John Charpentier, Le Symbolisme, Les Arts et le Livre, 1927

TABLE DES MATIERES

PREFACE
Le Symbolisme
FLORILEGE
Paul Verlaine
Le Comte de Lautréamont
Tristan Corbière
Arthur Rimbaud
Stéphane Mallarmé
Jean Moréas
Louis Le Cardonnel
Adolphe Retté
Stuart Merrill
Pierre Quillard
Gustave Kahn
Jules Laforgue
Francis Viélé-Griffin
Henri de Régnier
Georges Rodenbach
Albert Samain
Émile Verhaeren
Iwan Gilkin
Charles Van Lerberghe
Max Elskamp
André Fontainas
Albert Mockel
Francis Jammes
Marcel Schwob
Maurice Maeterlinck
Édouard Dujardin
A. Ferdinand Herold
Robert de Souza
Charles Morice
Remy de Gourmont

Remy de Gourmont, bellement dit par John Charpentier « ce don Juan de la connaissance », clôt ce « florilège des meilleurs écrivains du symbolisme » avec « Moritura », « Vision », « Prose pour un poète», « Les cygnes », « Les joies primitives » & « Le symbolisme ». Il est abondamment cité dans la préface, dont, en manière d'hommage, les dernières pages lui sont consacrées :

« Aujourd'hui, écrivait Remy de Gourmont dans la préface du IIe Livre des Masques, nous n'avons plus de principes, et il n'y a plus de modèles ; un écrivain crée son esthétique en créant son œuvre : nous en sommes réduits à faire appel à la sensation bien plus qu'au jugement. » Quelle sagesse dans une telle humilité, de la part d'un intellectuel de la qualité de ce nouveau Sainte-Beuve ! Quelle sagesse, mais aussi quelle souple aisance et quel raffinement subtil de dilettante, désireux de tout éprouver ou de tout comprendre ! Pour aborder les productions si diverses de son temps, et du Symbolisme, en particulier, dont l'art l'a toujours obsédé quand il a voulu faire œuvre de créateur, Remy de Gourmont ne s'est jamais embarrassé d'aucune doctrine. C'est qu'il n'y a guère d'hommes, d'une érudition aussi prodigieuse, qui aient été aussi peu livresques et se soient appliqués avec un soin égal à ne pas séparer leur intelligence de leur sensibilité pour les opposer, bientôt, l'une à l'autre. « Si vous ne sentez pas à manier les idées un plaisir physique à peu près comme à caresser une épaule ou une étoffe, laissez les idées » a-t-il été jusqu'à dire ; car il ne les croyait pas d'une autre essence, ni plus durables et plus respectables que la chair, dont elles sont les fleurs et les fruits... Cette sorte de hantise voluptueuse, sinon érotique, qui imprime à ses écrits les plus graves le même caractère qu'à ses compositions libertines, lui interdit, du reste, de tenir aucun raisonnement pour sacré, ni aucun jugement pour définitif. L'instabilité de son désir rend impartial ce don Juan de la connaissance, et pas plus que l'autre ne pouvait se borner à l'amour d'une beauté quelconque, il ne saurait s'arrêter à une conviction ou s'abandonner à une préférence. On lui a reproché de n'avoir rien apporté d'inédit. Mais ce n'était pas son affaire ; puisque, aussi bien, il s'est même défendu d'avoir cultivé le paradoxe. Dans toutes ses œuvres, qui vont de poèmes comme Divertissements, ayant un peu l'allure d'ingénieux pastiches, et de romans « de la vie cérébrale » comme Sixtine, à des traités de physiologie sexuelle comme La physique de l'amour ou à des essais philologiques tels que L'esthétique de la langue française, il ne faut point chercher autre chose qu'un stimulant pour la pensée. Il y a un élément de négation, que l'on est en droit d'assimiler, dans une certaine mesure, au dogmatisme, dans la philosophie sceptique d'un Anatole France. Remy de Gourmont, au contraire, que les hypothèses scientifiques de Quinton avaient cependant fortifié dans sa foi en la loi de constance intellectuelle et sentimentale, et qui se déclarait, d'autre part, « athée avec délice », n'a jamais rien voulu brûler de ce qui peut jaillir de l'émotion humaine, pour danser, ensuite, autour d'un petit tas de cendres... Il n'a pas pratiqué la « dissociation des idées » selon la formule dont il s'est servi dans Le chemin de velours, et qui a fait, depuis, une assez belle fortune, pour accumuler des ruines, mais pour susciter de nouvelles formes d'activité spirituelle. Il savait comme notre paresse native se montre complaisante à l'égard des vérités admises, et quelle séduction les lieux communs exercent sur ce goût d'obéissance qui est au fond de la plupart des hommes — quand l'incantation seule des mots ne suffit pas à opérer sur eux... A cela près qu'il ne visait point des fins morales comme « l'accoucheur » Socrate, c'était « une méthode de délivrance » qu'il pratiquait, lui aussi, avec une variété presque inépuisable de moyens, à preuve ses Epilogues, grâce auxquels, pendant des années, les lecteurs du « Mercure de France » ont éprouvé, sous le délice de savourer le miel de l'abeille, l'irritante piqûre de son dard... Je l'ai comparé, plus haut, à Sainte-Beuve. Mais si sa critique quand elle s'exerce sur le passé (Promenades littéraires) ne se rompt pas à un aussi grand nombre de « métamorphoses » que celle de l'auteur des Lundis, elle se révèle beaucoup plus compréhensive et impartiale à l'égard des contemporains (Livre des masques). Sa perspicacité, que n'altère la rancune ou l'envie, le sert à merveille aussitôt qu'il s'applique à l'étude d'un écrivain vivant, et qu'il va à lui avec « son corps tout entier ». Connaître les choses et les gens lui importe plus que « les apprécier doctoralement » et son incroyance ne l'a pas empêché non seulement, par exemple, de définir l'atmosphère mystique qui enveloppe la figure de Béatrice dans La divine Comédie (Dante, Béatrice et la Poésie amoureuse), mais de constater que tous les vrais poètes ont eu l'âme religieuse. Il a été bien utile à ceux de l'école symbolico-décadente qu'il a encouragés de sa sympathie, après que Charles Morice leur eut donné la flamme, et que ses « gloses » ou ses réflexions ont achevé de rendre conscients de leur esthétique. Une étude, si courte fût-elle, de cette école, ne serait point complète qui négligerait de le mentionner. Il me semble quant à moi, que je ne pouvais mieux terminer celle-ci qu'en la plaçant, en quelque sorte, sous le signe de son admirable éclectisme.

p. 134-1367.