Echos divers et communications

Le Banquet du 2 février. – Il serait bien oiseux de narrer tout au long, après tant d'autres, la fête organisée par le groupe symboliste en l'honneur de Jean Moréas, et que présidait M. Stéphane Mallarmé. Toutefois, avant de publier la liste complète – ou à peu près ! – des personnes présentes, nous noterons les toasts.

M. Stéphane Mallarmé :

"A Jean Moréas, qui, le premier, a fait d'un repas la conséquence d'un livre de vers, et uni, pour fêter le PÉLERIN PASSIONNÉ, toute une jeunesse aurorale à quelques ancêtres,

Ce toast,

Au nom du cher absent Verlaine , des Arts camarades et de plusieurs de la Presse, au mien, de grand cƏur."

Jean Moréas répond :

"Seul, un silence ému saurait signifier combien je garderai doux le souvenir de cette fête. Je me tairai donc, mais non avant d'avoir porté la santé de Paul Verlaine."

M. Henri de Régnier remercie l'assistance de la faveur avec laquelle fut accueillie l'invitation au banquet ; il remercie spécialement M. Stéphane Mallarmé, "qui a bien voulu, en acceptant, de présider cette réunion, l'honorer de l'autorité de sa présence". Puis il nomme Théodore de Banville, Sully Prudhomme, Léon Dierx, de Hérédia, André de Guerne, Philippe Gille, Francis Poictevin, Armand Silvestre , qui, empêchés, ont "notifié leur absence par les lettres les plus courtoises". M. Henri de Régnier termine en buvant "aux uns et aux autres, et à Leconte de Lisle, le doyen des Lettres françaises, et aussi à notre ami Jean Moréas."

M. Maurice Barrès boit à un mort, à Charles Baudelaire – et M. Vanor à un autre défunt : M. Jules Laforgue. M. Albert Saint-Paul remercie les organisateurs de la fête. Charles Morice lit un beau sonnet : A Jean Moréas. M. Bernard Lazare boit à M. Anatole France , "au très habile écrivain, au plus autorisé représentant de la critique parisienne, cette critique toujours bienveillante (sic) pour la jeune littérature, cette critique pour laquelle nous avons tous la stricte reconnaissance due à tant de si généreuse et vaillante bonne foi". M. Achille Delaroche boit à la Poésie Symboliste et à Stéphane Mallarmé (longs applaudissements). Dauphin Meunier salue "les Arts camarades". Maurice Duplessis lit – trop vite – un superbe poème. M. Georges Lecomte boit "à ceux qui ne mangent pas". Et M. Clovis Huges, après quelques mots drôles qui rattachent Marseille à la Grèce, dit avec chaleur une longue poésie, – ce qui lui vaut un toast de M. F. Vielé-Griffin. M. Tellier boit à la Poésie. M. Emmanuel Chabrier unit – avec quelque difficulté – la poésie et la musique, et boit à Mallarmé et à Moréas. M. Daurelle dit qu' "il est ici un éminent journaliste et grand romancier", et il toaste en l'honneur d'Octave Mirbeau : applaudissements frénétiques, après lesquels R. Minhar et Raoul Gineste collaborent à se rappeler tels vers de Baudelaire, avec quoi Gineste porte la santé de Félicien Rops .

Voici maintenant, telles que nous avons pu l'obtenir, la liste de Table des personnes présentes :

Stéphane Mallarmé, Jean Moréas, J. Huret, Octave Mirbeau, Schuré, Henri Lavedan, P. Quillard ; F. Hérold, Ch. Morice, A. Delzant, Emm. Chabrier, Sherard, Hugues Rebell , G. Heymonet, Mathias Morhardt , Paul Percheron, Tausserat, Albert Saint-Paul, Dufay, G. Sénéchal, Ach. Delaroche, Gauguin , Dauphin Meunier, Alexis Boudrot, Paul Roinard, Ernest Raynaud, Maurice du Plessys, Souday, Aug. Germain, Dodillon, Doncieux , G. Trarieux , H. Quittard, Signac , Jules Renard , Ch. Bouguereau, Champsaur, Meyerson, Corbier, Pierre Hermant, L. Barracand, Gayda, Eug. Tardieu, Bunas, Odilon Redon, G. Vanor, J. Christophe, R. Gineste, Seurat, Maurice Fabre, Maurice Barrès, Henri de Régnier, Bernard Lazare, F. Vielé-Griffin, H. Mazel, Beraldi, R. Minhar, E. Jaubert, Lintilhac, Daniel Berthelot, Alfred Vallette, Félicien Rops, André Gide, Albert Samain, Raymond Bonheur, Quiquet, Dubreuilh, l'éditeur Lacroix, docteur Barbavara, G. Lecomte, Jean Carrère, Collière, Fuchs, Fourest, Anatole France, Bartoux, Bonnet, Saint Silvestre, R. de Bonnières, Capillari, Ch. Raymond, Félix Fénéon, Bailliot, J. Le Lorrain, La Tailhède, J. Tellier. – M. Catulle Mendès est arrivé vers onze heures, descendant du train de Belgique.

Ne quittons pas le chapitre des banquets sans parler du dernier dîner des Fêtes de bois (5 février), présidé par Jean Dolent , et où l'on remarquait les peintres Eugène Carrière, Paul Gauguin ; le poète Charles Morice ; l'affichiste Jules Chéret ; le statuaire Jean Dampt. Étaient là aussi Marc Amanieux, Armand Renaud, Paul Dupray, Henry Piazza, Charles Masson, Félicien Champsaur, P. Giat, Ernest Carrière, Agache, Albert Maignan, Jules Valadon, Armand Breton, – Grand succès pour Charles Morice ; bon accueil à MM. Marc Amanieux, Armand Renaud, Henry Piazza.

Ont paru ces derniers jours : chez L. Genonceaux, la Sanglante ironie, par Rachilde ; chez Savine, Vieux, par G. Albert Aurier ; chez Tresse et Stock, Le Vierge, par Alfred Vallette.

Le catalogue complet des œuvres d'Odilon Redon – tableaux, dessins et lithographies – sera prochainement publié par l'éditeur Deman, à Bruxelles.

Ce n'est pas la première fois que, soit comme député, soit comme avocat, M. Millerand plaide "pour la Littérature". Dans la question de La Fille Élisa, mû par son respect de la liberté de l'art et de la pensée, il a prononcé à la Chambre quelques paroles spirituellement ironiques dont il faut le congratuler (Thermidor ne nous a pas fait oublier cet incident plus ancien, mais plus intéressant). Avec tact, il n'a pas trop insisté, comprenant qu'on ne raisonne pas avec l'hypocrisie et qu'on ne peut, en deux mots, instruire le provincialisme de gens ignorant que M. de Goncourt a montré, depuis quarante ans, plus de talent et plus de courage qu'il n'en faut pour être, – de droit,– au-dessus de la critique préventive. Je me figure que tous les hommes de lettres désintéressés trouveraient en M. Millerand, à l'occasion, un défenseur contre l'arbitraire, la sottise ou la pudibonderie : c'est avoir choisi la bonne part.

R. G.

[texte repris dans le n° 1 de la Nouvelle Imprimerie Gourmontienne et communiqué par cette revue]