Mon opinion sur le mariage tel qu'il est pratiqué à l'heure actuelle ? (1)


coll. Christian Buat (librairie Demarest).

1. — Mon opinion sur le mariage tel qu'il est pratiqué en France à l'heure actuelle ?

On ne fait pas beaucoup d'enfants en France, parce qu'il y a un trop plein, que toutes les carrières sont encombrées, et tous les métiers, etc. — mais on se marie encore beaucoup. On se marierait davantage si les formalités étaient moindres. Les tendances semblent les mêmes aujourd'hui qu'hier. Toute fille aspire au mariage, au vrai mariage. Et la plupart des hommes, désirant la possession exclusive d'une femme, prise vierge, sont obligés de demander au mariage la réalisation de ce désir. Je ne vois rien de particulier sinon —

2°. — Que ce désir est entravé par la Loi. La première réforme serait de se montrer aussi libéral que l'Eglise, et de supprimer le consentement des parents. C'est un archaïsme. Ensuite on réduirait à quelques jours les délais entre la déclaration à la mairie et la célébration. Quant à cette dernière cérémonie, elle pourrait se réduire à un simple enregistrement de contrat d'association. Le mariage logique, c'est celui des vieilles comédies : un notaire qu'on amène au cinquième acte. La parodie civile du sacrement est un peu ridicule, et piteuse.

3° Quant à l'union libre, elle est à la portée de tous. Si on n'en use que discrètement (sans apparat), c'est que les mœurs s'y opposent. Intus ut libet ; foris ut moris est. Les plus forts doivent reconnaître la prudence de cette maxime. D'ailleurs, on ne voit pas en quoi l'absence de cérémonie initiale changerait les rapports d'un homme et d'une femme, vivant ensemble, ayant des enfants. L'union se romprait plus facilement ? Oui, en cas de consentement mutuel. Mais dans les autres cas ? On oublie trop que les lois sont nées des relations humaines ; et non les relations humaines, des lois. Si demain le mariage était aboli légalement, il n'y aurait rien de changé. La loi écrite serait aussitôt remplacée par une loi de coutume, peut-être plus rigoureuse. Une discussion sur l'union libre tourne vite au verbalisme pur et simple. Les mots sont faciles à manœuvrer. Les faits, la réalité, sont un peu plus résistants.

Remy de Gourmont.


(1) Réponse probable à une « Enquête sur le mariage », lancée par La Plume dans le n°288 du 15 avril 1901 (p. 235) :

La question du Mariage est en France, de haute et presque tragique actualité, à cause aussi bien des nombreux problèmes sociaux qui s'y rattachent que des infortunes individuelles et imméritées de jour en jour plus fréquentes. Cette question ne peut rester d'ailleurs indifférente à aucun de ceux qui ont le souci de l'avenir de notre race.

Il nous a donc paru intéressant — et utile — de nous adresser aux personnalités qui jouissent d'une influence certaine sur les esprits, soit par leurs œuvres, soir par leur situation, et de leur demander :

1° Leur opinion sur le Mariage tel qu'il est pratiqué en France à l'heure actuelle.

2° Quelles sont les réformes qui leur semblent les plus urgentes et les plus facilement réalisables.

3° Si le Mariage, c'est-à-dire l'union légalisée de l'homme et de la femme, est indispensable au bon fonctionnement d'une société ; et, par voie de conséquence, si l'on peut prévoir ou si l'on doit souhaiter l'avènement de l'Union libre, c'est-à-dire de l'Union n'ayant d'autre règle que l'accord de deux volontés et ne demandant aucune consécration à la loi.

[information et texte communiqués par Mikaël Lugan]