UN NOUVEAU PHILOSOPHE
JULES DE GAULTIER

Le public, en France, et en d'autres pays sans doute, a des préjugés contre la philosophie. Il la croit ennuyeuse, rébarbative, impossible à comprendre. Cela est vrai de la mauvaise philosophie, de celle qui dissimule sa nullité sous le pédantisme des mots abstraits et des formules scolastiques : mais c'est vrai aussi de la mauvaise littérature. Le plus enragé lecteur de romans ne saurait soutenir que tous les romans sont amusants ou agréables à lire. Qu'il s'agisse des drames de la vie réelle ou des drames de la pensée, et aussi de ses comédies, le sujet est fort peu de chose et l'oeuvre n'a de valeur et d'intérêt que par le talent du narrateur. Le fond des histoires les plus belles et les plus poignantes, très souvent, est identique à celui des plus sottes. Des centaines de poètes ou de conteurs, avant ou après Shakespeare, ont écrit leur Roméo et Juliette. Un amour contrarié, des scènes de tendresse et de passion, deux amants qui préfèrent la mort à la désunion, c'est un thème anecdotique que l'on peut lire presque chaque jour dans les journaux, aucun n'est plus banal, aucun, peut-être, n'est plus beau quand il est développé par le génie d'un grand poète, ¾ et aucun n'est plus fastidieux quand c'est un romancier imbécile qui a entrepris d'en tirer deux cents feuilletons pour un journal populaire.

La philosophie a ceci de commun avec la littérature, avec l'art tout entier, que les sujets dont elle traite ont un intérêt immense ou nul, selon que l'auteur a un talent original ou n'est qu'un pédant sans idées. Ces sujets, en effet, lui sont imposés de toute éternité ; leur banalité est celle de la vie elle-même. Il s'agit aussi d'essayer de comprendre un peu le mécanisme des actions humaines et de chercher quel peut bien être leur but, et si elles en ont un, ou si la vie n'est pas autre chose qu'un ensemble de gestes évoluant parmi les ténèbres du hasard. C'est autour de cela que les philosophes, depuis qu'il y a une philosophie, se promènent avec patience, comme jadis les Péripatéticiens et leur maître Aristote, sous les portiques du Lycée. Aucun sans doute n'a résolu aucune des questions, puisqu'on les pose toujours, mais cela est fort heureux, car alors il n'y aurait plus de philosophie et les hommes auraient épuisé une des sources de leurs plaisirs.

Je prétends établir, en effet, que la philosophie, non seulement n'est pas ennuyeuse, mais est délectable et beaucoup plus émouvante que tous les drames et tous les romans.

Il est très rare qu'une oeuvre d'imagination raconte des événements directement comparables à ceux qui ont rempli notre vie, ou à ceux dont nous pouvons prévoir la venue dans le cours normal de nos années futures. La philosophie, au contraire, s'adresse à chacun de nous en particulier, pour lui parler du fonctionnement de son intelligence, de la genèse de ses sentiments, de l'origine même de sa vie, de sa destinée tout entière. Bacon et Descartes, Spencer et Schopenhauer disent, comme Shakespeare ou comme Racine, les aventures d'un héros ou d'un prince, mais ce prince, nous le reconnaissons aussitôt, c'est nous-même, dans notre royauté humaine, et il n'est pas un épisode de la tragédie qui ne nous touche personnellement ; il n'est pas une page où le lecteur ne s'arrête pour lever la tête et réfléchir sur son propre destin, les yeux vagues et le coeur un peu troublé.

La philosophie véritable ne s'écrit pas, comme le croit encore le vulgaire, dans une langue spéciale, obscure et prétentieuse. Il y a des traités philosophiques rédigés en jargon et d'une lecture certainement pénible, même pour les initiés ; on ne les lit plus, depuis qu'on s'est aperçu que cette obscurité de langage est un voile, choisi à dessein très épais, pour mieux masquer la nullité de la pensée. Depuis Schopenhauer, qui reprit la tradition de Montaigne, de Descartes, des Encyclopédistes, les philosophes, quand ils ont des idées et du talent, écrivent en un style simple et clair, quelquefois même spirituel. L'un d'eux, Frédéric Nietzsche, s'est même avisé d'être en même temps un grand poète et un grand philosophe et d'étonner le monde coup sur coup par deux livres d'une forme aussi différente que Par delà le Bien et le Mal et Ainsi parlait Zarathoustra.

Il y a un ouvrage de Schopenhauer que presque personne n'a lu. Les plus curieux ou les plus courageux reculent généralement devant le titre, véritable épouvantail. Cet ouvrage porte, en effet, écrit à son fronton ces mots redoutables : De la quadruple racine de la raison suffisante. Soyez braves, ouvrez-le. Quelle récompense ! C'est un enchantement : un homme d'esprit à la fois et de raison profonde nous passionne pour l'idée de cause, sans laquelle le monde ne peut être conçu que comme un chaos, et nous fait rire, vraiment rire, aux dépens de ceux qui essaient de briser la chaîne invincible des faits, pour y insérer modestement leur petite volonté.

