Henry Fouquier, alias vicomte Nestor de Tinville (1838-1901) |
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Henry Fouquier est aussi mentionné, sous son pseudonyme de Nestor dans Ballade pour célébrer la confuse muflerie de ce temps aussi bien en ce qui concerne les bonnes mœurs que touchant les arts et les lettres.
« La scission », Épilogues Réflexions sur la vie. 1895-1898, Mercure de France, 1903. Février [1895] 10 La Scission. M. Fouquier écrit des Flaireurs, détachement admirable d'une nonchalance couchée sur des peaux de bêtes : « Je n'ai rien compris à cette fantaisie ennuyeuse et macabre. Est-ce de la réalité ? Mais où a-t-on vu les Pompes funèbres arriver la nuit avant qu'on les fît chercher ?... Est-ce un symbole ? Mais de quoi ? Je n'y ai rien compris, absolument rien, si ce n'est qu'un vent de folie, etc... » Mais est-ce vrai ? Sont-ils vraiment candides, ou bien abusent-ils du public pour savoir jusqu'à quel point un public peut être asinesque ? M Fouquier est instruit et intelligent ; telles de ses chroniques dissertations sont agréables à lire et même rémunératrices. Alors, comment expliquer par les voies droites qu'il nie l'évidente beauté du petit poème de M. Van Lerberghe ? Non, j'efface toutes les autres suppositions, et j'admets qu'il est authentique que M. Fouquier n'ait « rien compris aux Flaireurs ». Il a donc raison de le dire ; il doit le dire, même en rougissant, et avouer, même de mauvaise grâce, sa nette et puérile pensée. Alors nous pouvons, pendant trois minutes nous entendre, sur l'idéal terrain de ce méridien fantastique où l'heure est nulle et où s'annihile la contradiction des horloges. J'admets, moi, que M. Fouquier comprenne peu Maeterlinck, pas du tout Van Lerberghe et encore moins Mallarmé et quelques autres ; j'admets qu'il n'aime ni Villiers de l'Isle-Adam, ni Barbey d'Aurevilly, ni Hello, ni quelques autres ; or, moi, je comprends et j'aime les uns et les autres, et quelques autres, et je n'aime ni ne comprends Dumas où je ne trouve ne rien à aimer ni à comprendre. Est-ce clair ? Admettons donc une scission intellectuelle. Je crois que la solution de tous ces conflits littéraires serait qu'on ne fît juger dans les journaux les écrivains d'une génération ou d'une lignée que par des écrivains d'une même génération ou d'une même lignée. S'il est absurde que je juge Dumas qui m'est en somme totalement indifférent il est non moins absurde que, M. Sarcey ou M. Fouquier jugent d'Axël ou de la Princesse Maleine. Car il faut le redire, dût-on le redire cent mille fois, la critique doit être positive et explicative. C'est à ceux qui aiment de parler, et non à ceux qui haïssent ; c'est à ceux comprennent et non à ceux qui ne comprennent pas. Que le Figaro invite M. Vielé Griffin quand il sera opportun d'estimer les Flaireurs, et s'il s'agit de Marcelle (1), nous prierons M. Henry Fouquier ou son secrétaire. Depuis cette note écrite, M. Paul Adam a bien résumé la question. Il appelle cela le conflit du sentiment et de l'idée, et dit que nous sommes voués à une littérature idéiste et que nos prédécesseurs l'étaient à une littérature sentimentiste. La petite bourgeoise mal mariée et mal satisfaite des joies conjugales thème perpétuel de théâtre à la Dumas : M. Paul Adam réplique : qu'elle se démarie avec franchise, si elle se croit destinée à un bonheur irrégulier. Mais ses plaintes ! La prisonnière du Devoir est pour nous aussi désuète et aussi ridicule que la captive romantique qui gémit derrière les barreaux d'une geôle ogivale. Un devoir nié par le désir personnel de se réaliser euphoniquement n'est plus un devoir ; c'est un préjugé, et cela devient du vaudeville : tout l'intérêt est dans l'oscillation de la recette. (1) ?.
« La statue de Verlaine », Épilogues Réflexions sur la vie. 1895-1898, Mercure de France, 1903. Septembre [1896] 37 La statue de Verlaine. M. Fouquier, que l'on croyait calmé, s'est réveillé tout, comme le serpent caché sous les feuilles mortes, et il a lancé son venin sur le pauvre Lélian. Venin perdu, mais quel joli ton de mépris protecteur dans cette phrase d'un journaliste parlant d'un grand poète : « Nos voies furent différentes ».
