Paris, 9 septembre 1907.

Madame,

Ce n'est qu'en revenant d'un assez long voyage que je trouve votre volume A travers le Voile. Merci d'abord d'avoir mis mon nom en tête d'un de vos poèmes les plus charmants. Je goûte particulièrement la poésie populaire. Il est difficile d'y toucher et de l'arranger, c'est quelquefois nécessaire ; vous y avez réussi.

C'est en d'autres pages pourtant que j'ai goûté pleinement votre talent ; vous avez une manière exquise et sans rivale de sentir et de dire la nature.

Certainement, les morceaux comme ceux de la page 17, ou comme l'Odorante paix, sont admirables — à cause de la vérité émue qu'on y rencontre. Vous savez sentir et vous savez voir et tout voir. Je connais la campagne et je l'aime ; je puis être témoin de l'exactitude de vos vers les plus ivres d'art.

Votre art, c'est la nature même profondément aimée. C'est très rare ; la plupart des poètes sont superficiels et plus d'un n'a que des sensations de lecture ou de rapide voyage.

Une strophe comme :

« La résine suinte à l'écorce des mélèzes... »

il y a de quoi enchanter longtemps ; et je dirais cela de beaucoup d'autres pièces ; mais que dirai-je de vos bœufs (Au Labour) ? C'est très beau.

Mais je ne veux pas passer en revue un livre trop rempli de choses émouvantes, ou délicates ! Cela me mènerait loin et ne vous apprendrait rien. Que j'aime mieux ceci ou cela : sensibilité personnelle. L'ensemble prouve un véritable poète. Dorénavant, on vous écoute

Veuillez me croire, Madame, votre admirateur.

REMY DE GOURMONT.

[lettre publiée dans l'Imprimerie gourmontienne n° 2, 1921]

Recueils de Marie Dauguet :

Les Pastorales (envoi à Gourmont).