C'est à Schopenhauer, le plus français des philosophes allemands, que se rattache assez visiblement M. Jules de Gaultier ; c'est de lui qu'il a reçu son éducation philosophique, c'est à lui qu'il doit cette rectitude de jugement qui fait la valeur de sa propre philosophie. Comme Schopenhauer encore, il est un constructeur de systèmes ; le monde n'a eu un sens pour lui que le jour où il a pu en assembler les forces selon un mécanisme logique. D'autres se contentent de vues partielles ; il a voulu contempler l'ensemble de la vie et déterminer la direction du mouvement qui entraîne, selon un rythme merveilleux, le cosmos intellectuel.

Les deux forces qui mènent les hommes sont le désir de vivre et le désir de savoir, le sentiment et la curiosité, l'amour et la science. Le drame de la vie, c'est le conflit entre ces deux forces, c'est la lutte que nous menons tantôt contre l'une, tantôt contre l'autre. Quand elle se laisse dominer par l'instinct vital, l'humanité peut vivre une intense vie matérielle, mais elle la vit stupidement ; si elle obéit aveuglément à l'instinct de connaissance, elle peut monter très haut dans les régions intellectuelles, mais aux dépens des nécessités pratiques. La supériorité dans les hommes, ainsi que dans les nations, s'obtient quand les deux forces se font équilibre, quand la floraison intellectuelle est le résultat logique d'une forte vitalité matérielle.

Cet équilibre est extrêmement rare et quand il se produit, ce n'est que pour un instant. Individus et peuples se laissent inconsciemment dominer par l'une de ces forces et se trouvent, selon le cas, ou maintenus dans un état voisin de l'animalité, ou exaltés sans mesure intellectuellement.

Des deux états absolus, le moins naturel à l'homme est assurément l'état intellectuel. Une certaine dose d'intelligence provoque dans l'animal humain une ivresse singulière ; il se met à se concevoir autre qu'il n'est réellement, il se croit appelé à mener une vie entièrement différente de celle qui lui est assignée par la destinée. M. Jules de Gaultier appelle cette maladie des civilisés le bovarysme, d'après l'héroïne de Flaubert, Madame Bovary, qui en fut atteinte à un degré aigu. Petite bourgeoise campagnarde destinée à une vie honnête et calme, sans passions, sans aventures, elle s'imagine un jour, sous l'influence des idées romantiques, que le bonheur, c'est le rêve exalté, l'amour fougueux, l'irrégularité, et elle meurt victime de son illusion. Presque tous les personnages de Flaubert, le Frédéric de l'Education sentimentale aussi bien que les bonshommes de Bouvard et Pécuchet, sont atteints du même mal ; mais ils guérissent, reconnaissent leur erreur, finissent par revenir à la vie normale. C'était donc Emma Bovary qu'il fallait prendre comme type de cette aberration particulière ; le mot bovarysme est, d'ailleurs, des plus heureux et il est très probable qu'il restera et entrera dans la langue, où il comblera une lacune.

Tous les jours des médecins découvrent des maladies nouvelles ; cela veut dire, non pas que ces maladies soient réellement nouvelles, mais bien qu'on ne les avait pas encore différenciées d'avec les autres maladies connues. Le bovarysme est dans le même cas ; il a toujours existé, mais on le confondait avec diverses autres maladies de notre esprit, l'amour-propre, la vanité, la suffisance, l'ambition, l'inquiétude, l'inconstance. Il y a un peu de tout cela dans le bovarysme, mais son essence est très différente et très particulière, puisqu'il suppose que le personnage qui en est atteint se développe dans un sens absolument opposé à sa personnalité réelle.

Il n'est presque personne qui ne soit plus au moins atteint de bovarysme, qui fasse exactement le métier pour lequel il a les meilleures aptitudes. Le monde, sans cela, serait moins plein de fausses vocations, de faux talents, de fausses passions. Mais cette maladie, du moins, est un principe de mouvement ; poussés par leur illusion, beaucoup de gens se remuent dans la vie, qui, entièrement sains, demeureraient immobiles dans leur coin. Il arrive même que le bovarysme réussit et qu'un homme, qui veut très fermement exercer un métier pour lequel il n'était pas fait, arrive à y devenir maître. C'est un bovarysme de ce genre que M. Jules de Gaultier a cru découvrir dans les Goncourt. En se basant sur les aveux même de leur Journal, il les montre n'acquérant le style que par un labeur terrible, par des séances de travail qui les couchaient épuisés comme des manoeuvres qui ont abusé de leur force. Evidemment, s'ils étaient doués d'une des qualités indispensables à l'écrivain, la faculté de voir, d'observer la vie, ils ne possédaient qu'à un degré bien moindre l'autre don indispensable, le style spontané. « A mon sentiment, écrit Edmond de Goncourt, mon frère est mort du travail et surtout de l'élaboration de la forme, de la ciselure de la phrase. » Si c'est vrai, c'est effroyable. D'autres pages du même Journal nous montrent les deux frères, dans une sorte de folie du style, « chercher l'insomnie pour avoir la bonne fortune des fièvres de la nuit » ou bien « tendre à les rompre, sur une concentration unique, toutes les cordes de leur cerveau ». Je pense que l'on reconnaît le travail normal, légitime, à ceci : qu'il est exécuté joyeusement et sans fatigue. L'apparition de la fatigue est le signe que la mesure est comble.

