charnelle, pour plus d'amour. Comme c'est drôle ! Jocelyne Monestier est certainement marquée, j'allais dire douée, pour le plaisir, mettons l'amour libre. Dès 12 ou 14 ans, elle écrit des lettres incendiaires à un Monsieur et le fait d'émailler ces lettres de propos plus ou moins libertins qu'elle copie sans les comprendre dans une foule de mauvais romans n'augmente pas sa culpabilité à mes yeux, pas plus qu'il ne la diminue, du reste. Si j'avais une fille capable de ce style épistolaire avec ou sans plagiat, je ne dormirais pas tranquille. Il existait une petite bonne femme comme ça dans l'affaire Syveton et ça compliquait terriblement la vie d'une famille peut-être honorable. Donc Jocelyne Monestier n'a pas un tempérament très calme. Plus tard, au lieu d'expliquer, avec des cris sincères et des larmes naïves, le libertinage de sa correspondance d'écolière à son fiancé, elle préfère se livrer à lui pieds et poings liés, rompre d'ailleurs son mariage par cette extravagance bien inutile, puis demeurer l'amante inconsolable d'un Monsieur trop scrupuleux... après. Quand on en arrive au grand lâchage de toutes ses illusions, il convient, en effet, de se créer une amère philosophie, puisque aussi bien on ne saurait mieux placer son orgueil chiffonné. Jocelyne, abaissée par deux hommes, victime de ses deux coups de passion irréfléchis, songe à élever des hommes, elle se fait professeur d'énergie. Malheureusement elle s'adresse à un pauvre diable qui n'est pas libre et sa première faute de goût, sinon de fermeté, est de tolérer jusqu’à à un certain point l'amitié amoureuse de l'époux d'une autre femme. Aucun amour naissant ne résiste au réel mépris qu'on lui témoigne. Si la Nietzschéenne en question avait le réel mépris de l'adultère, elle mettrait M. Clérieux à la porte sans lui laisser même le temps de parler en camarade. Je ne pense pas que Nietszche prenne pour de l'énergie l'exaltation maladive qui résulte d'une fausse position ?... Alors, comme les grèves ont été inventées spécialement pour servir de fond de décor aux dénouements des romanciers qui se sentent dans l'embarras, Jocelyne reçoit la balle de revolver au lieu et place de M. Clérieux. Sans ce revolver providentiel, il me semble que le professeur d'énergie serait tombé une troisième fois... dans les pires faiblesses. Non, ce ne sont pas les philosophes qui peuvent apprendre aux femmes la plus belle science du monde, celle de la pudeur, dont le secret, depuis beau temps perdu, se confond, aux yeux des non initiés, avec celui de toutes les perversités diaboliques. La Nietszchéenne me fait de la peine parce que, malgré tout son bagage philosophique et sa manière fervente d'ouvrir l'évangile de son cher Maître, comme jadis on ouvrait la divine Imitation, elle ne me représente que la bête humaine, c'est-à-dire une créature d'autant plus coupable qu'elle connaît mieux le prix de la chasteté et toute l'horreur de la trahison. Elle s'excite à la résistance avec l'instinct des voluptueux qui savent graduer leur plaisir, mais elle n'a pas la pudeur de son martyre. Née pour se donner selon son caprice, elle ferait mieux de ne pas jouer à la sainte laïque, parce que ça ne nous change pas beaucoup d'hystérie, ou, si vous préférez, de religiosité. LITTERATURE Collection des plus Belles Pages : Cyrano de Bergerac, avec une Notice de Remy de Gourmont, 1 vol. in-18, 3.5o, « Mercure de France ». Robert Dreyfus: Vies des hommes obscurs, Alexandre Weill ou le prophète du faubourg Saint-Honoré, 1811-1899, Cahiers de la Quinzaine. Léon Barry : Amicitiœ Sacrum, 1 vol. in-18, 3.5o, Lemerre. Lucie Paul-Margueritte : Paillettes, 1 vol. in-16, 1 fr., Sansot. Ovide : L'Art d'Aimer, le Remède d'Amour. Les Amours d'Ovide, le Jugement de Pâris. Edition illustrée, 1 vol. in-8 95, Librairie Moderne, Maurice Bauche. Si, depuis la pièce de Rostand, Cyrano de Bergerac est assez populaire en France, il l'est d'une façon légendaire et fausse, et en réalité tout à fait inconnu. Il y a loin de ce « bouffon que l'on joue sur le théâtre avec un faux nez » au vrai. Cyrano, disciple de Gassendi et de Descartes, créateur en France de la comédie en prose, philosophe, physicien, et grand écrivain. C'est ce véritable Cyrano que nous révèle M. Remy de Gourmont, dans ces « plus belles pages » où l'on trouvera le Pédant joué, cette comédie à laquelle Molière emprunta toute une scène du Médecin malgré lui, et l'Autre Monde, d'une hardiesse philosophique incroyable. « Ses