Dans L'Eclaireur de Nice (édition du soir) du 29 décembre, M. Georges Maurevert raconte comment, lorsqu'en 1891, Remy de Gourmont, fonctionnaire, fut inquiété pour un article publié dans le Mercure et jugé subversif, il fut amené par enthousiasme à prendre sa défense dans un hebdomadaire d'alors, le Messager français.

Je ne saurais vous dire toute ma joie, tout mon orgueil, quand, quelques jours plus tard, me parvint, au Messager Français, la lettre suivante :

122, rue du Bac.

Lundi, 11 mai 91.

Monsieur et cher confrère, vous êtes pour moi, vraiment, d'une amabilité qui me rend tout confus. Il faudrait retirer les trois quarts des éloges que vous faites de mes quelques œuvres, pour que je puisse les accepter. Sans réserves, je vous remercie de prendre si chaleureusement mon parti contre l'administration. Il est plus que probable qu'elle aura le dernier mot ; mais les sympathies sont toutes pour moi et c'est peut-être encore la meilleure part.

REMY DE GOURMONT.

Oui, vous pensez si j'étais fier, moi, petit débutant de lettres, d'avoir reçu une pareille lettre de cet écrivain que je considérais comme un de mes meilleurs aînés, l'un de ceux dont les premières œuvres annonçaient un talent qui devait encore grandir avec le temps...

Mon admiration suivit toujours Remy de Gourmont dans sa laborieuse et glorieuse carrière qui s'acheva pendant la guerre, le 27 septembre 1915.

Il y a une dizaine d'années, villégiaturant dans l'Orne, j'eus l'occasion de visiter le château de la Motte, à Bazoches-en-Houlme, où le puissant critique des Promenades Littéraires naquit le 4 avril 1858.

Situé tout au bout d'une longue et double allée de hauts châtaigniers, le « château » est une grande maison bourgeoise, de style Renaissance, à deux étages, trouée de nombreuses fenêtres, flanquée de communs. Le lieu même où Remy de Gourmont ouvrit pour la première fois ses yeux sur le monde, est situé au second étage. On y accède par un escalier fort étroit. C'est une toute petite chambre, très simple, tendue de vieux papier gris et bleu du temps. On a conservé telle quelle l'humble alcôve où Gourmont poussa son premier cri.

A la mairie, on eut l'obligeance de me laisser prendre copie de l'acte de naissance du grand écrivain. Le voici :

N° 6, 4 avril.

L'an mil huit cent cinquante huit, le quatre avril, à neuf heures du matin, par devant nous Pierre Petit, adjoint au maire pour ce dernier empêché à cause du présent acte, remplissant les fonctions d'officier de l'état-civil de la commune de Bazoches, canton de Putanges, arrondissement d'Argentan (Orne), est comparu en notre maison commune Monsieur le vicomte Auguste-Marie de Gourmont, propriétaire, âgé de vingt-huit ans, né à Coutances, et domicilié en cette commune, château de la Motte, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin, né aujourd'hui à une heure du matin, de lui déclarant et de Madame Marie-Mathilde de Montfort, son épouse, demeurant avec lui, née en cette commune, âgée de vingt et un ans ; et auquel enfant ils ont déclaré vouloir donner les prénoms de Remy-Marie-Charles.

Les dits déclarants et présentation faite en présence de Jean-Pierre Mallet, marchand drapier, âgé de cinquante-sept ans, et de Jules-Hippolyte Louis, instituteur, âgé de quarante-sept ans, domiciliés aux bornes de cette commune, lesquels ont signé avec nous et le père de l'enfant le présent acte, après qu'il leur en a été donné lecture.

Louis MALLET

Vte DE GOURMONT.

PIERRE PETIT

A noter que le grand-père maternel de Gourmont, M. de Montfort, était alors maire de Bazoches-en-Houlme. C'est pourquoi il n'a pas signé ce document, laissant ce soin à son adjoint. Sa signature figure à la page précédente du registre : « Philogène de Montfort, écuyer. »

Ce prénom, désuet, comme cet humble titre, le dernier de la hiérarchie nobiliaire, ont plu certainement à Remy de Gourmont.

P.P. P., « Les journaux », Mercure de France — 1-II-1932, pp. 705-707.

Note des Amateurs : Il semblerait que le Mercure ou Georges Maurevert ait péché par excès de zèle en omettant l'accent de Remy dans la copie de l'acte de naissance.