Le bovarysme peut donc, quand l'homme est doué d'une forte volonté, avoir les effets de l'activité naturelle. Quand cela se produit, il est bien difficile de se rendre compte si la vocation était véritable ou factice. En somme on ne sait jamais bien ce qu'un homme aurait dû faire, pour remplir sa destinée ; pour se concevoir autre que ce que l'on est réellement, il faudrait être quelque chose de fixe, et l'homme vit en perpétuel changement. Ces réflexions que M. Jules de Gaultier n'a pas manqué de faire l'ont conduit à considérer le bovarysme au moins dans son principe, comme l'une des causes de l'idée d'évolution et l'un des moteurs de l'évolution elle-même (1).

M. Jules de Gaultier, avec une probité logique excessive, a fait contre son propre système philosophique des objections qu'il est possible de ne pas admettre, et dont le principal résultat sera, d'ailleurs, d'augmenter l'admiration de ses lecteurs pour la lucidité de sa pensée et l'ingéniosité hardie de son esprit philosophique.

1903

(1) M. Jules de Gaultier a publié trois ouvrages : De Kant à Nietzsche. ¾ Le Bovarysme. –– La Fiction universelle.


UNE IMPÉRATRICE (1)

Vous êtes empereur, Seigneur, et vous pleurez !
Racine, Bérénice.

C'est la beauté de la tragédie et son intérêt humain et surhumain, qu'elle ne met en scène que des êtres vivant au-dessus des lois, affranchis des devoirs vulgaires, libérés, par leur naissance et par leur bon plaisir, des misères de la promiscuité sentimentale, de certaines obligations hypocrites, des ménagements de l'égalité. Quand Louis XIV pleure Mlle de la Vallière, la sincérité de sa douleur est absolue, car il n'a rien à ménager, ni les convenances, qu'il règle, ni l'opinion, qu'il dirige, ni lui-même, modèle des attitudes. L'homme apparaît nu dans sa grandeur et dans sa misère, dépouillé du costume social, tout près d'être dieu ou l'animal pur, homme enfin et rien de plus qu'une physiologie. Voilà le rempart contre l'abstraction. Le héros, humainement tout-puissant, est charnel ; il saigne et il pleure, et il râle ; et ces émotions souveraines s'exaltent librement sans autre obstacle que les limites qu'une sensibilité se pose à elle-même.

La tragédie développait les originalités et les égoïsmes ; à défaut de dieux et de héros, elle créait des demi-dieux de hasard, orgueilleux aventuriers sans peur que de la force, leur maîtresse et leur ennemie, des hommes sans méthode, mais supérieurs dans leur désordre aux plus beaux produits de la règle et de l'obéissance. Le drame d'aujourd'hui et les romans, en avertissant les hommes qu'ils sont soumis les uns aux autres et solidaires, arrêtent les efforts individuels vers la liberté. Il n'y a plus guère d'hommes libres. Les plus forts ménagent la clientèle qui nourrit leur vanité ; la foule dirige les gestes des héros ; les épaules les plus dédaigneuses ploient sous les regards anonymes du peuple.

L'homme qui assassina l'impératrice d'Autriche obéit peut-être à un instinct plus haut que son intelligence ; croyant tuer la force, il poignarda le dédain.

« Elle ne rit presque jamais, — jamais quand elle vit sa propre et véritable vie ; mais quand la vie vulgaire de tout le monde, ce que nous appelons la réalité, vient heurter le flux de son intérieure existence, quand les relations d'hommes l'atteignent et la frôlent, alors elle rit, en roucoulant doucement et convulsivement, jusqu'aux larmes, comme si quelque chose de très comique et douloureux à la fois la frappait ; alors aussi une onde de sang rouge lui monte du cœur aux tempes, jusqu'à la racine des cheveux, et voile sa face de la pourpre de son intime royauté, comme pour la protéger contre une injure du dehors (2). »

En termes plus simples, elle ne pouvait regarder la vie sans un rire de pitié. Les grands dédaigneux sont portés au rire ; c'est chez eux une attitude de défense. Mais ce qui affirme davantage encore le dédain chez Elisabeth de Bavière, c'est son exil volontaire de la cour, le choix de ses amitiés ou de ses caprices, la licence royale qu'elle donna au développement de ses goûts particuliers, son amour de la solitude, des sommets et des profondeurs.

