Remy de Gourmont : LES SAINTES DU PARADIS, poème orné de 19 gravures sur bois par G. d'Espagnat (Paris : Société du Mercure de France).

Qu'elles alourdissent leurs bures, qu'elles allongent leurs voiles, les saintes, elles ne pourront cacher à nos yeux leur transfiguration : l'arc-en-ciel humide des cils perce la vapeur des mousselines, le bouquet tiède des soupirs chavire aux ondulations des plis, les rubis des plaies sous le cilice sont des braises, comme une apothéose d'incendie derrière un écran.

Et c'est le prestige aussi de cette plaquette qui les célèbre : in-12° cavalier, proportionné aux anciens « livres bleus », feuilles rugueuses où s'échancrent des bois écorchés par le travail dur des mains en peine et que couvre quelque minable papier de tenture. Mais ici c'est la somptuosité de se vouloir pitoyable, mais, hélas ! malgré cette préoccupation de rappeler les libelles où jadis enfants et vieilles gens apprenaient et oubliaient à lire, celui-ci — 125 exemplaires sur pâte des Vosges — ne s'écornera pas aux secousses de la hotte du colporteur cognant du bâton la porte des métairies, ne jaunira pas à l'étal ou dans le grand parapluie rouge des foires.

Non plus donc ces enveloppes de misère ne peuvent nous en imposer : du tablier troué ruissellent les roses :

[longue citation du poème]

Elles sont petites et mains aux mains elles font la ronde et c'est Toussaint ! elles sont grandes, elles sont douces et tristes et belles, c'est du vrai ciel !

M. Remy de Gourmont en ces 19 prières, Montalembert en un livre ont en art revendiqué la piété. En sait-on beaucoup depuis les grands saints et les anonymes du moyen-âge ?

Ici la certitude, je dis, le manque d'hésitation dans la perception, la perspicacité et la plénitude dans l'analogie, la convenance indissoluble de l'image terrestre rapportée à la fable spirituelle, sont telles que surhumaines : précision démoniaque d'un désespéré qui suppute consciemment les paysages pour lui abolis ou divine d'un visionnaire qui escompte avec sûreté les familiarités du jardin clos.

M. de Gourmont se rendra à son attrait : son chant de bon conseil qui introduit le poème aura ainsi une grâce plus efficace encore que de soutenir la langue française, savoir, des âmes et une âme :

O pérégrines qui cheminez songeuses,
Suivez la voix qui vous appelle au ciel :
Les arbres ont des feuillages aussi doux que le miel
Et les femmes au cœur pur y deviennent plus belles.
O pérégrines qui cheminez songeuses,
Suivez la voix qui vous appelle au ciel.

F. Nonniger.

(Le Spectateur catholique, tome IV, n°22-24, juillet-décembre 1898, pp. 254-255)

[texte entoilé par Mikaël Lugan]