Léon Séché : Lettres inédites d'Hortense Allart de Méritens à Sainte-Beuve,577
Henri de Régnier : Le Palais rouge, poésie, 599
Remy de Gourmont : Une loi de constance intellectuelle (deuxième partie), 601
Albert Gayet : Deux prêtresses du culte d'Antinoüs, 616
Stuart Merrill : Ecrit dans la tristesse (poésie), 627
Edouard Maynial : Jacques Casanova chez Voltaire (fin), 630
Max Deauville : Le Vicomte de Spoelberch de Lovenjoul, 646
Edmond Pilon : Madame Greuze, ou « la Cruche cassée », 665

Revue de la Quinzaine : Remy de Gourmont : Epilogues : Dialogues des Amateurs : LI. Sports, 678. — Pierre Quillard : Les Poèmes, 681. — Rachilde : Les Romans, 685. — Jean de Gourmont : Littérature, 690. — Edmond Barthèlemy : Histoire, 694. — A. Van Gennep : Ethnographie, Folklore, 699. — Charles Merki : Archéologie, Voyages, 703. — Charles-Henri Hirsch : Les Revues, 707. — R. de Bury : Les Journaux, 712. — Maurice Boissard : Les Théâtres, 707. — Jean Marnold : Musique, 722. — Charles Morice : Art moderne, 727. — Paul Souchon : Chronique du Midi, 731. — Henri Albert : Lettres allemandes, 785. — Henry-D. Davray : Lettres anglaises, 740. — Ricciotto Canudo : Lettres italiennes, 745. — Rachilde : Variétés : Sarah Bernhardt, 749. — Jacques Daurelle : La Curiosité, 752. — Mercure : Publications récentes, 754 ; Echos, 755 ; Tables de l'annnée 1907, 761.


LITTERATURE

Joachim Merlant : Senancour, sa vie, son œuvre, son influence ; Fischbacher. — Ernest Gaubert : La Sottise Espérantiste ; Bernard Grasset. — Pierre Corrard : L'Homme qui a découvert son « Moi » ; La Librairie Mondiale. — Henri Massis : Le Puits de Pyrrhon ; Sansot. — D. Henry-Asselin : Le Cendrier ; Édition du Feu. — Le Cœur humain de Qui ? Ollendorff. — Dr M. Tresch : La Fontaine, Naturaliste dans ses Fables ; Beffort, Luxembourg.

Senancour fut un être inquiet, maladivement inquiet. Il n'eut guère qu'une curiosité : lui-même. C'est ce qui donne une valeur à son œuvre, qui est une perpétuelle analyse psychologique et comme une confession de ses multiples déceptions. Ame mystique jusqu'à la religiosité, il eut cependant assez de scepticisme et d'ironie pour ne pas se prendre trop au sérieux, et acquit, en sa maturité, une certaine sérénité. Mais la maladie de la certitude le prit, coïncidant sans doute avec un état d'infirmité physique. C'est cette concordance qu'il serait intéressant d'étudier, sans aucun sentimentalisme, ni esprit de secte, au lieu de rechercher dans l'œuvre de Senancour, comme le fait M. Joachim Merlant, en ce gros livre, le penseur religieux. Pour lui, Obermann doit être considéré comme une étape entre l'incrédulité épicurienne et la foi. Et ainsi, ce sont les Libres Méditations qui exprimeraient la vraie pensée de Senancour. Ces pieuses méditations sont commentées ici par M. Merlant, avec la même ferveur et le même esprit critique qu'en pourrait mettre un pasteur protestant à expliquer la Bible aux fidèles. D'ailleurs il écrit :

Par le fond de ses croyances, comme par sa méthode, Senancour est un protestant libéral. Il pose le fait religieux comme irréductible à aucun autre, et il part de la nécessité et de la suffisance d'une expérience religieuse personnelle. Toutes les notions qui se révèlent les soutiens d'une vie morale intense sont présumées vraies.

Il s'est obstiné, dit-il encore, à chercher un sens à la vie, et...

Par un retour méthodique et réfléchi, où les faiblesses du cœur n'étaient pour rien, s'est placé peu à peu sous les influences morales et religieuses qu'il avait, par un effort artificiel et arbitraire, éliminées des premières phases de sa vie intérieure.

Enfin, toujours d'après M. Merlant :

Il a fait, finalement, bon marché de son moi — il ne s'y est jamais complu, faut-il le dire, avec l'énorme infatuation, la maladive vanité de Stendhal.

Disons que Stendhal a gardé jusqu'au dernier jour sa lucidité critique et intellectuelle ; Senancour, qui cherchait un sens à la vie, a fini par le trouver, presque tout fait d'ailleurs, dans les dogmes d'une religion. Peut-être que son inquiétude devait aboutir à ce nirvana consolateur. Mais même dans le Senancour presque chrétien, on retrouve encore, et c'est ce qui nous console, un peu du sceptique d'autrefois, un peu du disciple de Montaigne.