En véritable impératrice, digne de cet état, rien de moyen ou d'ordinaire ne peut la contenter. Pour ses plus longues promenades, elle choisit l'hiver et des temps de vent et de neige fondue. Et cela, afin d'avoir un plaisir qui eût révolté les autres sensibilités : « Pour moi, c'est le temps que j'aime le mieux. Car il n'est pas fait pour les autres. Je puis en jouir seule. En vérité, il n'est là que pour moi... (3). » Au dédain se joint l'orgueil, son compagnon sérieux, mais souriant. Elle a conscience qu'à une nature privilégiée, devenue unique par le rejet de tout ce qui la reliait au commun monde des hommes, à une telle âme et à ce corps toujours divin, il faut des sensations inattendues, des fêtes dont la joie épouvante les êtres craintifs ou de nervosité banale.

Ici la recherche du rare exclut l'idée de surprendre et de plaire, qui se retrouve, but de presque toutes les excentricités féminines. Et le mot même d'excentricité, s'il venait à l'esprit, devrait être restauré selon son sens normal et primitif. Il s'agit d'un être d'exception, mais qui a gardé toute la beauté de sa logique naturelle. Le drame final, si elle l'a perçu, ne l'a pas surprise, et peut-être alors a-t-elle rendu grâce au destin qu'une vie exceptionnelle eût une fin tragique : « Parfois, disait-elle, le destin choisit l'un de nous pour en faire un poème magnifique ou pour s'en gorger comme d'Œdipe ou de Médée... (4). » Si le dénouement, quoique sanglant, avait été obscur comme la chute dans un abîme, elle en eût encore apprécié la beauté, en eût joui peut-être immensément. Son âme n'était pas « une infante en robe de parade » ; Elisabeth méprisait trop les hommes pour s'orner à leur intention ou d'un manteau de cour, ou d'une agonie tragique. Elle n'aimait qu'elle-même ou ses pareilles ; mais ses pareilles étaient rares, comme ses illusions furent brèves et mystérieuses.

Faite pour l'éclat du soleil et du trône, elle cache sa face et son cœur ; elle doit tolérer qu'on la regarde, elle ne veut pas qu'on la voie : son éventail se dresse ou son ombrelle s'incline entre elle et ces curiosités où il y a souvent du désir. Un désir trop humain et naturel l'eût tellement humiliée !

Ses rapports même avec la littérature, art ou théâtre, sont défiants. Elle n'accepte la fiction que comme un prétexte à regarder au fond de soi : « Et quand nous sommes saisis, nous ne le sommes pas par le tragique du théâtre, mais par des sens plus profonds qui ont été éveillés dans notre cœur (5). » Voilà bien l'attitude de la sensibilité égoïste pour qui la douleur d'autrui n'existe que si par hasard le cri extérieur a vibré à l'unisson du timbre intime. Il ne faudrait pas se laisser prendre trop souvent à ce que les gestes d'une telle créature peuvent simuler de pitié ; ce sentiment ne peut vivre en elle que passager. Quelle pitié d'autrui est possible à qui n'a pas pitié de soi-même ?

La pitié suppose une certaine crédulité. Elisabeth jugeait les hommes à peu près comme La Rochefoucauld : « Chaque salut a son but, chaque sourire veut être payé (6). » Elle payait, et sans amertume. Autant qu'un désir, une dette l'eût révoltée ; le désir est une sorte de dette, quoique imaginaire. Cela est fort bien dit dans le vers célèbre (et pas assez, car il est des plus beaux) :

C'est moi qui te dois tout, puisque c'est moi qui t'aime.

Comme elle se joue de ce sentiment vulgaire, si symbolique de nos lâchetés sociales, la sympathie ! Elle le revêt comme des gants fourrés contre le froid, comme un manteau contre la pluie : « Quand je me meus parmi les gens, je n'emploie à cela que la partie de moi-même qui m'est commune avec eux. Les gens s'étonnent de me trouver si semblable à eux, parce que je les interroge sur le temps qu'il fait ou sur le prix des brioches (7). » Et ainsi, on l'aime pour ce qu'elle n'est pas. La communion s'est faite à travers les invincibles mailles d'une cuirasse d'acier : le dieu qui s'est donné reste intact. Et c'est le cas de rire longuement, car la comédie est bonne.

