Saint-Pol-Roux (1861-1940) et le Mercure |
1. « Souvenance », Mercure de France, n°899, 1er décembre 1935. 2. « Souvenirs », Visages du Monde, n° 34, 15 avril 1936. 1. « Souvenance », Mercure de France, n° 899, 1er décembre 1935, pp. 336-338. De leurs maisons anciennes, les Girardin et les Buloz ne sauraient éclipser en la sienne notre Alfred Vallette ; ceux-là furent des sonores, celui-ci fut un silencieux, mais d'un silence égal à toute la fanfare de ces illustres prédécesseurs dans l'histoire de la gazette et, par surcroît, du livre. Au créateur du Mercure de France nous devons un rythme nouveau dont les leviers profonds obéiront si longtemps encore à la méthode originelle que son successeur immédiat n'aura pour ainsi dire qu'à se brancher lui-même sur l'Exemple qu'il hérite. Certes, Georges Duhamel et les directeurs à la suite illumineront de leur gloire future et présente le symbolique caducée, n'empêche que c'est l'esprit latent du fondateur qui toujours fera battre les ailes des talons sacrés : le dernier souffle de Vallette est resté dans le dieu. Armé d'un sage comité, ce clairvoyant ensemblait les copies, unifiait la revue en leur diversité, l'harmonisait, au besoin la décoquillait, même il l'eût imprimée s'il l'avait fallu comme à l'époque des presses à bras. Son œuvre s'accroîtra de lustre en lustre puisque « en allant » Mercure constituera l'immortalité du maître qui laissa 895 numéros dont, par une sorte de divination, il signa le dernier de son suprême Ave. *** Sur l'avènement du Mercure : La première Pléiade (couverture violette) de 1886 qu'à la mort de Pierre Quillard je présentai dans « Vers et Prose », de Paul Fort, comme la grand'mère du Mercure fut décidée par Ephraïm Mikhaël, Pierre Quillard, Rodolphe Darzens, Camille Bloch, Marcel Collières et moi-même, alors Paul Roux ; à nous vinrent se joindre Maeterlinck, René Ghil, Jean Ajalbert, Grégoire Le Roy. Cette revue devait s'éteindre, comme fatidiquement, après sept numéros. En 1889 naquit la seconde Pléiade, dite de Brinn' Gaubast (couverture violette encore), laquelle ne tint guère davantage. A ces deux groupements quelqu'un avait manqué, semble-t-il, à moins que leurs deux tentatives n'aient eu que la raison magique de le provoquer. Enfin Vallette vint ! Et de la double cendre il fit jaillir en automne 1890 ce Mercure qu'on vit aussitôt répandre sur le monde toutes les violettes de France. *** Right man avec cela que l'homme avait ici créé la place, sans cesse à sa table de travail tout en haut de l'historique hôtel de Condé, Alfred Vallette attendait inlassablement courriers et visiteurs. Depuis la fondation, autant dire : depuis un demi-siècle, il ne me souvient pas qu'il m'ait jamais entretenu de sa santé ; aussi mon imagination lui avait-elle à la longue octroyé un brevet d'invulnérabilité. Comme au dernier jour-de-l'an, vu l'approche de plus en plus sensible du cinquantenaire de la Revue, je lui adressais mes vœux plus fervents sous cette formule 46 + 4 = 50 il me répondit d'un trait véhément : « Tenons bon !!! » Hélas, le Mal montait sans doute l'escalier déjà... Au milieu de mai j'allais, gâté jusqu'alors par sa légendaire ponctualité, m'étonner d'un retard à répondre à l'envoi d'un poème parti de Camaret au début d'avril, quand me parvint ce fraternel message : Mon vieil ami, « Vieil », eh oui ! comme moi, mais pas tant que moi, qui suis plus mathusalem que vous de 29 mois et 16 jours, étant venu en ce monde, que les autres planètes nous envient, le 31 juillet 1858 et vous le 15 janvier 1861. Seulement, vous avez l'éternelle jeunesse du poète, et moi pas. Or, mon