J. Kessel : Le Bolchévisme à travers Dostoïevski, 385
H. H. Valentino : La Philosophie de l'Inde et le Problème du Nirvana, 406
Guy-Charles Cros : Poèmes, 428
E. Boismoreau : Claire Ferchaud, la « voyante » de Loublande, 430
Jacques-Emile Blanche : La Jeunesse de Georges Aymeris (fin), 637

REVUE DE LA QUINZAINE

André Fontainas : Poèmes, 494
Jean de Gourmont : Littérature, 500
Carl Siger : Questions coloniales, 510
Charles-Henri Hirsch : Les Revues, 515
Maurice Boissard : Théâtre, 522
Gustave Kahn : Art, 526
Vincent O'Sullivan : Lettres anglo-américaines, 535
Divers

Bibliographie politique, 540
Ouvrages sur la guerre de 1914-1919, 547
A l'Etranger :
Allemagne (Henri albert), 552
Belgique (Gustave Fuss-Amoré), 557

Emile Zavie : Variétés : Une Enquête sur les Ecrivains et le Vote en 1914
Mercure : Publications récentes, 748

Echos, 749


LITTÉRATURE

[...] peut-être que, dans l'histoire de notre race, le sceptique flambeau que nous a transmis Montaigne est celui qui a le plus illuminé nos âmes, car il y a aussi de mauvaises petites lumières qu'il faut éteindre.

§

Je relis, à ce propos, dans la très belle petite édition que vient de nous donner la « Société littéraire de France », des Pas sur le sable, de Remy de Gourmont ; et je médite cette pensée : « L'intelligence sert à critiquer les actes, non à les déterminer. »

Nous subissons, écrit-il encore, quant à l'importance de l'intelligence, la même illusion que pour la conscience. Nous croyons que, sans elle, l'acte ne s'accomplirait pas ; cependant elle n'a sur l'acte qu'une influence critique et d'après coup.

Je veux seulement, sans me permettre aucun commentaire, placer ces lignes en épigraphe à l'histoire de ces dernières années, afin que l'on juge les événements à leur lumière. Et j'ajoute encore ce dernier aphorisme :

Avec toute son intelligence, l'homme, s'il n'avait pas son instinct de bête, ferait dans le monde une bien pauvre figure.

JEAN DE GOURMONT.


LES REVUES

Anglo-French Review et l'Eventail : Remy de Gourmont, d'après M. R. Aldington et M. A. Rouveyre. — La Revue Hebdomadaire : « Les après-midi au Palatin », par M. A. t' Serstevens. — Le Divan : « Degas », selon M. Daniel Halévy.— Le Monde Nouveau : une simple phrase de M. H.-G. Wells. — Memento.

La revue franco-britannique Anglo-French Review (octobre) contient une étude de M. R. Aldington sur Remy de Gourmont, qui assemble d'excellentes remarques sur le poète, le romancier, le grammairien et l'essayiste.

L'universalité de Gourmont, son goût de l'exactitude scientifique, ses raffinements de style, l'aérienne fantaisie de sa philosophie, M. Aldington les note avec un sens critique dont manquèrent la plupart de nos contemporains notoires. Autrement, ils auraient préparé les voies académiques, de sorte que Gourmont eût porté l'habit vert, tout comme M. Taine, par exemple, avant de parvenir à la grande immortalité que confèrent les œuvres.

Dans l'Eventail de Genève (15 octobre), M. André Rouveyre, par le dessin écrit et le trait, évoque Remy de Gourmont. C'est le très émouvant souvenir d'un véritable grand homme vu par un artiste infiniment sensible et qui a la pudeur de l'affection. M. Rouveyre montre le Gourmont des dernières années, celui qui, cédant à la douce violence de miss Nathalie Clifford-Barney, hantait un peu le monde, au moins le salon où cette femme de goût reçoit avec l'intelligence du cœur et de l'esprit, sans dessein d'en mener tapage dans la presse.

Les billets précieux de miss Barney créent l'atmosphère qu'il faut, dans l'hommage de Rouveyre à Gourmont, pour situer celui-ci, comme il était rue Jacob, « dans son apothéose et dans son bonheur ».

Mais voici une évocation très juste de Gourmont au Mercure, dans la vieille maison qu'il a contribué tellement à grandir.

Quand je songe à tout le temps qu'on passait à bavarder rue de Condé ! Gourmont serait bien surpris maintenant où la maison est devenue éperdument laborieuse ! Lui qui venait là, le soir, à pas menus, s'asseyait en bas chez Léautaud, puis, quand l'heure arrivait de la libération du patron, montait chez lui, s'asseyait dans son même fauteuil auprès de Vallette, où il ne faisait pas bon qu'un étranger s'assît dès 6 heures du soir !

Et dans cette vieille pièce au curieux parquetage ancien de l'hôtel de Beaumarchais, entre chien et loup, le jour tombant, on distillait à trois ou quatre conjurés un poison délicieux tour à tour pour l'intelligence et pour le cœur, et servi à l'un par l'autre.