« Impératrice de l'âme, comme dit M. Christomanos, elle se vantait (8) de ne se laisser influencer par rien. » Illusion, mais de celles qui entretiennent dans un être humain le sens de la liberté et la confiance en soi. Ainsi les caprices mêmes sont justifiés et prennent, comme ceux de l'océan, un air de volonté jusque dans la furie. Si l'on se choisit des principes, ou ce simulacre seulement, une devise, il les faut tels que l'évolution, de notre nature n'en soit pas contrariée. Quoi de plus fâcheux que de se tresser soi-même les liens de chanvre trop solides ou les membres vont se révolter immobiles ? Les esprits supérieurs ne sont jamais enclins à ces erreurs de jugement. La prison qu'ils élisent est si vaste qu'on y taillerait d'immenses domaines pour un million de désirs. Elisabeth disait : « Ne rien craindre, souhaiter tout, être indifférent à tout. »

Cependant, voici le point douloureux. L'indifférence naturelle n'est plus souvent que le signe de l'inintelligence. L'indifférence acquise est une conquête glorieuse et douloureuse. Il faut avoir cruellement souffert pour avoir appris à ne plus souffrir. Mais le détachement entretient encore, et dans l'être tout entier, un état général de sensibilité que le moindre écho du passé va exalter jusqu'à l'anéantissement. Alors, l'idée de la mort se présente ; car il faut que la vie ait un but : c'est la mort, si ce n'est la vie. M. Christomanos devine et démêle cet écheveau. Voici trois petites phrases qui prouvent qu'il a compris (9) :

« En ses secrets, elle doit puiser de merveilleuses agonies.

Souvent dans ses yeux passent des désespoirs dont on ne saurait dire l'effroi.

Sa vie, dans quels abîmes roule-t-elle, sa vie qu'elle creuse si profondément dans le roc de la solitude ? »

Telles sont les délices des grandes âmes indifférentes ; telles sont les joies terribles du détachement.

Elle ne fut donc pas heureuse, au sens vulgaire de ce mot déshonoré, mais surtout elle ne chercha pas le bonheur, elle ne le voulut pas. Un jour, pendant une traversée, elle se compara à un écueil (10) :

« Le bonheur n'est pas donné aux écueils. Fatalement, la lumière se brise contre les écueils. Je suis comme un écueil. La lumière ne risque pas de m'approcher. Et si elle venait jusqu'à moi, il y a des ténèbres dans lesquelles tous les clairs rayons se dissolvent, qui absorbent toute lumière et ne la rendent jamais. » C'est un peu sibyllin, mais cela se comprend, dit par cette bouche orgueilleusement sincère. Elle est trop seule, trop différente pour partager avec qui que ce soit des sentiments ou des sensations, ou bien ses désirs sont tellement étranges qu'elle ne veut ni les avouer, ni les tolérer. Cependant des flots avaient joué autour de cet écueil. Avaient-ils joué en vain ? Le rocher sombre et ironique n'avait-il jamais accueilli le sourire de la lumière ? L'impératrice ne se parle jamais qu'à demi. Dès qu'elle sent que le manteau glisse de son épaule, elle interrompt le geste commencé, ramène l'étoffe au devoir de tomber en plis sévères. Cette femme n'eut jamais de confidentes ; dans la tragédie de sa vie, si on l'ordonnait, il faudrait rayer ce rôle ; et les monologues d'Hamlet seraient encore pour elle des morceaux bien longs et bien indiscrets.

Mais si elle n'a pas dit sa vie, il lui a plu de dire un peu de sa pensée. M. Christomanos lui a donné un tour lyrique, mais avec assez de vérité dans la transcription pour qu'on y trouve bien ce qui décidément fait la trame du caractère de l'impératrice, le dédain.

Elle n'a l'air de tenir ni à ses impressions, ni à ses admirations; souvent une brève phrase d'ironie vient briser le son trop musical de paroles trop claires. Si maîtresse d'elle-même qu'elle soit, elle a parfois besoin de se reprendre ou de se contredire. C'est très féminin ; mais une femme supérieure n'en est que davantage une femme.

C'est d'une femme qu'il s'agit. Supérieure et différente, solitaire et dédaigneuse, l'impératrice a toujours possédé, et jusqu'à sa dernière heure, les dons les plus exquis de cet état. Elle fut jolie, avec de la beauté dans l'attitude, dans les yeux ; elle fut gracieuse et prenante, malgré elle, parce que l'inconscient féminin était plus fort que sa volonté d'isolement. Son intelligence s'adaptait à la causerie, comme au rêve ou à la méditation ; elle avait de l'esprit, et du plus vif. Enfin la bonté fit souvent, en cette âme complexe, capituler le mépris.

Rien de plus charmant que sa visite à la villa Capo d'Istria (11), l'étonnement religieux de la jeune fille (« Vous êtes la reine ! »), la branche chargée de fleurs et d'oranges mûres. L'impératrice était capable de jouir des plaisirs les plus simples, peut-être parce que sa vraie vie alors fuyait : « Le sentiment du temps est toujours douloureux, car il nous donne le sentiment de la vie (12). »

Il y a un certain sérieux dans les caractères assombris par l'expérience qui ne s'égale qu'aux enfantillages. Aussi de menues pratiques superstitieuses aident à supporter les journées (13).

« Il faut qu'elle boive à chaque source qu'elle rencontre sur son chemin.