Ce livre, qui a pour but de faire connaître un écrivain méconnu,. nous le déforme. Senancour était beaucoup plus, dégagé de moralisme que ne l'indique M. Merlant, mais pour l'auteur la presque conversion de Senancour, c'est la guérison de ce « névrosé esthète et jouisseur qui finit en moraliste.

Obermann, juge-t-il, est presque tout entier, la confession d'un mystique. enlizé dans l'épicurisme, où le retient la complicité d'un rationalisme encore étroit, — mais qui, peu à peu, s'en sauve.

J'espère, par ces citations, avoir bien fait comprendre le livre de M. Merlant, et avoir montré le poison moral qu'il contient. Il y a cependant dans cet ouvrage des documents « inconnus ou inédits » et une vie de Senancour où M. Merlant a ajouté, aux témoignages de Mlle de Senancour, les propres confidences de l'auteur d'Obermann, éparses dans ses œuvres. On sait que M. Merlant a déjà publié : La Bibliographie des œuvres de Senancour, avec des documents inédits. — Lettres de Senancour à Sainte-Beuve, Denis, etc. — et Notes sur un premier ouvrage attribué à Senancour.

§

Dans ce pamphlet : La Sottise Espérantiste, M. Ernest Gaubert défend la langue française contre l'envahissement de l'espéranto, avec une ardeur et une éloquence admirables. Mais nous ne sommes sans doute pas si menacés : l'espéranto n'envahira jamais notre littérature. Soyons indulgents. L'espéranto, ainsi que son aïeul le volapuck, n'est qu'un essai de langue universelle, destiné à la même faillite que son prédécesseur. Laissons ces prétendues gens pratiques se télégraphier en signes ridicules. Je doute qu'ils se comprennent; En tout cas, même si une langue artificielle venait à s'implanter, elle ne serait jamais une menace pour aucune langue vivante. Un volapuck quelconque ne sera jamais que la traduction barbare et imprécise d'une pensée conçue en une langue vivante. Je ne crois donc pas au péril espérantiste : nous avons trop d'esprit et trop de goût, en France, pour que l'espéranto ne tombe pas sous le ridicule : « Vous ne lisez donc pas les chefs-d'œuvre répandus en Francujo, Anglujo, Danujo, Germanujo, Italujo, Polujo, Svedujo, Hispanujo et Sottisujo ?.... » Et les Elektijaj Fablej de la Fontaine ? (Traduisez Fables choisies.)

Quant à l'élection d'une langue existante, comme langue universelle, il est difficile de s'entendre. Sans doute la langue française a fait ses preuves et elle devrait être conservée comme « instrument de communication » par tous les peuplés civilisés. Mais cela suppose, de la part des autres nations, plus fortes que nous, une sorte d'abdication, et d'ailleurs aucune nation, à l'heure actuelle, n'est assez prédominante en Europe, pour imposer sa langue. Si la langue diplomatique est toujours le français, les échanges commerciaux se font davantage en anglais et même en allemand. Mais, comme le dit, dans un avant-propos, M. Remy de Gourmont : « Dans le monde littéraire international, la correspondance se fait en français ; les Anglais eux-mêmes y viennent, si rebelles aux langues étrangères, ce qui est une force. » Soyons, nous aussi, de plus en plus rebelles aux langues étrangères, et surtout aux langues artificielles. Si on parle moins le français, c'est sans doute parce que nous nous sommes mis, avec trop de bonne volonté, à apprendre l'anglais et l'allemand.

§

L'Homme qui a découvert son « Moi ». Dans ce petit manuel, M. Pierre Corrard nous enseigne sa méthode d'atteindre le bonheur en cultivant son égoïsme. La prière d'insérer nous annonce qu'il y a dans cet opuscule « d'ingénieux paradoxes, et aussi des pages d'une incontestable vérité, d'une poésie ardente, d'un charme délicat et puissant ». J'aime cette incontestable vérité. Mais paradoxal, non, ce livre vient trop tard après Nietzsche pour le paraître, et le lecteur un peu cultivé n'éprouvera aucun étonnement. Et puis, c'est extraordinaire ce qu'il y a d'écrivains et de penseurs qui découvrent la vie et le bonheur et prétendent nous en donner la recette. Les êtres vraiment heureux et vivants ont-ils ce besoin de prosélytisme ?

