Directeur : Léon Bocquet

Le Beffroi, 12e année, fascicule 95, novembre-décembre 1911

Sommaire :

Henri Delisle : La Sagesse, p. 213

Enquête : Littérature et Morale, p. 215

Réponses de : Mme Rachilde,

MM Georges Le Cardonnel, Ernest Gaubert, Rémy de Gourmont, Fernand Gregh, Eugène Hollande, Francis Jammes, Hugues Lapaire, Léo Larguier, Marius-Ary Leblond, Sébastien-Ch. Leconte, Legrand-Chabrier, Henri Malo, Victor-Emile Michelet, Francis de Miomandre, Eugène Montfort, Maurice des Ombiaux, Edmond Pilon, M.-C. Poinsot, Armand Praviel, Léon Riotor, Edouard Rod, Romain Rolland, Emile Solari, Emile Verhaeren, Georges Virrès.

Les Poèmes, par Léon Bocquet.
Illustrations, par Marc Moréen.
Les Revues.


LITTERATURE ET MORALE

On se plaint souvent, et non sans raison, de l'insignifiance et de la défaveur de la littérature dite honnête ; on déplore, tout aussi justement, l'amoralisme, la perversité et la diffusion d'une autre littérature qui représente, ou prétend représenter, à l'étranger surtout, le goût, les aspirations et le génie français.

Il y a la matière à sérieuse discussion. On peut à ce propos poser les questions suivantes :

I° La littérature peut-elle et doit-elle tendre délibérément à devenir honnête et morale ?

2° Le bon livre est-il, par définition et destination, un livre stupide, fade et ennuyeux ?

3° Un écrivain peut-il, sans manquer à l'art et sans déchoir, se mettre à la portée d'un public représentant la moyenne des idées intellectuelles et morales ?

4° Quelles sont les raisons de l'état de choses actuel dans les lettres françaises au point de vue de la santé morale ? Et, si l'éducation des auteurs d'une part, du public d'autre part, est pour quelque chose dans cette situation, y aurait-il un moyen pratique de donner à la littérature une orientation nouvelle, conciliant et sauvegardant à la fois les exigences de l'art, les tendances traditionnelles de la race et une irréprochable tenue morale ?

Tel est le sujet d'une vaste enquête qui se poursuivit en 1909 et 1910 dans la Revue Française. L'ampleur inespérée de cette consultation, aussi bien que le caractère familial de la revue où furent publiées plus de cent réponses m'empêchèrent de faire paraître alors toutes les opinions émises à ce sujet.

Plutôt que de ne pas faire connaître le texte in-extenso de mes correspondants, j'ai préféré garder par devers moi jusqu'à l'occasion favorable un certain nombre de réponses, celles qu'on va lire ici. De récentes et maladroites poursuites intentées presque simultanément contre le romancier Ch.-Henry Hirsch et le dessinateur Poulbot, puis le mouvement de protestation provoqué parmi les artistes et les littérateurs grâce à la pétition dont M. Paul Reboux a pris l'initiative, m'ont paru opportuns pour fournir aux pages que voici une saveur d'actualité. L.-B.

M. Ernest GAUBERT.

La liberté, la liberté,
Dans l'art comme dans la cité !...

Je pense que la chaste Nausicaa, jouant avec ses compagnes, et l'ardente Phryné sans voiles devant les vingt mille pèlerins d'Eleusis rayonnent d'une égale beauté aux yeux de l'artiste.

Le bon livre, mais c'est le Dominique de Fromentin, les Martyrs de Chateaubriand ou les Lettres d'Eugénie de Guérin, des œuvres vivantes et émouvantes au même degré que les autres.

Cette question de la moralité de l'art n'est guère de ma compétence. J'admire Voltaire et Pascal et j'admets au même Olympe, la sévère Minerve et la douce Vénus. D'ailleurs, un Boccace vous répond qui composa également des livres graves et des contes joyeux.

Quant à ce qu'on appelle les mauvais livres, ils sont surtout nombreux aux heures où les peuples sont grands et les arts féconds. C'est un fait !

M. Rémy de GOURMONT.

Les questions de morale, futiles en toute occasion, sont spécialement étrangères à l'art.

M. Fernand GREGH.

Je réponds dans l'ordre des questions à votre intéressant questionnaire :

I° La littérature peut-elle, etc. Non.

2° Non. 3° Non.

4° Notre littérature considérée dans son ensemble vous paraît-elle si malade? Il n'y a que les étrangers pour acheter certains « livres français » d'ailleurs édités à Bruxelles, ou à Berlin...