R. de Bury (pseudonyme de Remy de Gourmont), « Les journaux », p. 531, Mercure de France, n°140, août 1901. § M. Fouquier commence ainsi une de ses chroniques : « Parlons un peu de poésie. » Et il en parle, hélas ! et il accumule les bévues. D'abord, il est en retard de douze ou quinze ans. Exemple : « Ils prétendent que la poésie est faite non pour exprimer des idées précises, mais pour évoquer des impressions de rêve, et les traduire à la façon de la musique. La nuit, disent-ils, quand vous songez, et même à l'état de veille quand vous regardez un paysage à la clarté obscure des étoiles, vous voyez passer devant vos yeux clos ou ouverts des formes indécises, et l'impression de terreur ou de plaisir que vous ressentez tient justement à leur indécision. C'est cette impression que doit traduire la poésie comme le fait la musique. » Comme cela s'applique bien à la poésie de Samain, aux derniers vers de Régnier, aux Stances de Moréas, aux poèmes lyriques de Vielé-Griffin, aux Elégies de Jammes, aux Ballades de Fort, aux « méditations » de Charles Guérin ! On n'aurait même pas mentionné cet article fugitif s'il ne contenait ceci : « J'ouvre au hasard j'en donne ma parole un livre de M. Kahn, qui est certainement un homme de talent. Dans ses Châteaux nomades, je copie trois strophes... » M. Fouquier n'a pas perdu sa journée du 28 juin. Il a donné un pendant au célèbre : « Lafargue que j'ignore. »
Février 1902 Quinze lignes sur Henry Fouquier. J'ai peur que l'on ne sache plus bien de qui j'entends parler. C'est un défunt du mois passé. Henry Fouquier ? Oui, ce journaliste qui rédigeait trois chroniques tous les jours... Un rhéteur de la petite espèce, toujours prêt à dire des choses convenables en un style honorable sur la question du matin, sur celle de midi et aussi sur celle de minuit. Ne pas insister sur sa vénalité : elle était décente et distinguée. Tout est relatif. Ce qui le caractérisa, c'est la haine de la poésie et de la haute littérature. Nul n'a bafoué avec un sourire plus jaune le génie de Verlaine, de Mallarmé, de Villiers de l'Isle-Adam. Nul n'a égalé son dédain de boulevardier supérieur. A prononcer le fameux : « Laforgue, je l'ignore », il se rendit la tête-de-turc des petites revues. Puis on l'oublia.
LA COUPE DE FAUST Coupe que mes aïeux se passaient dans la Fête, Henry FOUQUIER.
M. HENRY FOUQUIER Depuis longtemps, la Presse quotidienne nous a habitués à tous les partis pris, à toutes les ignorances, à toutes les affirmations hasardeuses. Mais nul, je crois, parmi ses protagonistes, n'a atteint, sous le couvert de la sérénité du penseur, au degré d'incompréhension, d'étroitesse d'esprit, de vilenie de M. Henri Fouquier. Aussi est-il révéré comme un maître, un professeur en journalisme, par la gent plumitive qui boit avidement toutes les sottises solennelles et prudhommesques chues de l'écritoire de ce péripatéticien boulevardier, de ce Nestor pour cocottes. On s'étonnerait de trouver parmi les thuriféraires un esprit tel que M. Paul Adam, si l'on ne savait, pour parler la langue de M. Fouquier lui-même, combien le milieu change les hommes. Je ne serais pas surpris davantage - tant les préjugés se propagent vite - que bon nombre d'âmes ingénues, parmi le public, ne fussent impressionnées d'une gloire philosophique si prônée par la réclame. Rassurez-vous, bonnes gens, ce n'est pas encore, quoi qu'on en pense au Pont des Arts, la Philosophie parisienne qui détrônera le Discours de la Méthode ou la Critique de Kant. Que M. Fouquier consacre sa chronique falote aux ébats de l'actrice callipyge ou au dernier crime sensationnel, passe encore. Mais que vient faire en art son exhilarante et grotesque incompétence ? Au nom de qui, au nom de quoi s'arroge-t-il le droit de donner des leçons aux poètes ? Bien qu'il tienne une plume depuis plus de trente ans, M. Fouquier ne compta jamais parmi les écrivains. C'est une épave de la politique qui crut trouver dans la publicité une compensation à ses déboires électoraux et administratifs. Il représente cette catégorie de folliculaires sans vergogne, de demi-lettrés, d'esprits superficiels et rétrogrades, hostiles d'instinct à toute innovation, à tout progrès ; mais aptes, comme feu Pic de la Mirandole, à disserter, au pied levé, avec une égale ignorance, de omni re scibili et inscibili, et qui malheureusement forment le noyau de cette opinion publique que l'Europe ne nous envie pas. A tous ces amateurs délicats, si difficiles pour les autres et si indulgents pour eux-mêmes, on est toujours tenté de répondre par le vers d'André Chénier que M. Fouquier connaît si bien : Nul n'est juge des arts que l'artiste lui-même. Chacun a sa bête noire, sa tête de Turc. Pour M. Fouquier, ce sont les écrivains nouveaux. Tandis que la plupart des mauvais vouloirs de la Presse se sont tus devant une tentative esthétique au moins digne d'intérêt, lui, en est resté à l'incompréhension malveillante du début. Pensez