Notice

1° Edition originale :

Congrès pour l'extension et la culture de la langue française (Liège, 10-13 septembre 1905).

2° Autres éditions :

recueilli dans Promenades littéraires, 7e série, 1927.

Echos

M. Wilmotte, « Un congrès original », Mercure de France, 1er septembre1905, p. 36-44

Texte

La critique littéraire dans la presse quotidienne (1). — Les écrivains sont à peu près d'accord pour se plaindre de la place médiocre que la critique littéraire tient aujourd'hui dans la presse quotidienne.

Cette plainte est-elle justifiée ?

C'est selon le point de vue par où on considère la question.

Relativement au développement pris par l'actualité, les sports, les informations politiques, la critique littéraire n'a plus dans les journaux la même place qu'autrefois. Cependant, le nombre des feuilletons littéraires est sans doute plus grand aujourd'hui qu'il y a trente ans. On fait beaucoup de critique littéraire dans les journaux ; s'il semble qu'on en fasse moins que jadis, cela tient à trois causes principales qui se peuvent résumer ainsi :

1° Les journalistes anciens, en agrandissant leur format ou en augmentant le nombre de leurs pages, n'ont pas fait profiter la critique littéraire du supplément d'espace dont ils disposaient ;

2° Les nouveaux grands journaux populaires n'ont pas compris la critique des livres dans leur programme ;

3° Le nombre des livres est si considérable que tous les critiques réunis arriveraient difficilement à les lire ; pour deux ou trois dont on parle, dix ou quinze restent dans l'ombre.

La vérité, c'est qu'on n'a jamais tant écrit d'articles de critique ; mais il est vrai aussi que, relativement à la production littéraire, ces articles sont en trop petit nombre pour satisfaire les écrivains.

De remède à cela, on n'en voit guère. Si les écrivains désirent qu'on parle de leurs livres, il faut se demander si le public, de son côté, désire qu'on lui en parle. Il est assez probable que, si le goût de l'information intellectuelle régnait dans la masse des lecteurs, les grands journaux populaires s'en seraient avisés. Des expériences directes leur ont appris tout le contraire : une enquête littéraire, intéressante, entreprise l'an passé par le Matin, dut être arrêtée devant l'indifférence ou même l'hostilité du public.

Ce serait une tout autre question de savoir si, telle qu'elle est exercée dans beaucoup de journaux, la critique remplit son but ; si les livres dont elle parle sont précisément les meilleurs, les plus riches ou par la forme ou par les idées, si, enfin, les écrivains distingués auxquels est dévolue cette fonction de critiquer, c'est-à-dire de juger, de hiérarchiser les efforts littéraires, sont bien adaptés à leur tâche difficile ; si, ayant l'autorité nominale, ils ont aussi l'autorité réelle.

Il semble bien, malheureusement, par les résultats qu'elle donne, que la critique littéraire des journaux soit inefficace à augmenter ou la connaissance indirecte des livres ou leur diffusion parmi le public.

A cela, des journaux hebdomadaires pourraient peut-être remédier, s'il était possible d'en créer de sérieux et de très répandus ; mais ces deux termes semblent bien s'exclure. La vogue de certaines publications hebdomadaires tient, en effet, à ce qu'elles professent sur toutes choses des idées moyennes, timides et même peureuses. On n'y pourrait faire passer, sans scandale, le quart des feuilletons de Sainte-Beuve.

Cependant, il y a de sérieux journaux hebdomadaires anglais, uniquement consacrés aux lettres ; l'entreprise n'est donc pas absolument chimérique. Les publications françaises analogues trouveraient à l'étranger une clientèle appréciable ; mais, jusqu'ici, le public lettré, d'ailleurs assez restreint, s'y est montré, en France, réfractaire.

(1) Congrès pour l'extension et la culture de la langue française (Liège, 10-13 septembre 1905).

A consulter :

Jean de Gourmont, « Littérature », Mercure de France, 1er juillet 1906, p. 104

« Echos : Extension et culture de la langue française » Mercure de France, 15 novembre 1906, p. 319)