Tome LXXX N°290 16 juillet 1909 |
Jean de Gourmont : Les Muses. Essai de physiologie poétique REVUE DE LA QUINZAINE
Remy de Gourmont : Epilogues : Dialogues des Amateurs : LXXXIX. La Pluie Echos EPILOGUES Dialogues des Amateurs LXXXIX. La Pluie M. DESMAISONS. Oui, je soutiens que la pluie, la pluie d'été, la vraie pluie, répand sur nous de multiples bienfaits. D'abord elle empêche les imbéciles d'aller se promener. M. DELARUE. Permettez. M. DESM. Cela ne vous atteint pas. Je n'ai jamais supposé, bien que vous viviez beaucoup dehors, que cela soit sans but. M. DEL. Quelquefois sans but bien défini. M. DESM. C'est-à-dire avec de si nombreux buts qu'aucun ne vous fixe particulièrement. M. DEL. Sans doute, mais... M. DESM. Je reprends : la pluie entrave la promenade des imbéciles. Faire un tour ! Connaissez-vous une expression plus sordide ? Y en a-t-il une, et un acte, qui signale plus nettement la platitude de l'imagination, la lâcheté du vouloir, la mollesse des membres et du cerveau ? Faire un tour ! M. DEL. Vous êtes sévère pour les flâneurs. M. DESM. Non point. Pour les promeneurs. Le flâneur élit les vieux quartiers, les coins encore pittoresques, quête des bibelots, des jupes ou des scènes de mœurs. Le promeneur se promène. Il va devant lui et ne s'arrête que pour revenir. Il aime la bêtise riche des Champs-Élysées. Les grandes avenues mornes lui semblent royales et hygiéniques. « On respire », dit-il. Non seulement il est imbécile, mais il est asthmatique. M. DEL. Il y a du vrai dans votre distinction. J'ajoute que la pluie, quand elle n'est pas furieuse, ne décourage pas le flâneur. M. DESM. Vous voyez ! Maintenant je continue. Le second bienfait de la pluie, et bien plus grand, est qu'elle nous détache de la nature. Elle abolit en nous le désir des arbres, des champs, des rivières, des chemins, et des goûters sur l'herbe. M. DEL. Surtout. M. DESM. Elle nous rend aisée la réalité du travail quotidien et agréable la lecture la plus rude. Que de livres n'auraient jamais été lus sans la pluie ! M. DEL. On dirait qu'il y a des écrivains spéciaux pour ces journées-là. M. DESM. Il y a de secrètes sympathies : livres de pluie, livres de brumes, livres de gelée, livres de nuages, livres de soleil. M. DEL. Vous oubliez la neige, le verglas, l'orage, la grêle. M. DESM. Passons. Je ne voudrais pas avoir inventé la critique météorologique. M. DEL. Dites le troisième bienfait de la pluie. M. DESM. Il est énorme et laisse les deux autres bien loin derrière lui. Le troisième bienfait de la pluie est qu'elle nous enseigne l'illogisme, réparant ainsi, pour qui en sait profiter, les sottes méthodes des professeurs qui vieillissent à nous apprendre la logique de la vie. Pauvres gens ! Ils y croient peut-être, ayant lu Kant, logicien terrible et absurde. Mais la pluie tombe, et tout l'enseignement tombe aussi. M. DEL. Hein ? M.DESM. Est-ce que la pluie ne tombe pas toujours mal à propos, au moment où personne ne l'attend ni ne la désire, au moment où les astrologues de la tour Saint-Jacques, dignes fils de Nicolas Flamel, annoncent force chaleur, sécheresse et vents d'Orient ? La pluie se moque de l'homme et des dieux. Elle bafoue la nature, qu'elle inonde sans opportunité et la logique, qu'elle blesse avec insouciance. M. DEL. Voudriez-vous que la pluie tombât à jour fixe, ou la nuit, ou par saison, comme aux tropiques ? M. DESM. Non, certes. Où serait la leçon ? Les pays à pluie fixe ne seront jamais civilisés, car ils manqueront toujours du plus beau sujet de méditation philosophique, qui est la pluie imprévue. M. DEL. Ils ont les cyclones. M. DESM. Heureusement. Sans cela, comment auraient-ils appris qu'il n'arrive jamais que ce qui ne devait pas arriver ? Et alors, comment cultiveraient-ils l'intelligence, qui ne fleurit que sous des cieux illogiques ? C'est un grand malheur que l'on