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« Don Quichotte devant la pensée moderne », La Revue n°11-12, 1er-15 juin, 1916 [signalé par G. Poulouin, novembre 2000].
ENQUÊTE
DON QUICHOTTE DEVANT LA PENSÉE MODERNE (1)
(1) A l'occasion du tricentenaire de la mort de Miguel Cervantès, l'illustre auteur de Don Quichotte, un de nos confrères les plus distingués de la presse madrilène, M. V. Garcia Calderon, a eu l'idée de s'adresser à un grand nombre de nos écrivains pour leur demander ce qu'ils pensaient du chef-d'œuvre du génie espagnol. L'exiguïté de la place dont nous disposons ne nous permet pas de publier toutes les réponses reçues à ce sujet et nous nous excusons auprès de leurs auteurs. Nous avons choisi les lettres qui se complètent et permettent de dégager les sentiments de nos contemporains pour le « Chevalier de la Triste Figure ». (N.D.L.R.)
S'il n'est pas trop tard pour vous le confier, je garde une impression inoubliable de ma première lecture de Don Quichotte en une édition illustrée du XVIIIe siècle ; C'est par le merveilleux roman de Cervantès que j'ai d'abord senti, malgré l'ironie, la beauté de l'esprit de chevalerie, et je crois bien qu'il m'en est resté quelque chose dans ma conception de l'amour. Les vrais beaux livres sont ceux qui laissent leur empreinte sur la vie même...
J'ai souvent relu Don Quichotte... et quelquefois en sautant les pages, pourtant fort belles, qui interrompent la suite de l'aventure. Peut-être est-ce un péché de logique.
Oui, j'ai lu Don Quichotte, étant encore enfant, et j'y prenais beaucoup de plaisir. Mais je dois dire que cela tenait peut-être aux images, qui, si elles n'étaient pas de Gustave Doré, ce que je ne sais plus, étaient fort agréables surtout pour un enfant. Il est possible que ce soient les images qui m'aient laissé le souvenir assez net des principaux épisodes du livre, mais cela n'est pas certain, car j'ai vu, il n'y pas bien des années Don Quichotte au cinéma, et dénuée de texte, cette illustration me parut modérément intéressante.
On croit aujourd'hui que Don Quichotte symbolise le Don Quichottisme. Cela prouve que notre sentimentalisme a fait de grands progrès, je ne partage pas l'opinion commune, et je m'en tiens à celle qui avait cours au XVIIe siècle : Don Quichotte est un roman comique et satirique, un roman qui voulut ridiculiser et qui y réussit, la mode des romans de chevalerie qui faisait tourner la tête à l'Espagne. Loin de défendre la chevalerie, telle qu'elle apparaissait dans la bibliothèque de Don Quichotte, Cervantès la raille, mais avec tant de bonne humeur que cela a fini par sembler de la sympathie. Du reste, en son temps, elle était depuis si longtemps morte qu'il ne pouvait s'agir d'elle, mais de l'idée qu'on s'en faisait dans les romans ridicules, non à leur origine lointaine, mais par le travestissement que les successifs remaniements leur avaient fait subir.
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