donc ! c'en serait peut-être fait du métier lucratif des scribes à scandale, des fabricants de vaudevilles diafoiresques, mélodrames mucilagineux, et autres épiceries, si le public venait à prendre goût aux productions de l'art vrai. Dans sa récente mercuriale aux Poètes, M. Fouquier parle, assure-t-il, au nom « de lettrés trop timides pour dire franchement ce qu'ils pensent. » Vraiment ? Sont-ce aussi ces timides lettrés qui lui ont appris que Stéphane Mallarmé et Arthur Rimbaud avaient « désarticulé » le vers français ? qui lui ont transmis, sous le titre de Vaisseau Ivre, la pièce célèbre de ce dernier, le Bateau Ivre ? Qui lui suggérèrent, enfin, l'idée burlesque que Rimbaud fut le « matelot douteux » de ce bateau ? Vous confondiez sans doute avec l'équipage de la Belle Eugénie, cher maître ? A la place de M. Fouquier je me méfierais d'une information aussi fantaisiste. S'il eut [sic] pris la peine de lire les susdits poètes, il eut [sic] pu constater que nul n'a élaboré de vers à contexture plus classique ; et que s'ils se montrent novateurs, c'est pour d'autres raisons. Mais peut-être, le sévère Aristarque tient-il moins à comprendre ces écrivains qu'à déverser sur eux les flots de sa critique fielleuse et sans bonne foi. Verlaine, surtout, en est la victime mémorable. Le débat remonte loin. Le poète, on s'en souvient, ayant eu l'audace grande de professer peu d'enthousiasme pour le génie de Nestor-Colomba, en le traitant, dans une de ses Invectives, de « cuistre sans orthographe », M. Fouquier se fâcha. Une chronique du Figaro, où l'insulte le disputait à la sottise, sans respect même pour la vie privée, nous servait des phrases dans le goût de celle-ci, écrite avec le jargon de charbonnier du coin : « Je ne tirerai d'autre vengeance que d'en citer le couplet final en demandant excuse (sic) pour des façons de dire d'une poésie un peu spéciale. » Et plus loin : la statue de Verlaine pourrait s'élever dans le Jardin du Luxembourg (sic) sub amica silentia lunœ. Prouvant ainsi surabondamment que l'Invective avait deux fois raison, puisque M. Fouquier ne manifestait d'orthographe ni en français, ni en latin. Après cela, peut-être était-il partisan de la réforme. Bien qu'Edmond Lepelletier ait relevé, à l'époque, comme il sied, les outrages prodigués à la mémoire de Paul Verlaine par M. Fouquier, ce récidiviste endurci éprouve encore le besoin de s'aventurer sur un terrain aussi dangereux. Il reproche aux amis du Pauvre Lélian d'avoir voulu « donner en exemple et en modèle son existence platement aventureuse... la bohème intéressée qui s'est fait industrielle et joue la comédie de sa propre existence devant les bourgeois dont elle exploite la niaise curiosité. » Les amis du grand poète n'auront pas à se défendre contre une aussi ridicule et odieuse accusation. S'il leur arriva de parler de la vie difficile créée à Paul Verlaine par des circonstances malheureuses, ce ne fut point pour la donner en exemple, mais pour répondre aux insinuations malveillantes des publicistes de l'école de M. Fouquier qui, mainte fois, lui en firent un grief. Et ils ont pu penser, certes, que c'était pitié de voir, dans notre société qui se prétend amie des arts et reine de civilisation, les Verlaine gémir misérablement sur un grabat d'hôpital ; les Mallarmé consumer, dans un labeur ingrat pour l'existence, le meilleur de leurs forces vives ; tandis que les Fouquier inondaient impudemment les journaux quotidiens de leurs plates élucubrations grassement rétribuées. Il est bouffon, vraiment, de voir agiter cette question d'intérêt et de morale par le dreyfusiste peu désintéressé que nous représente M. Urbain Gohier ; l'ami d'Arton de Panama : Ne parle pas, Arton je t'en supplie, Comme dit l'humoristique chanson de Cazals, le fondateur de la République, en 1870 (version de M. Paul Adam) République de la Cannebière et du fromage de Hollande, quand d'autres offraient leur peau aux balles teutonnes ; le publiciste généreux qui ne craignit pas d'attirer les foudres du Pouvoir sur le bibliothécaire écrivain, Rémy de Gourmont. M. Fouquier se donne volontiers comme le représentant parmis [sic] nous de l'esprit hellénique et disciple de Renan. Excusez du peu. Ce serait faire gratuitement injure à la mémoire de l'illustre penseur, du lumineux écrivain, du prince de l'exégèse que d'abriter sous son autorité les banalités méchantes et sans style que charrie la prose de ce « Fouquier-Tinville » de la littérature nouvelle. Non, doux philosophe, qui ne nous avez donné encore ni l'Histoire des Origines, ni même La Prière sur l'Acropole, jamais, malgré le masque de Nestor, vos lèvres ne sucèrent le miel de l'Hymette et ne burent à la source de l'Hippocrène : Monsieur Homais fut votre père nourricier, et Francisque Sarcey votre maître d'école. A. DE LAROCHE.
Charles Régismanset, Almanach littéraire Crès 1917, p. 70. Compliment ? |
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