s'entête à enseigner aux enfants que deux et deux font quatre. Une telle notion est assez maligne pour gâter les plus beaux esprits. Mais nous avons la pluie qui nous enseigne que deux et deux font n'importe quoi ou rien du tout, selon les circonstances. Bénissons la pluie. Avez-vous quelquefois béni la pluie ? M. DEL Heu ! heu ! M. DESM. La belle pluie d'été, la pluie de la Pentecôte et du Quatorze-Juillet ! En vérité elle est pour moi non pas pluie d'eau, mais pluie de feu, ainsi qu'aux apôtres, et j'en suis toujours mieux trempé, si j'ose dire, pour le raisonnement abstrait, concret et utriusque generis. Cela me rendrait éloquent sur le collectivisme et les futurs bonheurs de la future cité. Toute la question est de savoir s'il pleuvra sur Salente, et personne n'en sait rien, ni la pluie elle-même. La pluie vaut le Peut-être et le Que sais-je ? La pluie, il y a en elle plus de philosophie que dans toute la maison de monsieur Alcan, et je ne conçois pas qu'on n'en ait pas encore tiré un système, un contre-système et un para-système pour concilier les deux premiers. M. DEL. Tiens, nous parlons de la pluie et le temps s'éclaircit. Le soleil ! M. DESM. C'est la logique de l'illogisme. M. DEL. Eh bien, ne voilà-t-il pas le titre même de la philosophie que vous demandez ? M. DESM. En effet, et la philosophie contradictoire s'appellerait l'illogisme de la logique. M. DEL. Et le troisième... M. DESM. N'empiétons pas sur les imaginations à venir. M. DEL. J'ai un reproche à faire à la pluie. M. DESM. Dites. M. DEL. C'est qu'elle me détend excessivement les muscles. M. DESM. Ah ! flâneur ! Restez chez vous. Mais ne ferez-vous pas à la sécheresse le reproche de les tendre à l'excès ? M. DEL. Non. M. DESM. Encore un bienfait. La pluie nous apprend à mieux connaître la diversité des natures humaines. À son cours d'illogisme, elle ajoute un cours d'individualisme. Pour moi, cher ami, mon corps se réjouit quand il pleut et je perçois le vent d'est comme un vent de torpeur et d'imbécillité. M. DEL. C'est ce qui fait que nous ne saurions être toujours d'accord. M. DESM. C'en est une des causes. Vous avez lu la Naissance de l'intelligence, vous avez noté ce que dit M. Bohn de l'influence de la déshydratation sur les organismes inférieurs ? Un peu d'eau de plus ou de moins dans les tissus, et voilà d'autres caractères, d'autres mœurs, une autre intelligence. Les facultés de l'âme, c'est de la chimie. Un verre d'eau ouvre l'esprit que la soif bouchait et trop d'eau le noie en son flux. M. DEL. Que de choses dans une goutte d'eau ! M. DESM. Plus de choses que nous n'en comprendrons jamais, cher ami, car, nous aussi, nous sommes venus trop tard à la source, après une jeunesse empoisonnée par les philosophies métaphysiques, morales et religieuses. Heureux les enfants d'aujourd'hui auxquels on apprend enfin que la vie est un phénomène physico-chimique... M. DEL. Avec quelque toute petite chose en plus. M. DESM. Quoi donc ? M. DEL. L'illogisme. M. DESM. Je suis pris. M. DEL. Les enseignements de la pluie... LITTÉRATURE Stendhal et l'Angleterre, par Doris Gunnell, 1 vol. in-8°, 6 fr., Charles Bosse. Paul Flat : Nos Femmes de Lettres, 1 vol. in-18, 3 fr. 5o, Perrin. Jean de Bonnefon : La Corbeille des Roses ou les Dames de Lettres, 1 vol. in-16, « Société d'Editions de Bouville et Cie ». Henry Bordeaux : Portraits de femmes et d'enfants, 1 vol. in-18, 3 fr. 5o, Plon. A. Mézières : De tout un peu, 1 vol. in-18, 3 fr. 5o, Hachette. LES REVUES La Nouvelle Revue : Mistral et la rime ; Mistral et Sainte-Beuve. La Grande Revue : M. L.-G. Lévy démontre que Judas n'a jamais existé. Nouvelle Revue française : M. Vielé-Griffin sur Swinburne. Les Guêpes : M. G.