§

Dans Le Puits de Pyrrhon, de M. Henri Massis, on retrouve tout le scepticisme éclectique de M. Anatole France, à qui d'ailleurs ce livre est dédié. C'est un essai d'expliquer et de justifier, par un habile sophisme, la ferveur socialiste d'un philosophe jadis ennemi de tout dogme : Repousser tous les systèmes. « Eh ! mon ami, c'est encore un système que celui de n'en avoir pas. » Certes, il est des scepticismes aussi dogmatiques que des religions. Mais le socialisme est vraiment une religion trop inférieure.

§

Le Cendrier, par M. D.-Henry Asselin. Notes et réflexions ironiques et presque philosophiques sur la vie de tous les jours, sur la femme, sur l'amour et ses nuances. Des découvertes encore. L'auteur, qui ne manque pas de finesse, doit être très jeune : son ironie est très naïve : « Si vieillesse pouvait, elle recommencerait, sans doute, — mais si jeunesse savait, certes elle ne commencerait pas. » Quel précoce découragement ! L'auteur l'explique : « Le jeune homme de vingt ans qui dit : j'ai vécu : la vie me dégoûte ! — n'est risible que lorsqu'il n'est pas persuadé de la vérité de ce mot ; mais lorsqu'il croit que cela est, alors il devient vraiment digne de compassion !... »

§

Le Cœur humain de Qui ? Ouvrage anonyme. En épigraphe, ces vers de Musset qui donnent leur signification à ce titre et au volume :

Le cœur humain de qui ? Le cœur humain de quoi ?
Celui de mon voisin a sa manière d'être :
Mais, morbleu ! comme lui j'ai mon cœur humain, moi !

C'est donc un cœur humain tout à fait spécial que l'auteur a prétendu nous révéler en ces pensées qui font songer aux maximes de La Rochefoucauld.

C'est parfois le même procédé concis, et parfois aussi les mêmes pensées : « Il y a une bonté négative qui n'est en quelque sorte que l'impuissance d'être méchant. » — « En politique, on réussit moins par ses propres mérites que par les fautes de ses adversaires. » — « Demandez à l'ambitieux ce qu'il lui a fallu de fois s'abaisser pour s'élever », etc., etc. On a l'impression d'avoir déjà lu cela.

§

La Fontaine, Naturaliste dans ses Fables, par le Dr M, Tresch. Etude sérieuse et belle sur la littérature du XVIIe siècle, où la nature, dit l'auteur, n'est étudiée que par rapport à l'homme. Les écrivains de cette époque ne regardent pas, n'éprouvent aucune émotion devant la nature. Boileau, dans ses promenades champêtres, ne cherche et ne trouve que des rimes. Molière, dans la mise en scène de son Malade imaginaire, donne cette curieuse indication : « Lieu champêtre, néanmoins fort agréable. » Seul parmi les écrivains du grand siècle, dit M. Tresch, La Fontaine a vu la nature, L'auteur le prouve par d'abondantes citations expliquées et commentées avec le goût d'un poète et la science d'un naturaliste. Il démontre que le fabuliste a été le seul poète classique rêveur et personnel avant les Romantiques, mais aussi l'exactitude de ses descriptions et de ses portraits de bêtes : « Travaillant sur le même sujet que Buffon, le poète laisse loin derrière lui le naturaliste, sous le rapport de la vérité objective. Et tel est le prodige de l'art que ses créations sont aussi vraies et en même temps plus vivantes que celles du savant documenté. »

L'auteur se félicite de la manière assez nouvelle « pour être de son temps » dont il a su dire son admiration pour le fabuliste, et il ajoute qu'il a eu le plaisir de se trouver souvent d'accord « avec le livre tout récent d'un critique quelquefois paradoxal, souvent profond, mais jamais banal : Remy de Gourmont. » M. Tresch est professeur à l'Athénée, à Luxembourg.

JEAN DE GOURMONT.


LES JOURNAUX

Balzaciana (Gil Blas, 11 novembre, Intermédiaire, 20 novembre, Figaro, 30 novembre). — Bouvard et Pécuchet sociologues (Le Temps, 21 novembre). — Le Réveil wallon, n°1. »


ECHOS

Une lettre de M. Marcel Boulenger. — Un monument à Charles Guérin. — Sépulture Alfred Jarry. — Un monument à Alfred de Vigny. — Folklore savoyard et genevois (suite). — Hongrie et Grande-Roumanie. — Prix littéraires. — Muses romantiques. — La Revue des Etudes Ethnographiques et Sociologiques.— Publications du Mercure de France. — Le Sottisier universel.

Une lettre de M. Marcel Boulenger :

5 décembre 1907.

Monsieur,

L'un de vos rédacteurs, M. R. de Bury, relève un titre, le Vieux Marcheur, parmi une liste de livres pornographiques cités par moi au cours d'un article de l'Intransigeant. Il y a là de ma part soit une coquille non corrigée, soit une inadvertance. C'est l'Almanach du Vieux-Marcheur que je voulais dire.

