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LES ROMANS
Remy de Gourmont : Un cœur virginal, « Mercure de France », 3.5o. Maurice de Waleffe : La Madeleine amoureuse, Fasquelle, 3.5o. Fernand Darde : Les Fleurs coupées, Dujarric, 3.5o. Pierre Louit : Le Personnage, Sansot, 3.5o. Jean Eriez : Ceux de Villaré, Plon, 3.5o. Gustave Amiot : Femme de peintre, Calmann-Lévy, 3.5o, Paul d'Abbes : La Volupté d'aimer, Ambert, 3.5o. André Maurel : Poème d'amour, Calmann-Lévy, 3.5o. Voos de Ghistelles : A travers le prisme, Theuveney, 3.5o. A. Aigueperse : Mona, Plon, 3.5o. Guy de Téramond : Une maîtresse juive, Méricant, 3.5o. Louis Delattre : Le roman du chien et de l'enfant, Association des écrivains belges, 1.5o. Renée Vivien : Le Christ, Aphrodite et M. Pépin, Sansot, 1 fr.
Un cœur virginal, par Remy de Gourmont.
Monsieur et cher Confrère,
Le sujet, sur lequel vous posez une main aussi légère que remplie d'habiletés, me semble d'une nature tellement délicate qu'il est plus convenable d'en parler avec vous sans passer par le public. Du reste, à quoi bon vous donner, officiellement, les louanges banales que l'on doit aux jeunes Maîtres soupçonnés d'en avoir encore besoin devant une foule ignorante ou des lettrés mal avertis ? Vous, vous étonnez la foule qui est toujours la femme et qu'il faut toujours surprendre, les lettrés vous consultent et cette double admiration suffit, je pense, à l'établissement durable de votre gloire. J'imagine donc, mon cher confrère, que vous vous souciez mieux d'amusantes discussions sur le thème que de plats compliments sur le texte. Qu'ajouterait-on, mon Dieu, sans vous paraître fade, au triple diadème de votre esprit ?... Poète, philosophe, romancier ! Il est même nécessaire d'insinuer journaliste, ce qui relève, d'une ronce, les fleurs de votre guirlande, mais la fixe plus solidement dans la mémoire de nos contemporains, dont la malheureuse coutume est de ne croire qu'aux produits de leur haie mitoyenne. Alors, ma seule ressource, pour vous convaincre de la sincérité de mes appréciations, c'est encore de vous écrire la lettre rigoureusement personnelle. (Ah ! que si je l'osais, comme elle serait anonyme et combien vous y auriez davantage de plaisir !) Sans plus de façon, j'aime votre Cœur Virginal. Je le préfère à vos derniers livres, surtout à la Nuit au Luxembourg. « Les autres, vous les aviez mal lus ? » Justement ! J'avoue mon indolence à suivre de si belles promenades littéraires; Je brûle la politesse aux gens dès que je sens qu'ils n'écrivent pas pour moi et quelle femme-foule suivrait longtemps les chemins de traverse de votre ironie toute hérissée de pièges psychologiques ? Oui, je préfère votre Cœur virginal à vos ouvrages sérieux parce que c'est le plus sérieux de tous vos ouvrages, le plus hardi. (Les femmes prennent souvent la hardiesse pour la force !) Mais qu'avez-vous fait ? Vous vous attaquez au problème de tous les problèmes féminins, à la source de toutes les vérités... problématiques, à la virginité, celle du cœur, puisqu'il faut bien imiter votre élégance de ton ! Vous allez déchaîner toutes les foudres et faire pleurer toutes les pudeurs ! « Pauvre enfant ! Pauvre héroïne ! Triste petite exilée de l'amour sentimental qu'on abandonne sur la terre étrangère du mariage de raison ! » Ah ! je les entends, les femmes, mes meilleures amies, naturellement, et dire que sans la précaution de la lettre personnelle il me faudrait scandaliser comme elles, traiter de lâche votre héros, ce qui est le suprême argument féminin lorsqu'il s'agit du brave garçon... qui recule après s'être trop avancé. Non, ce n'est pas le cœur virginal que j'aime, rassurez-vous, c'est son paisible jardinier qui effeuille les pâquerettes où dorment les lygées écarlates... sans vouloir les désunir. Je comprends cet homme et je l'excuse, moi, parce que je connais mieux que lui la petite madrée intéressante devant laquelle il s'apitoie jusqu'au respect maladif. Le respect, s'il peut devenir maladif, est toujours une preuve d'art et l'art en théorie d'amour est ce que j'estime le plus. On l'a trouvé odieusement technique, votre héros, et on ne s'est point aperçu que vous l'aviez voulu d'une loyauté poussée jusqu'à l'explication insolente. Et c'est en cela qu'il est absolument estimable. Il a joué carte sur table, même avec celle de son médecin. C'est à la fois un honnête homme et un consciencieux virtuose. Je ne connais rien de plus beau ni en art ni en amour... seulement, gardez mon aveu pour vous, hein ! Je ne tiens pas à me faire arracher les yeux entre quatre prunelles ! (tant qu'on nous permet de les conserver), votre M. Hervart avait-il donc la naïveté de croire à la pureté de l'impureté féminine ? Il n'y a jamais eu de cœur virginal... Jamais. (Quel bon titre, cher Monsieur, à cause de son imposture !) On n'est jamais vierge que par esprit de corps... Dès treize ans une femme est une vicieuse ou une chaste et dans un cas comme dans l'autre, elle sait tout. Maintenant, il y a des jours où elle oublie... de préférence le matin. La seule différence qui existe entre une femme faite et une gamine, c'est que la femme faite est beaucoup plus probe que l'autre ; mais je sous-entends propreté dans probité. Hervart n'est pas coupable. Ce savant curieux, doucement libertin, ne me choque pas, car il est homme avec une aisance de pensées qui appelle fatalement l'aisance du geste ; ce n'est pas lui, le Monstre... c'est Rose. J'ai connu la femme sous ces deux espèces, la vierge sage et la vierge folle, et la vierge la plus dangereuse est certainement celle qui sait arrêter un geste par un mot, surtout quand ce mot est la formule d'une pudeur de convention, celle qui met à l'amour le terme du mariage ! Celle-là, voyez vous, il n'y a pas de mariage de raison trop raisonnable pour elle. Je sais une jeune fille de vingt ans parfaitement élevée, chaste de corps et d'esprit, qui m'a dit ceci : « On devine bien ce que peut être un homme amoureux : c'est un enfant qui joue avec des mains sales !... Quel dommage ! » Est-ce que ce bon M. Hervart a jamais entendu, durant sa course à la vierge, rien de plus instinctivement technique ! Voilà pourquoi nos filles sont muettes ! Pauvres hommes ! Pauvres petits garçons de quarante ans ayant perdu la notion de la propreté, de l'hygiénique probité ! C'est eux que je plains ! Quand aux jeunes Roses, à peine décloses, il leur restera toujours l'esprit de l'escalier : celui de tomber dans les bras de leur second fiancé du haut de leur premier amour.
Pardonnez-moi ce bavardage, monsieur et cher ami, il est vain comme tout racontar de femme. Je n'allais point me mesurer avec vous sur le terrain de la psychologie, parce que je ne suis pas de ce sexe qui aime à être battu, mais je n'étais pas fâchée de vous confier quelques petits documents humains, sans valeur littéraire, que ma rosserie naturelle m'empêche de publier... pour moi-même !
Votre très dévouée servante.
Rachilde.
Mercure de France, 1er mai 1907, pp. 109-111.
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