Gourmont ne parlait pas, ou peu, — d'ailleurs gêné par une certaine difficulté physique d'élocution — et puis possédé, on le sentait bien, par la grouillante vie intérieure du silence — tous ces astres foisonnants que la nuit apporte à mesure qu'elle est profonde. — Quelques mots parfois, mais courts et significatifs, et seulement pour ceux qu'il savait sensibles.

Son aphonie volontaire ne laissait pas de surprendre l'importun qui l'interpellait. On voyait bien, quoiqu'il ne bougeait, qu'un tel toupet dépassait sa faculté de comprendre.

Entre soi, s'il ne parlait guère, et seulement très succinctement, par contre, il écoutait ses amis avec une courtoisie et une veine d'attention extrêmement généreuses. — Ainsi j'ai senti, pour moi-même souvent, de l'indignité à ébranler par ma confiance et mes paroles une si belle mécanique d'intelligence et de sensibilité. Quand je le voyais, je parlais peu, à cause de cela — et, souvent et longtemps, on était là, en « chiens de faïence », à nous considérer tranquillement dans une divination réciproque, un commerce muet de deux vieux chasseurs de vérités — d'apparences de vérités...

Regrettant que je n'aie pas connu les yeux de Verlaine, il me disait qu'ils étaient extraordinaires, comme un ciel bleu où passaient des nuages clairs. Mais ceux de Gourmont lui-même ? Quel bonheur a celui se souvenant qu'ils posèrent dans les siens leur lumineuse lucidité ! La sérénité parcourait sa face malgré la dévastation du foudroiement corporel. La bleuité d'acier du regard fixait et ravissait par son étonnante spiritualité, touchant le noyau même de notre être, ou arrêtant soudain quiconque d'une épouvantable indifférence qui le jetait au néant.

Nous ne saurions ne pas reproduire ce passage relatif aux rapports de Gourmont avec Anatole France :

J'aurais pu assister à la rencontre tardive de Gourmont et de France. J'avais connu autrefois celui-ci avec mon vieil ami le peintre La Gandara ; j'allais quelquefois voir France. Il était vraiment très bienveillant — pour sa curiosité plutôt que pour moi-même, je suppose ; — trouvant à son goût mes dessins, il m'en manifesta, de cette « amitié » dont il a si commodément l'économie, départ et retour. Jamais je ne vis de personnage plus abondant de paroles, ni chez qui elles soient autant animées par un habituel procédé d'artifice. Au commencement que je le connus, il avait quelque simplicité, mais, par la suite, le naturel revint, il ne s'intéressait qu'à ses propres discours, doucement uniformes, toujours dans la même manière prédicante, quelle qu'en fût la matière. Cela lasse vite et ne retient longtemps la confiance, la sympathie ou l'intérêt.

Il m'avait demandé de lui faire connaître Gourmont, de l'amener à la villa Saïd, disant qu'il l'admirait beaucoup et serait heureux de le recevoir. Mais j'avais en ce moment-là autre chose à faire, et puis je trouvais quelque indécence à déranger Gourmont de son laboratoire ; que France, chargé d'une gloire universelle et brillante, mondain et académicien méprisant le Monde et l'Académie, ce qui est le comble même de l'affirmation personnelle de cette gloire, comme on sait, je trouvais, dis-je, qu'il pouvait se déplacer lui-même et venir saluer Gourmont dans sa cellule de la rue des Saints-Pères. En tous cas, je n'avais pas le goût de provoquer le contraire ; et, malgré qu'Edouard Champion, qui savait la demande que France m'avait faite, me la rappelait, je laissai cela tranquille ; si bien que Champion se chargea de mener Gourmont chez le dieu.

France fit, paraît-il, beaucoup de compliments, néo-grecs sans doute, et se montra plein de civilité et d'érudition. Enfin je vois très bien cette affaire menée au théâtre par Molière. Gourmont, qui m'en parla ensuite, moitié ingénu et rougissant, trouvait qu'il avait été très aimable.

Il a promis à Gourmont qu'il lui rendrait sa visite, m'avait annoncé Champion. De fait, Gourmont, un peu plus tard, me dit : « Il est venu... il s'est assis là... où vous êtes... » ô vanité ! vanité enfantine !... Et comme je faisais mine (je ne pouvais m'empêcher de comparer France à Gourmont) de donner quelques réserves sur l'originalité foncière de France : « Non, non, dit-il, je ne trouve pas : c'est bien... c'est bien... »

Comme, cette fois encore, Gourmont avait raison ! Où M. Rouveyre voit la faiblesse d'une « vanité enfantine », il y a la supérieure clairvoyance de Gourmont lettré, philosophe, styliste, rendant hommage à Anatole France, son grand aîné, styliste, philosophe et lettré, parvenu en toute justice à la gloire universelle où Gourmont entrait seulement, par un injuste retard.