vieil acabit a subi dernièrement un premier assaut (une fois n'est pas coutume en 77 ans), et j'étais malade et absent de Paris quand votre lettre y est arrivée, escortant votre Giono, dont vous allez bientôt recevoir l'épreuve. Amitiés et vœux de santé ! ALFRED VALLETTE. Mais il avait dû recouvrer ses forces précieuses, car, un mois après, se croyant obligé d'excuser le renvoi dudit poème à un autre numéro, il lui échappa cet aveu magnifique à travers sa robuste écriture : ... Parfois il est plus difficile de diriger le « Mercure » que la « Normandie ». Relisez, frères, cette phrase où l'ardente revue s'assimile à la nef grandiose, et, sous l'enchantement des mots, peu à peu vous verrez l'œil innombrable du vieux Capitaine scintiller encore entre les fins cordages de la grand'voile épiscopale que sont les moindres lignes du Mercure de France appareillant pour l'avenir, une victoire d'or en figure de proue ! 2. « Souvenirs », Visages du Monde, n° 34, 15 avril 1936, pp. 78-79. Je me revois en 1886 chez moi, 19, rue Turgot, à Montmartre, projetant avec Ephraïm Mikhaël et Pierre Quillard une revue qui, après avoir voulu s'intituler le « Symbole », puis l'« Arche d'alliance », devint cette Pléiade de couverture violette, à laquelle Maeterlinck apporta de Gand son « Massacre des Innocents » et dont Rodolphe Darzens fut l'intrépide meneur. Honorée d'une présentation de Théodore de Banville, notre petite publication d'une durée de sept mois peut être considérée comme l'avant-courrière du grand Mercure de France où Alfred Vallette allait réunir presque tous les écrivains d'art nouveau, Rémy de Gourmont, Henry de Régnier, Albert Samain, Francis Jammes, Verhaeren, Francis Vielé-Griffin, André Fontainas, Paul Claudel, Léon Bloy, Demolder, André Gide, Paul Valéry, Pierre Louys, Georges Duhamel, Robert de Souza, Paul Fort, Camille Mauclair, Ferdinand Hérold, combien d'autres encore. La Pléiade paraissait en même temps que la Revue wagnérienne d'Edouard Dujardin, un des premiers pionniers du Symbolisme, et la Vogue de Gustave Kahn, hardi libérateur du vers. Alors commençait le siècle de Mallarmé. De la Pléiade plus spécialement sortit donc le Mercure. Absent de Paris, je ne pus figurer à côté des tout premiers souscripteurs Albert-Aurier, Jean Court, Louis Denise, Edouard Dubus, Louis Dumur, Julien Leclercq, Albert Samain, Ernest Raynaud et Vallette, mais dès mon retour j'y ai collaboré ; mon apport date, si j'en crois Henri Mazel, du second numéro. De même que les neuf, je versai ma souscription mensuelle, ce qui me valut quelques parts de fondateur (actions) lorsque le Mercure se constitua légalement. Comme je n'avais pu assister à cette première assemblée, n'ayant pas été touché par la lettre de convocation, c'est Alfred Vallette lui-même qui, pour que la réunion n'en fût pas différée, voulut bien assumer mes propres actions que dans la suite il me passa, ce dont Rachilde et Ernest Raynaud peuvent encore témoigner. Dans leurs souvenirs de décembre dernier, au cours de l'Hommage à notre regretté Vallette, aucun de mes vieux camarades n'avait retenu ces détails concernant la deuxième liste des souscripteurs (Jules Renard, Rémy de Gourmont...), ils m'oublièrent à l'unisson, ce que je leur pardonne fraternellement. Je n'en suis pas moins de la fondation du Mercure dont Octave Mirbeau, dans l'enquête de Jules Huret (1891), signale plus particulièrement Albert Aurier, Rémy de Gourmont et Saint-Pol-Roux. Faut croire que j'étais un peu de la maison déjà ! Cela dit pour la petite histoire de nos lettres. [page réalisée grâce à Mikaël Lugan] A consulter : |