— C'est toujours une nouvelle saveur, me dit-elle, et elle boit de préférence dans le creux de sa main, bien qu'elle ait toujours sur elle un gobelet d'or. »

Et cela par manière de communion avec la nature, avec la croyance de célébrer de mystérieuses noces.

Il semble aussi qu'elle ait cru à la métempsychose (14).

Voilà des contradictions et des faiblesses; et cela est heureux, cela certifie la vie. Un être tout uni se lit trop bien et trop vite : mauvais signe.

Les beaux exemplaires de l'humanité ne sont jamais des produits bruts de la nature. Ce sont des œuvres d'art, façonnées par la volonté en lutte avec l'instinct. Mais il ne faut pas que l'instinct soit vaincu et chassé ; il faut qu'on le retrouve, comme l'or dans le métal de Corinthe.

1900.

(1) Constantin Christomanos : Elisabeth de Bavière, impératrice d'Autriche. Pages de journal. Impressions, conversations, souvenirs. Traduction de Gabriel Syveton. Portrait de l'impératrice par Femand Khnopff. Préface de Maurice Barrès. — Paris, Société du Mercure de France.

(2) Page 69.

(3) Page 92.

(4) Page 98. Et (page 95) les tragiques paroles : « Je marche toujours à la recherche de ma Destinée ; je sais que rien ne peut m'empêcher de la rencontrer, le jour où je dois la rencontrer. Tous les hommes doivent, à un certain moment, se mettre en route à la rencontre de leur Destinée. Le Destin, pendant longtemps, tient ses yeux fermés, mais un jour il vous aperçoit tout de même...

(5) Page 100.

(6) Page 102.

(7) Pages 108.

(8) Page 134.

(9) Pages 109, 110, 111.

(10) Page 136.

(11) Page 250.

(12) Page 146.

(13) Page 256.

(14) Page 111 et (page 137) le mot soudain interrompu : « Quand je reviendrai sur la terre... »

pp. 144-155 de la 15e édition, 1929.


LES CONTES DE FEES

Ayant écrit ce titre, j'ai un scrupule. Nous disons bien aujourd'hui Contes de Fées, mais est-ce ainsi qu'il faut dire ? Tous les livres anciens portant invariablement Contes des Fées, ce qui est bien différent. La première formule signifie : contes où il y a des fées ; la seconde : contes contés par les fées. Il y a de cela une preuve ; c'est le titre même du grand recueil intitulé : le Cabinet des Fées ; ce recueil porte, en effet, en sous-titre : contenant tous leurs ouvrages en neuf volumes. On donnait donc autrefois ces contes comme étant l'œuvre même des fées. Perrault, qui les mit à la mode, avait intitulé son recueil célèbre : Contes de ma mère l’Oye, ou histoires du temps passé ; et cette « Mère l'Oye » était bien une fée, une vieille fée, qui narrait aux petits enfants ses aventures et celles de ses sœurs, les autres fées.

Il n'y a que les fées, d'ailleurs, qui puissent conter d'aussi charmantes histoires que la Belle au bois dormant, le Nain jaune ou Gracieuse et Persinette, ou encore La Belle et la Bête, cette merveille. On le croyait jadis, et on accordait à ces récits une origine surnaturelle. De nos jours les érudits, qui ont étudié cette question difficile de la naissance et de la propagation des contes populaires, sont généralement revenus à l'opinion ancienne. Ils n'admettent pas qu'un conte qui se transmet de bouche en bouche, de la mère à l'enfant, puisse avoir un auteur connu. Ces contes, disent-ils, sont nés on ne sait où, on ne sait quand, peut-être dans l'Inde, peut-être en Egypte ou en Grèce, jadis, avant les civilisations ; et depuis que les hommes font de la littérature, de la poésie lyrique, des romans et des discours, ils ont perdu la faculté d'imaginer ces jolies choses qui s'appellent des contes de fées, quoique souvent il n'y soit pas du tout question des fées.

J'ai pensé ainsi longtemps, et je crois encore que cette pensée contient une grande part de vérité. Cependant, il faut bien reconnaître que l'on n'a pas pu retrouver dans la tradition orale tous les contes de Perrault. Quelques-uns seulement, comme le Petit chaperon rouge, sont manifestement antérieurs à Perrault. Pour quelques autres, il est très possible qu'il les ait créés lui-même, sur le modèle de ceux que lui avaient racontés sa nourrice ou sa mère.

