La Renaissance latine (mai 1902-juin 1905) |
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La Renaissance latine, 2e année, tome III, n° 7-8-9,1903 15 JUILLET Maurice Barrès : Les Amitiés Françaises (3e partie), 5 15 AOUT Maurice Barrès : Les Amitiés Françaises (fin), 265 15 SEPTEMBRE Jean Schlumberger : Le Mur de verre (Ire partie), 505 textes consultables sur Gallica LES LIVRES « ÉPILOGUES » ET « PRÉTEXTES » Cette couple de livres est agréable à considérer, car leurs auteurs, qui tous deux ont beaucoup lu, savent écrire ; mais, quand nous aurons dit qu'il se trouve en ces pages des opinions ingénieuses, des dissertations fort sensées, des arguments de quelque poids, avec des arguties, des paradoxes et des sophismes, et qu'enfin M. de Gourmont et M. Gide ont l'un et l'autre certaines allures théologiques dans leurs façons de critiquer, nous ne pousserons pas plus outre l'analogie, ces Épilogues et ces Prétextes se différenciant d'eux-mêmes dès le titre. M. de Gourmont réunit ses pensées du jour autour d'un fait grand ou petit, et tout aussitôt voici que chacune attaque ce fait de son mieux et le dépouille du vêtement dont les journalistes, les commères, les sots et les faux témoins le parèrent. Puis, quand le fait est nu, il l'examine de près, le date, lui distribue savamment la lumière, en prend un croquis, et, déjà, nous voyons son vrai caractère apparaître, alors, encadrant le sujet ainsi préparé, et, le comparant à ce qu'il était avant et à son rêve, M. de Gourmont épilogue. C'est là un procédé inquisitorial, et je vois assez bien notre auteur sous l'austère figure d'un moine qui, fort de sa foi et de sa science (combien M. de Gourmont a-t-il lu de livres ?), fond sur l'hérétique, le couvre du san-benito, le crosse, le tenaille, le pousse vers les flammes, et lui fait suer son erreur. M. de Gourmont est très méchant. De sa petite fenêtre grillée, il regarde passer la vie ; il la trouve laide, vile, médiocre, et pourtant il frissonne de plaisir à ce spectacle. Dès qu'une apparence l'intéresse ou l'excite, il la hèle et lui jette des injures, et lui dit de cruelles vérités, et disserte aigrement à ce propos. Les Épilogues sont un ouvrage très... contumélieux, si j'ose dire, tout nourri de bordées, d'algarades et de paroles offensantes, extrêmement, mais nous tenons là un bon livre, nerveux, fort, plein de sang et qu'il fera bon relire quand M. de Gourmont l'aura complété en sacrant de nouveau. Ah ! que M. Gide est différent ! Avant tout, il sourit : il se souvient d'avoir écrit de si délicieuses pages ! et nous sourions aussi, pour la même raison. Voici qu'il a envie de dire quelque chose : la pensée est fine, narquoise, point commune, un peu tourmentée, un peu triste... mauve, au juste, mais il ne sait qu'en faire. Prétextes est le recueil de ces pensées ; elles sont appliquées, au hasard, à n'importe quoi, à ceci, à cela, et c'est souvent très joli. M. Gide sait trouver des liens, si ténus qu'ils en sont presque invisibles (je n'ai pas dit insensibles), entre les idées les plus disparates, et, quand je relis un de ses livres, je m'émerveille toujours des ruses indiennes dont il se sert pour nous parler des palmes au soleil qu'il chérit tendrement. D'autre part, comme il a beaucoup lu, lui aussi, ces réflexions sur quelques points de littérature et de morale sans être le moins du monde pédantes, sont des prétextes très savants et substantiels. Je voyais M. de Gourmont sous la robe d'un moine inquisiteur ; l'aimable brochure où M. Pierre de Querlon parle de lui (Rémy de Gourmont, dans la série des Célébrités d'aujourd'hui) fortifia en moi cette image, je verrais plutôt M. Gide tenant son personnage dans un consistoire, au temps où la religion prétendue réformée n'avait point fixé son dogme de façon définitive. Il a, en effet, un goût tout particulier pour la discussion philosophique. Ce goût, je pense qu'il l'a toujours eu ; j'en trouve déjà la trace dans les poésies qu'il écrivit en 1892 le nom d'André Waller : Nous rapetassons de faux syllogismes Excellentes tendances ! On ne saurait trop aimer les auteurs qui prisent la beauté d'un raisonnement, quand il en est trop pour qui penser, c'est perdre son temps. Ainsi M. Gide a parlé, suivant un mode tour à tour plaisant et sévère, de Sada Yacco et des limites de l'art, de Max Stirner et d'Emmanuel Signoret, du Calvados, enfin, où l'on moissonne, et du pays d'Uzès, où l'on écoute la cigale ; beaux prétextes, vraiment, à dérouler des phrases harmonieuses pour le plaisir de les entendre chanter, et à filer un argument pour la délicate joie de le voir se nouer. Il est assez agréable de considérer M. Gide quand il se joue des petits airs de flûte, mais combien je le préfère aux heures où il est agacé par les élans et le désordre de l'école naturiste ! La fustigation de M. Saint-Georges de Bouhélier, poète et romancier, à en croire une confuse rumeur, nous procure un divertissement tout à fait délectable, et si, parfois, la critique de M. Gide, trop mince, trop ramifiée, nous paraît presque perfide et de mauvais aloi, la leçon de style et de goût qu'il! donne aux naturistes sans vergogne fait oublier ce travers, car on ne saurait récriminer quand on a ri. Livres d'été, je vous emporte dans les foins et vais vous parcourir à nouveau, tandis qu'au bord du champ voisin sifflent les faulx dans le blé long. J'aime, avec les bruits des brises et des oiseaux, entendre, grâce à vous, la rumeur, souvent plus éphémère, que firent, dans la littérature et l'art, les prétentions humaines, ces temps derniers. A. GILBERT DE VOISINS. |