idées en 1650, dit l'auteur de la Notice, sont exactement au niveau des plus libres que l'on puisse professer de nos jours. On peut les résumer en quelques mots : il ne croit à Dieu, ni à l'immortalité de l'âme ni à la morale conventionnelle. » M. Remy de Gourmont a découvert des pages Inédites de l'Autre Monde, qui en sont une preuve convaincante. Ces pages, qu'aucun des éditeurs de Cyrano n'avait encore publiée, ont un intérêt philosophique et sont de celles qu'il pouvait être dangereux d'imprimer au XVIIe siècle. Voici un passage sur le respect dû aux parents : « Encore, je voudrais bien savoir si vos parents songeaient à vous quand ils vous firent ? Hélas ! point du tout ; et toutefois vous croyez leur être obligé d'un présent qu'ils vous ont fait sans y penser. » Suivent des réflexions plus irrespectueuses encore, quelques pages plus loin, sur la virginité : « Cet honneur n'est qu'une fumée, car enfin tous ces respects dont le vulgaire l'idolâtre ne sont rien... » Il apparaît très simple à Cyrano que Dieu nous ait donné des sens pour nous en servir. Mais Dieu, c'est une expression : Si la créance en Dieu, fait-il dire prudemment à un de ses personnages, nous était si nécessaire, enfin si elle nous importait de l'éternité, Dieu lui-même ne nous en aurait-il pas infusé à tous les lumières aussi claires que le soleil qui ne se cache à personne ? Car de feindre qu'il ait voulu jouer entre les hommes à cligne-musette, faire comme les enfants « Tonton, le voilà ! » c'est-à-dire, tantôt se masquer tantôt se démasquer, se déguiser à quelques-uns pour se manifester aux autres, c'est se forger un Dieu ou sot ou malicieux... etc. Cyrano, qui mourut jeune, à trente-cinq ans, écrivit encore une Physique ou Science des choses naturelles. Là encore il fut un initiateur, et c'est de son ouvrage que s'inspira Rohault pour sa Physique (1). Ces Pages, qui nous le montrent sous ses divers aspects d'écrivain de philosophe et de physicien, nous permettent de dire que Cyrano de Bergerac fut un des cerveaux les mieux organisés de son siècle. Ce furent leur athéisme et leur impiété qui empêchèrent les ouvrages de Cyrano de se répandre, et Lacroix nous dit, dans l'Avertissement de son édition de 1858. qu'il est convaincu que, « jusqu'à l'époque de la Révolution de 89, les éditions de Cyrano de Bergerac ont été détruites systématiquement par les soins infatigables de la mystérieuse confrérie de l'Index ». (1) « A partir de 1671, toute la jeunesse française, durant trois quarts de siècle, prit les éléments de la science dans la Physique de Rohault. LES REVUES Revue de Paris : En souvenir de Ludovic Halévy, par M. H. Roujon. Revue hebdomadaire : M. de Civrieux à propos de la conquête du Maroc. Le Salon des poètes méridionaux : vers de Mme Hélène Picard. Hélios, nouvelle revue : programme. La Femme contemporaine : les Femmes et la lecture, par M. René Bazin.- Mémento. MEMENTO. La Revue des lettres et des arts (juillet). « Eté »,par Mme C. Périn. « L'intelligence des Fleurs », par M. E. Pilon. « La Question du nu », par M. L. de Romeuf. Les Entretiens idéalistes (25 juin). De M. E. Verhaeren : « La Gare des petites villes ». M. G. Casanova sur « François Coppée ». M. A. de Bersaucourt : « Villiers de l'Isle-Adam, conteur » (suite). M. P. Vuillaud : « Les Doctrines néfastes de l'Action française ». Le Feu (1er juillet). « Francis Jammes », par M. E. Sicard. « Les trois vertus plastiques », par M. G. Apollinaire. La Revue du Temps présent (25 juin). « J.-K. Huysmans et le Satanisme », par M. J. Bricaud. La Grande Revue (25 juin). M. A. Besnard : « Le Pastel ». Des poésies de M. F. Vielé-Griffin. La Revue (1er juillet). M. F. de Pressensé : « L'Angleterre pendant la guerre de 1870. » « Les Amoureux de Marie-Antoinette », par M. E. Faguet. « Propriété littéraire et Domaine Public », par M. E. Serre. La Rénovation Esthétique (juillet). « Aristocratisme », par M. E. Bernard. Des « pages » de M. F. Carco. « Sous le Harnais », roman militaire de M. L. Lormel. Roman et Vie (juillet). « La dernière soirée de Gérard de Nerval », par M. Valmy-Baysse. Revue de Paris (1er juillet). « Officiers et soldats », par le lieutenant X... « Baccalauréat et jeunes filles », par Mme Mathilde Salomon. LES JOURNAUX Les Journaux chinois (Bibliographie de la France, 17 juillet). Stendhaliana (Le Temps, 29 juillet). L'Esperanto (Le Matin, 31 juillet). ................................................................................................................................................................ Stendhal