Cela est possible ; on vient d'ailleurs de nous en donner une nouvelle preuve. Deux jeunes écrivains, Pierre de Querlon et Charles Verrier, ont publié, il y a quelques semaines, un petit volume, la Princesse à l'Aventure, qui est un véritable conte de fées. On ne serait pas très surpris de le trouver dans les recueils anciens ou dans la « Bibliothèque bleue » ; il est ingénu et compliqué, obscur et merveilleux ainsi que tous les vieux contes. Comme il convient, on ne comprend bien l'histoire que lorsque l'on est arrivé au dernier feuillet. Mais à ce moment, tout devient limpide et l'esprit est satisfait. Il est vrai de dire que l’on attend sans aucune angoisse le dénouement heureux. Il est prévu, et d'ailleurs la promenade est si charmante qu'on s'y attarde volontiers. C'est un des livres les plus jolis qui aient paru depuis longtemps. Je ne sais quel a été son succès. Aucun des « grands critiques » académiques n'en a parlé ; cela est trop délicat pour eux. Je crois pourtant que si ce petit conte pouvait arriver jusqu'au public, il plairait infiniment à ceux qui ont quelque goût littéraire, aussi bien qu'à ceux qui lisent uniquement pour s'amuser.

On vient donc d'écrire un véritable conte de fées. Cela n'a rien de paradoxal ; le conte de fées, depuis plus de deux siècles, fait partie de la littérature française. Il a produit autant de chefs-d'œuvre que le théâtre et le roman : un conte de fées ne me paraît pas plus extraordinaire, et peut-être moins, en 1904, qu'une tragédie, La tradition n'en a presque jamais été interrompue, Charles Nodier, vers 1820, a écrit des contes de fées, dont quelques-uns ne sont pas encore oubliés. Si, depuis cette époque, le goût s'est un peu détourné de cette littérature simple et souriante, la mode peut la favoriser à nouveau. Cela serait charmant. Et quelle revanche contre les turpitudes naturalistes ! Ou la science, ou la poésie ; il n'y a pas de milieu.

***

Charles Perrault passe généralement pour avoir eu le premier l'idée de recueillir les contes, de les mettre en bon français, de les adapter au goût d'un public difficile et nullement naïf. C'est donc lui qui aurait créé, comme genre littéraire, le conte de fées.

Rien n'est plus faux. Cette erreur est, il est vrai, accréditée par toutes nos histoires de la littérature française, où la question tient d'ailleurs fort peu de place ; mais ce n'est pas moins une erreur, et assez grave, puisqu'elle frustre de la gloire qui lui revient légitimement une des femmes les plus ingénieuses et les plus spirituelles qui furent jamais, Marie-Catherine-Jumelle de Berneville, comtesse d'Aulnoy. Quand on écrira une véritable histoire de la littérature française, un ouvrage sérieux où l'exactitude ne sera pas sacrifiée aux considérations morales et pédagogiques, il faudra donner tout un chapitre à l'auteur des Illustres Fées. Mais que de recherches cela nécessitera ! Les éditions des contes de Mme d'Aulnoy sont innombrables ; il y en a peut-être des centaines, la plupart sans date. Distinguer entre toutes la première est fort difficile. Je pense qu'elle a dû être publiée entre 1682 et 1690 ; mais je ne l'ai pas vue et je ne puis en fixer la date exacte. Parmi ces contes que tous les enfants lisaient, quand on lisait encore des contes, les plus célèbres sont Fortunio, Babiole, la Bonne petite Souris, le Nain jaune, l'Oiseau bleu, la Biche au bois. Si on ne les lit plus guère, leurs titres, du moins, sont entrés dans la langue où ils ont la valeur de véritables locutions. Mais peut-être recommencera-t-on quelque jour à les aimer ; ils le méritent.

La comtesse d'Aulnoy habita longtemps l'Espagne, et elle a écrit sur ce pays un volume des plus curieux. Elle avait beaucoup d'esprit ; c'est elle qui a dit ce mot si souvent répété : « Quand on connaît l'Espagne, on n'a pas envie d'y bâtir des châteaux. » Elle mourut, avant d'avoir atteint la vieillesse, en 1705.

Mme d'Aulnoy eut une rivale, ou plutôt une imitatrice, dans la personne de Mlle de La Force, fille de François de Caumont, marquis de Castelmoron, qui publia, avec beaucoup de succès, en 1692, Les Fées, contes des contes. Mlle de La Force est assez connue par ses aventures. Demoiselle d'honneur de Mme de Guise, elle fit, comme beaucoup de demoiselles d'honneur en ces temps galants, bon marché de son honneur. Le célèbre comédien Baron, « recherché de la cour et de la ville », la charma d'abord, puis M. de Brion, le fils du président, puis, il faut bien l'avouer, beaucoup d'autres. Après cela, on souscrira sans étonnement au jugement de Charles Nisard : « Mlle de La Force n'a pas l'imagination aussi réglée, ni peut-être aussi chaste que Mme d'Aulnoy ; non pas certes qu'elle dise jamais rien qui alarme la pudeur, mais il lui échappe par-ci, par-là, certaines expressions où elle paraît oublier qu'elle sera lue par des jeunes filles naturellement curieuses. » Ses contes ne sont plus très connus ; on en a réimprimé deux très souvent, Vert et Bleu et Persinette, qui sont charmants.

