En 1914, Margaret Anderson avait fondé The Little Review, l'organe le plus avancé parmi les revues américaines — littérature, musique, critique, théâtre, cinéma, peinture, sculpture, architecture et machine. Sa revue portait comme « slogan » : « Un magazine ne faisant aucune cocession au goût du public ». Elle n'était pas destinée aux écrivains « moyens » comme Sinclair Lewis, et n'était pas non plus une petite chapelle. Créée pour et par l'élite de tous les pays, elle présentait Rimbaud, Apollinaire, Max Jacob, Cocteau, Paul Eluard, Reverdy, Louis Aragon, André Breton, Delteil, Radiguet, Jules Romains et Gide, Tzara et Philippe Soupault... Stravinsky, les Six, Satie, Schoenberg, Bartok... Picasso, Modigliani, Derain, Matisse, Braque, Léger, Juan Gris, Picabia, Marc Chagall... Brancousi, Zadkine, Lipschite et l'étonnant Gaudier Brzeska, le jeune sculpteur polonais tué pendant la guerre en combattant dans l'armée française. Dans la littérature anglaise The Little Review publiait Ernest Hemingway, Aldous Huxley, T.S. Eliot, Ezra Pound, Gertrude Stein, et elle fut la première à imprimer en « sérial » le chef-d'œuvre qui a bouleversé la littérature contemporaine anglaise — Ulysse de James Joyce. Dans la puritaine Amérique, cette publication fit scandale. Margaret Anderson et sa collaboratrice Jane Heap furent accusées de publier une littérature obscène. Il y eut un procès qu'elles perdirent brillamment. On brûla tous les numéros de la revue dans lesquels Ulysse avait paru et l'on prit les empreintes digitales des deux condamnées comme si elles étaient des criminelles. Le cas est historique. Maintenant le livre de James Joyce est admis partout, même à New-York où il fut dernièrement l'objet d'un débat juridique. Cette fois-ci Ulysse fut déclaré non obscène mais émétique, donc d'une influence très morale.

A Paris, en mai 1929, Margaret et Jane firent paraître le dernier numéro de la Little Review avec l'annonce suivante que je traduis textuellement : « Nous avons présenté vingt-trois mouvements d'art moderne, représentant dix-neuf pays. Pendant plus d'une décade nous avons découvert, glorifié et tué. Nous avons bataillé, souffert de la faim et risqué la prison. Nous avons gardé le record de toutes les manifestations les plus énergétiques de l'art contemporain. Les archives de la Little Review constituent un cinéma du monde de l'art moderne. Notre mission est finie. L'art contemporain est « arrivé » et pendant cent années, peut-être, il n'existera plus que — répétition.

(Georgette Leblanc, La Machine à courage, J. B. Janin, 1947, pp.64-65

T.-T. Clayton , « Le Latin mystique », Little Review, février-mars 1919

Richard Aldington, « Remy de Gourmont after the interim », Little Review, février-mars 1919 (numéro consacré à Gourmont) ; traduit par Thierry Gillybœuf, « Remy de Gourmont après l'intérim », Nouvelle Imprimerie gourmontienne, n° 1, automne 2000

A consulter :

http://www.littlereview.com/mca/mca.htm

http://en.wikipedia.org/wiki/The_Little_Review