-M. Bernard, satiriste. Revue hebdomadaire : le Ct P. Renard, à propos des aéroplanes. Memento. ....................................................................................................................................................................... MEMENTO. La Revue de Paris (15 juin). « Le sacristain de Ronae », une nouvelle d'Auguste Strindberg. « Jours heureux », poèmes de M. A. Rivoire. Le Spectateur (1er juin) ouvre une enquête permanente en vue de réunir les éléments expérimentaux d'où ses rédacteurs construiront les théories des faits intellectuels observés dans leur réalité vécue. Ainsi, les professeurs, officiers ou ingénieurs, sont invités à adresser leurs remarques touchant l'intelligibilité. La contribution des juristes ou des administrateurs portera sur la classification. C'est une œuvre infiniment attrayante. Le Correspondant (10 juin) publie une étude de M. E. Faguet sur « la politique de Renan » d'après le livre de M. Gaston Strauss. La Revue (15 juin). « Une séduction en 1816 », par M. A. Chuquet. « Un nouvel aspect de la question féministe », où M. L. Vernon résume et expose les travaux de M. Otto Weininger, « un jeune philosophe allemand ». La Revue du mois (10 juin). « Qu'est-ce que vieillir ? par M. W. Ebstein. « Les Etudes grecques et la vie moderne », par M. E. Cahen. Poesia (avril-mai-juin-juillet). Cinquante et une pages de ce fascicule sont consacrées à son directeur et la quatre-vingt-douzième est remplie par le procès-verbal d'un duel. Un article signé Poesia a pour titre : Antonio Fogazzaro poeta degl'imbecilli. On peut lire, à la suite, un « chant futuriste » qui suffirait à venger l'auteur de II Santo si sa gloire de bon aloi n'y suffisait. On peut lire, heureusement, les « Visions de minuit », de M. Robert Scheffer, et plusieurs autres poèmes intéressants, dans les quelques pages étrangères à la publicité personnelle du directeur de la revue. Revue bleue (12 juin). M. Georges Lyon : « Berthelot philosophe et éducateur ». Akademos (15 juin) donne : « les Soldats », par M. Maxime Gorky. « Les Pins », poème de M. E.Verhaeren. Une « Théorie amoureuse de l'Androgyne », par M. Péladan. « L'arche de Noë », par M. Laurent Tailhade. La première partie de la tragi-comédie de M. Maurice de Faramond : « la Dame qui n'est plus aux camélias ». Un nouveau chapitre, injuste et mordant, des « Plumes d'oie et plumes d'aigle », où M. Robert Scheffer commente les auteurs contemporains. La suite d'un très curieux roman signé Sydney-Plage : « les Fréquentations de Maurice », etc., etc. La Phalange (20 juin) contient des poèmes de MM. Vielé-Griffin et Georges Périn, et « Jeux et Promenades », par MM. Legrand-Chabrier. Revue du temps présent (2 juin). M. Hugo Bertsch : « Le Premier amour du nomade ». M. T. de Visan : « La Tradition sans la littérature française. » M. Paul Roba : « Poèmes d'Espagne », etc.. Les Marges (juillet) contiennent des articles de MM. E. Montfort, E. Wuillermoz, Jean Viollis, Mme Louise Lalanne, Louis Rouart, un sonnet de Banville, de remarquables poèmes de M. Marc Lafargue, et un portrait du rare poète Raoul Ponchon, par M. G. Apollinaire, qui décrira ensuite feu Jarry, dans une galerie des « Contemporains pittoresques ». Vers et Prose (avril-mai-juin) a, cette fois, pour collaborateurs : R.-L. Stevenson, Hugues Rebell, MM. Moréas, Verhaeren, Jammes, de Faramond, J. Romains. M. J. Ochsé y écrit sur M. Henri de Régnier, et M. T. de Visan sur M. Albert Mockel. On y trouvera de nouvelles ballades de M. Paul Fort inspirées par Vélizy, Nemours et Recloses à sa muse héroïque ou familière avec une égale fortune. LES JOURNAUX La Victoire de Samothrace (le Gaulois, 2 juillet). Louis XVIII et la « canaille noire » (le Petit Temps, 4 juillet). Page inédite de Renan (le Figaro, supplément, 3 juillet). ECHOS Une mésaventure de M. Jean Royère. Epilogue. Prix littéraires. Une lettre de M. Maurice du Plessys. Le Monument Charles Guérin. Publications du Mercure de France. Le Sottisier universel. |