M. Henri Lavedan est un écrivain dont j'admire infiniment l'œuvre. Et je serais bien fâché que l'on vît, par ma faute, l'un de ses ouvrages en pareille compagnie.

Je vous serais obligé, Monsieur, de vouloir bien publier ma protestation. J'en appelle pour ce faire à votre courtoisie, et vous prie de recevoir l'expression de mes meilleurs sentiments confraternels.

MARCEL BOULENGER.

§

Un monument à Charles Guérin. — Un comité vient de se constituer en vue de l'érection, à Lunéville, d'un monument à Charles Guérin, mort si prématurément le 17 mars dernier. On sait la place qu'il avait prise dans la poésie contemporaine : celui qui, à peine âgé de trente-trois ans, avait notamment donné le Cœur solitaire, le Semeur de Cendres, l'Homme intérieur, comptait parmi les poètes dont le talent autorise les plus beaux espoirs.

Le Comité est ainsi composé, sous la présidence d'honneur de M. François Coppée, de l'Académie française :

Président : M. Maurice Barrès, de l'Académie française ;

Secrétaire : M. Henri Albert ;

Trésorier : M. Alfred Vallette, directeur du Mercure de France.

Membres : MM. Fernand Baldensperger, René Boylesve, Paul Briquel, Pierre Bûcher, directeur de la Revue Alsacienne illustrée, H. Chantavoine, Francis Charmes, directeur de la Revue des Deux Mondes, Edouard Ducoté, J. Ernest-Charles, directeur du Censeur, Francis Jammes, Emile Krantz, doyen honoraire de la Faculté des Lettres de Nancy, Paul Fort, directeur de Vers et Prose, Louis Ganderax, directeur de la Revue de Paris, Fernand Gregh, Léo Larguier, Henri Mazel, Jean Moréas, Pierre Quillard, Henri de Régnier, J. Guy Ropartz, directeur du Conservatoire de Nancy, Charles Sadoul, directeur du Pays Lorrain et de la Revue Lorraine illustrée, Emile Verhaeren.

Le monument, dont l'exécution a été confiée à MM. Horace Daillion et Lachenal, sera inauguré dans le courant de l'année 1908.

Les souscriptions sont reçues par M. Alfred Vallette, trésorier du comité, au Mercure de France.

§

Sépulture Alfred Jarry. — Comme nous l'annoncions dans notre livraison du 16 novembre, en publiant la première liste des souscripteurs, la souscription a été clôturée le 5 décembre dernier. Nous avons reçu les sommes suivantes :

M. Eugène Fasquelle ....... 20

M. Ad. van Bever................ 5

Mme Gaston Danville........ 20

M. Alexandre Cohen........... 5

H. G.................................10

M. Louis Lormel................ 20

M. André Fontainas........... 20

M. Jules Renard................ 20

M. Félicien Fagus............... 5

M. Georges Polti................ 5

M. André Lebey................ 20

M. Charles Hotz................. 5

Mme Odilon Redon............10

M. Max Hallet................... 20

M. Biernaux......................10

M. Charles-Henry Hirsch..... 5

M. Lucien Descaves..........10

M. Marcel Batilliat.......................5

M. Tristan Leclère...................... 5

M. Paul Léautaud....................... 5

M. F.-A. Gazais......................... 5

M. Henry de Bruchard................. 5

M. Stuart Merrill........................ 20

M. Pierre Blaché....................... 10

M. Jean Norel........................... 10

M. Paul Valéry.......................... 20

M. Henri Albert......................... 10

M. Henri Mazel........................... 5

Anonyme................................... 5

Total....................................... 315

Report de la première liste........ 400

715


Cette somme est suffisante pour subvenir aux frais soldés et aux dépenses prévues. La sépulture d'Alfred Jarry est au cimetière de Bagneux, 23e division, 5e ligne, 5e place.

§

Un monument à Alfred de Vigny à Paris. — Alfred de Vigny aura sa statue à Paris. Dans ce but, un comité, qui réunit les noms de MM. Anatole France, François Coppée, Catulle Mendès, vicomte Melchior de Vogué, Jules Claretie, Adolphe Brisson, etc., vient de se constituer sous la présidence de M. Léon Dierx, avec MM. Robert Eude et de Waleffe comme secrétaires, et comme trésorier M. Tréfeu, directeur de la Marine marchande au ministère de la Marine.

L'œuvre, exécutée par le statuaire José de Charmoy, est terminée.

Les souscriptions doivent être adressées à M. Tréfeu, 97, rue de Passy, à Paris, ou au Mercure de France, qui les lui fera parvenir.