La Graphologie, par E. de Rougemont, avec une préface de Remy de Gourmont,
autographes, « Les Hommes et les Idées », Mercure de France, 1913

Ce petit traité est une occasion pour se demander si la graphologie est, non pas une science, il ne faut pas abuser du terme, mais une méthode de connaissance digne de quelque crédit.

J'en avais toujours douté. Mais je suis toujours prêt à douter de mes doutes et je garde, devant tout ordre de choses que je n'ai pas méthodiquement approfondi, une grande sérénité d'esprit. Aurais-je jugé de la graphologie trop légèrement et d'après un préjugé ? C'est possible, car on l'a rangée pendant longtemps parmi les « sciences occultes » et il ne saurait y avoir de sciences occultes, le propre d'une science étant au contraire de tirer une vérité de la nuit et de la mettre en telle lumière qu'on en soit ébloui. M. de Rougemont fait allusion à cela et se défend de tout voisinage avec l'occulte. C'est déjà un peu plus rassurant. Il dévoile sa méthode et quoiqu'elle ne soit pas des plus rigoureuses et que la sympathie et l'antipathie y jouent, de son propre aveu, un certain rôle, elle n'est pas déraisonnable. Enfin, il en a donné des exemples contrôlables. Je connais assez bien par leurs œuvres, et jusqu'à un certain point par leur vie, les écrivains dont il a tracé la figure graphologique dans le Mercure de France et je puis en contrôler l'exactitude. D'autre part, je sais qu'il n'en connaît, pour sa part, aucun personnellement, ou, s'il les connaît, ce n'est que de hasard et par rencontre. Dans l'écriture de quelques-uns, dont il n'avait qu'à peine entendu parler, il a découvert des traits rares, cachés, quoique, pour leurs amis, avérés. Cela m'a même fait dire : « Voilà un talent redoutable. On ne saurait rien lui cacher. »

Depuis cela, je suis moins incrédule, peut-être même un peu croyant dans la graphologie.

D'ailleurs, je dois reconnaître qu'au cours d'expériences qui ont été recueillies par la Revue philosophique, il y a quelques années, il y eut même des résultats exacts dans une proportion qui atteignait quasi la totalité ! Il faut admettre donc qu'il y a un rapport entre l'écriture et la forme du caractère, ou du moins certaines dispositions physiques qui déterminent le caractère et les aptitudes. Au fond, cela n'est pas plus étonnant que la diversité des figures, des démarches, des gestes, qui ont bien aussi leur signification. L'homme est tout entier dans chacune de ses parties et dans chacune de ses manifestations : il suffit de l'y chercher pour l'y trouver.

Il ne faudrait pas penser après cela que je suis devenu tout à coup un fervent adepte de la graphologie ni surtout que je la croie capable de grandes révélations. A mon avis, elle ne dévoilera jamais que des tendances et elle ne pourra juger si ces tendances n'ont pas été surmontées par la volonté ou vaincues par d'autres tendances plus récemment acquises. Elle ne pourra jamais déterminer que par hasard la profession ni la classe sociale. Cela vaut mieux ainsi. Elle ne fera pas concurrence aux somnambules ni aux astrologues. La graphologie a été cultivée par un psychologue délicat et fort intelligent, quoiqu'on ait raillé ses excès, Alfred Binet, et elle tient beaucoup à ce qu'on n'exagère ni sa clairvoyance, ni même son importance. Mais aux mains d'un homme prudent, cela peut être plus qu'un jeu.

REMY DE GOURMONT.

A consulter :

Une lettre de M. E. de Rougemont

Une lettre de M. Jacques Brieu