REVUE DE LA QUINZAINE

LITTÉRATURE

Robert d'Humières : Le Livre de la Beauté, « Mercure de France ». — Louis Cario et Charles Regismanset : La Pensée Française, Anthologie des auteurs de maximes du XVIe siècle à nos jours, « Mercure de France ». — Francis Jammes : De l'Age divin à l'Age ingrat. Mémoires. Tome I, Plon. — Edouard Schuré : L'Ame celtique et le Génie de la France à travers les âges, Perrin. — Georges Soulié de Morant, Les Contes galants de la Chine, Fasquelle. — Frantz Toussaint, La Flûte de jade. Poésies chinoises, Piazza.

La Pensée Française. Anthologie des auteurs de maximes du XVIe siècle à nos jours. Ce livre, ainsi que le confessent les auteurs eux-mêmes, MM. Louis Cario et Charles Regismanset, offre aux lecteurs pressés que sont la plupart des lecteurs d'aujourd'hui « un maximum de substance dans le plus petit nombre de lignes ».

On trouvera, en effet, dans ce recueil, à côté de noms des plus célèbres auteurs de maximes, les La Rochefoucauld, Vauvenargues, Chamfort, Rivarol, Joubert, etc., ceux de penseurs moins connus et qui pourtant méritaient d'être cités. On fera des découvertes dans ce livre.

Mais aussi, il n'est pas nécessaire pour être qualifié de penseur de s'être astreint à ce comprimé littéraire qu'est la maxime.

Diderot, Helvétius, Stendhal, Vigny, Balzac, Sainte-Beuve, Barbey d'Aurevilly, Flaubert, Taine, Anatole France, Remy de Gourmont, Laforgue, Jules Renard, Courteline, etc., seront représentés ici par des pensées ou des réflexions sur la vie, extraites de leurs œuvres abondantes et complexes.

On a dit que ce genre littéraire des maximes pouvait être le meilleur ou le pire. Ce recueil de MM. Louis Cario et Ch. Regismanset prouverait qu'il est le meilleur, puisqu'ils ont choisi avec goût, érudition et joie, parmi tant de milliers de volumes, l'essence la plus pure et la plus, parfumée de la pensée française.

Caduc et désuet, s'indignent-ils, le génie des maximes ? (Il faut dire que l'un des. auteurs de ce choix, M. Regismanset, a composé plusieurs recueils de maximes qui lui permettent cette indignation : on en trouvera des extraits dans ce volume même.)

Qui pourrait affirmer, écrivent-ils, que demain ne naîtra pas un penseur qui renouvellera totalement ce genre par une heureuse inspiration ? Les genres littéraires ne meurent pas, ils se transforment. Et c'est peut-être une maxime !

Nullement épuisé, nullement futile, et pas si aisé que certains l'ont prétendu, l'art des maximes, écrivent nos critiques, présente, encore cet intérêt de fournir aux hommes, toujours partis « à la chasse au bonheur », suivant une formule qu'eût goûtée Stendhal, « des conseils précieux, des préceptes utiles et toujours bons à méditer ». Elles confirment en outre le plus souvent, ajoutent-ils, la belle théorie élaborée par M. Jules de Gaultier, le philosophe trop peu connu encore du Bovarysme, en nous montrant la tendance générale de l'homme « à se concevoir autre qu'il n'est », meilleur quand il s'agit de lui-même, pire quand il s'agit d'autrui.

Mais, constatent nos ironiques critiques, les maximes, sagesse condensée et stylisée, ne modifient d'ailleurs, en général ; en rien la conduite de leurs lecteurs.

La plupart de nos maximistes sont gens d'esprits. Or, écrivent MM. Cario et Régismanset, quoi qu'en puissent penser certains pauvres, l'esprit n'est-ce point ce qu'il y a de meilleur dans la pensée française ? « L'esprit, ne nous resterait-il que cela, suffirait encore à faire de nous le premier peuple du monde ! L'esprit, on ne s'en lasse jamais, c'est la précieuse liqueur, mieux que divine, humaine, dont on est prêt toujours à s'abreuver. »

C'est toute une cave de ces précieux vins de France que l'on trouvera ici, depuis les plus vieux crus du XVIe siècle jusqu'aux dernières annéss des plus récentes vendanges de la pensée française.

JEAN DE GOURMONT.

(Mercure de France, 1er janvier 1922, pp. 166-167)