L'Œuvre (juillet 1897- avril 1899 ?) |
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Un mouvement d'idées et d'art commence à se dessiner avec netteté, en Province, qui s'accentue de jour en jour. Des revues d'avant-garde se sont fondées, dont le but est de grouper et faire valoir les jeunes esprits qu'éclairent les lumières de ce soleil éternel : l'Art, où se réchaufferont sans cesse les énergies et les volontés intellectuelles. Il importe de seconder d'une façon enthousiaste de si louables efforts, et c'est avec de belles espérances et de hautes joies qu'il convient de saluer cette véritable renaissance de l'Idée provinciale. Pour défendre ce riche patrimoine, des phalanges combatives se sont constituées, desquelles il faut attendre de bonnes luttes que couronnera, certes, le triomphe promis à une tentative ayant un aussi noble but que celui de conserver et perpétuer le goût, l'énergie morale, la saveur de terroir ; en un mot : le respect de l'atavisme idéaliste de la Province, demeuré trop longtemps sans réelle manifestation et sans rayonnement. C'est en possession de ce programme bien défini que nous entrerons humblement dans la lice, comptant sur l'appui valeureux de nos aînées et sur le désintéressement des Jeunes qui formeront la base solide de notre Œuvre et nous feront entrevoir un horizon baigné d'espoir derrière lequel sourira peut-être l'Avenir. LE COMITÉ DE RÉDACTION. Juillet 1897 Nos 5 et 6. 1re Année. Novembre-Décembre 1897 Jules Nadi : Le Sortilège de Vivre Le VIEUX ROI, par Rémy de Gourmont : une tragédie de douceur et de charme, avec de superbes envolées de poèmes. Ah ! l'admirable rôle de Guislaine, la fille du vieux roi d'Andaine, comme c'est bien la femme perfide, cruelle dominatrice, qui livre son père au régicide fer de son amant pour la définitive conquête de la souveraine puissance et de son amour. « Ne suis-je pas la reine, ne suis-je pas la maîtresse ? Ne suis-je pas celle dont l'audacieuse volonté féconda le complot dont l'avenir va naître pareil à un délicieux enfant ? Chair incorruptible, tête resplendissante, sourire dont le parfum décourage les roses, ô mon amour, ô mon amant, ô ma vie ! Je suis le monde à la veille de la création, je suis un chaos plein de beauté ; je contiens le soleil dans ma nuit et les étoiles dans mes abîmes ; des ruisseaux de paix et de joie coulent parmi l'ombre informe de mes montagnes, et la boue de mes marécages resplendit de la gloire pure des fleurs futures. Je suis la mer que gonfle le soupir prodigieux des orages et des vagues ; je suis le nuage qui va pleurer de joie ; je suis l'étendue ensemencée des terres à l'heure où le printemps va jeter sur le monde le voile divin de la puberté. Yoland, laboureur magnifique, voici ton œuvre, voici ta moisson, voici ton salaire, voici Guislaine... ....... L'amour est tout. Il est Dieu, il est le monde, il est la floraison universelle, les arbres gonflés comme les voiles et les herbes mouvantes comme les flots. Il est les bêtes, il est les fleurs, il est les femmes. Je suis une femme. Je suis la femme. Que m'importent vos guerres, vos cités, vos patries, vos lois, vos rois et toutes les chaînes dont vous parez vos épaules esclaves ! Je suis une femme. Je ne me soucie que de la joie d'être belle, joyeuse et féconde. Tout doit plier sous les pieds de ma joie : elle marchera en triomphe au-dessus de toutes les vanités et de toutes les tyrannies. Place, peuples, rois, sergents, nonnes, mendiants et prêtres, place ! C'est une femme qui passe. Agenouillez-vous. Elle s'en va vers son amant, génisse radieuse qui meugle à l'odeur du mâle... » Que M. Rémy de Gourmont me pardonne cette longue citation. Elle est le plus bel éloge que je puisse faire de son livre, il est des œuvres devant lesquelles on doit rester muet d'enchantements et d'admiration. Le Vieux Roi est de celles-là. JULES NADI. p. 122 N° 8. 1re Année. Février-Mars 1898 Alexandre Malizard : Etude sur Bancel Le IIe Livre des Masques, par Rémy de Gourmont, (Edition du Mercure de France). Voici une série d'études psychologiques précieuses sur les jeunes écrivains de l'heure présente. Rémy de Gourmont excelle à définir chaque talent. Profondément vibrant il subit toute entière l'émotion des œuvres d'art si diverses soient-elles, et à merveille il trace la limite de l'enclos où se déploient et fleurissent de multiples dons. Les figures sont brossées énergiquement d'une main sûre. Les traits caractéristiques apparaissent immédiatement, et ce sont moins des masques que très véridiques portraits. Le mérite de ces études est justement de ne point prétendre à la critique. Rémy de Gourmont s'est inquiété seulement de révéler le rapport des auteurs avec leurs œuvres, sans classification aucune, sans poser le critérium cher aux préparateurs de l'opinion publique ; et l'on ne peut qu'applaudir la belle loyauté qui lui fait dire en sa préface : « En littérature comme en tout, il faut que cesse le règne des mots abstraits. Une œuvre d'art n'existe que par l'émotion qu'elle nous donne ; il suffira de déterminer et de caractériser la nature de cette émotion, cela ira de la métaphysique à la sensualité, de l'idée pure au plaisir physique. » JULES NADI. p. 226 Nota bene : Les numéros 1 à 17 sont consutables sur Gallica. Page réalisée grâce aux renseignements donnés par Mikaël Lugan. |