commence vraiment à être trop connu. Faudrait-il beaucoup d'articles comme l'article si convenable, si honnête, si modéré, si doux à la fois et si zélé, si comme il faut, enfin, de M. Paul Souday, pour refroidir quelques stendhaliens ? Mais c'est la loi. Les cultes littéraires, de même que les autres, émigrent de la grotte vers la chapelle, de la chapelle vers l'église, de l'église vers la place publique. Nous en sommes pour Stendhal à la place publique, puisque d'ailleurs son buste s'apprête à grimper sur la stèle propice. C’est un des points que M. Souday, dans le Temps, considère dans la publication de la Correspondance complète : que le produit permettra « d'ériger un buste à Stendhal dans le square Louvois ». Autre vœu : ce que les publicateurs de la Correspondance songent à nous donner la grande édition qui nous manque, l'édition critique, définitive et vraiment complète des œuvres du Maître ». Le zèle de M. Souday m'effraie un peu. J'avoue encore lui savoir fort peu de gré de ses invectives contre Colomb et Mérimée. Là aussi le zèle l'égare, ou peut-être la peur de ne point paraître assez avancé. C'est étonnant, ce que la critique littéraire de M. Poul Souday ressemble à la critique artistique de M. Thiébault-Sisson ! § M. Remy de Gourmont nous a conté dans le Matin l'aventure d'un jeune Levantin qui s'embarque pour Paris avec l'espéranto pour tout bagage linguistique. Voici la fin de l'histoire : Mon supplice, continua Radomir, avait commencé dès les premières heures du voyage. Impossible d'obtenir le moindre renseignement. Ni un voyageur ni un employé ne purent comprendre dans mon langage autre chose que quelques mots séparés, auxquels il leur était d'allleurs impossible d'assigner un sens précis. L'espéranto, vous le savez, est une mosaïque de vocables empruntés à diverses langues de l'Europe ; mais, ces vocables, il les déforme avec soin, leur ôtant, soit la première, soit la dernière syllabe. On arrive à des quiproquos lugubres. N'essayez pas de dire devant des non-initiés : cela me met en colère ; il vous faudrait employer le mot kolera, et vous verriez tout le monde se lever et fuir avec des figures blêmes. Maintenant que je sais un peu de français, je me demande par quelle aberration ces gens-là ont osé se servir du mot viol pour nommer une violette ? L'espéranto, cependant, m'avait appris un mot utile, le mot hôtel. Une fois logé, je n'eus plus qu'à me laisser vivre, sans ouvrir la bouche. J'écoutais. Je finirai bien, me disais-je, par entendre parler espéranto. Attente vaine. Je sortis, après deux ou trois jours bien tristes, et, malgré ma résolution, je me trouvai forcé d'adresser la parole à des passants. Or, en espéranto, « monsieur », se rend par sinjor, et « madame » par sinjorino. Avisant une jeune femme qui avait l'air des plus aimables, je m'avançai poliment vers elle, le chapeau soulevé, et, risquant un sourire, je murmurai : Sinjorino... Ce qu'elle répondit, je l'ignore, mais cela fut vif. J'étais déjà loin que cela sonnait encore à mes oreilles. Je ne comprends l'aventure que depuis quelques semaine. Les espérantistes me diront que je n'avais qu'à mieux savoir leur jargon, que sinjorino se prononce siniorino ; soit, mais je n'en persiste pas moins à croire qu'une langue qui prête à de telles confusions est voisine du burlesque. Je suis tout de même, acheva Radomir, content de mon aventure. Parti de chez moi avec beaucoup d'espéranto, j'y reviendrai avec un peu de français. C'est un gain admirable. Déjà, je vois s'entr'ouvrir devant mes yeux éblouis de barbare le trésor fantastique de votre génie. Le français me donne la clef d'un monde. La pensée des siècles s'incline vers moi. Par le français, je converse avec Renan aussi facilement qu'avec la fleuriste que je ne ferai plus rougir. Ah ! Monsieur, les Français qui enseignent, propagent ou vantent l'espéranto, ne croyez-vous pas qu'ils soient un peu traîtres à leur patrie ? C'est, dis-je, aller un peu loin. Nous les considérons plutôt comme d'inoffensifs maniaques. Des méchants et des ignorants, Monsieur, des méchants, des méchants, des méchants… On s'associera, je pense, à ces conclusions. R. DE BURY. ECHOS Calvin et Servet. Le monument Charles van Lerberghe. Une symphonie inédite de Nicolaï. Wagner et Bizet. M. Pierre Mille et le Document exact. Richard Wagner à Wurzbourg. Le onzième Hohenzollern. Le Sottisier universel. |