Après Mlle de La Force, voici Charles Perrault. C'est en 1697 qu'il publia chez Claude Barbin, en un petit livre illustré de figures, ses Contes de ma Mère l'Oye. Cependant, il avait donné séparément Grisélidis, en 1691, et Peau d'Ane, en 1694. Les contes de Perrault furent promptement célèbres ; il arriva même que des éditeurs, ignorants ou peu scrupuleux, se permirent d'incorporer au volume de Perrault toutes sortes de contes qu'il n'avait jamais écrits. Il devint pour le peuple, et même pour tout le monde, le seul conteur, comme La Fontaine est le seul fabuliste. N'a-t-on pas été jusqu'à imprimer sous le nom de Perrault la Belle et la Bête ? Malheureusement pour Perrault, ce conte, qui est le chef-d'œuvre des contes, n'est pas de lui. Il avait l'esprit trop sec, trop ironique, pour concevoir où même comprendre ce poème d'une si profonde sensibilité. C'est le défaut de Perrault, qu'il n'est nullement dupe de ses histoires ; il les raconte avec grâce, avec mesure, avec goût, mais de temps en temps il s'arrête pour sourire de lui-même.

Aussitôt après Perrault, nous rencontrons encore une femme, Henriette-Julie de Castelnau, comtesse de Murat. Plus jeune de vingt ans que ses deux devancières, elle fut aussi spirituelle que la première et aussi galante que la seconde. Louis XIV l'avait, à la fin de son règne, exilée à Loches ; le Régent, à la prière de Mme de Parabère, lui permit de revenir à Paris. Elle a écrit beaucoup de romans, qui ne sont pas sans mérite ; ses Contes de Fées (1698) sont encore meilleurs : on dirait que Mme de Murat y a fait passer quelque chose de sa beauté, qui était éclatante ; mais ce sont des contes d'amour plutôt que des contes de fées.

En 1735, Mme de Gomez fit paraître un volumineux recueil de contes, les Cent Nouvelles nouvelles, dont quelques-uns, comme Jean de Calais, sont restés populaires. Les habitants de Calais ont même fini par se figurer que ce héros avait véritablement existé et ils célèbrent ses exploits par une mascarade, le 27 mai. C'est bien de la gloire pour Madeleine-Angélique Poisson, dame de Gomez de Vasconcellos !

Je sais peu de chose sur Mlle de Lubert, si ce n'est que Voltaire estimait son esprit, et je n'ai jamais vu son livre de contes, qui s'appelle La Princesse couleur de rose et le Prince Céladon (1743).

Mais nous voici arrivés à un nom qu'il faut mettre hardiment à côté de celui de Perrault, et peut-être un peu au-dessus. Il s'agit de Marie Le Prince, femme de Thomas de Beaumont, née à Rouen le 26 avril 1711, morte à Avallon, le 6 décembre 1776. Presque toute sa vie se passa en Angleterre ; c'est là qu'elle écrivit et publia un ouvrage aux prétentions les plus modestes et qui n'en est pas moins devenu immortel, le Magasin des Enfants (Londres, 1757, 4 vol- in-12). Je le connais depuis l'âge où j'ai été capable d'écouter une histoire : ma bonne, qui en était fanatique, me le lisait tout haut, mais les abréviations la gênaient : elle disait Melle (Mlle), au lieu de Mademoiselle, ce qui ne laissait pas d'embrouiller un peu les dialogues. Il est vrai que seuls me captivaient les contes qui terminent chaque entretien : l'un me parut merveilleux et m'a toujours hanté depuis, la Belle et la Bête. C'est un chef-d'œuvre, assurément, et, en affirmant cela, je ne laisse pas les souvenirs d'enfance influencer mon jugement littéraire. La Belle et la Bête va de pair avec Psyché et avec la première partie de Parthenopeus de Blois, cette version médiévale de la fable de Psyché. Dans la petite édition de Montbéliard où je le relis souvent, ce conte admirable est « orné » d'une gravure dont la naïveté séduit. La Bête y est figurée par une sorte d'ours blanc piqueté de points noirs. Cette naïveté est bien plus intelligente que l'imagination des dessinateurs modernes qui, comme Bertall, ont fait de la bête un monstre terrible à la fois et répugnant. Sous sa forme d'ours excentrique, ma Bête présente sans doute, et c'est ce qu'il faut, peu d'attraits pour une jeune fille, mais, et c'est encore ce qu'il faut, elle n'inspire ni le dégoût ni la terreur.

Mme Le Prince de Beaumont a encore écrit deux contes infiniment connus et délicieux, le Prince chéri et le Prince charmant. C'était une femme de talent qui a eu son heure de génie : il ne faut considérer en elle que le génie et lui vouer une profonde admiration.

J'arrête là ces notes sur une littérature jusqu'ici négligée. Il a été difficile de les rassembler. Tout est à faire dans cet ordre d'idées. Peut-être la Princesse â l'aventure remettra-t-elle à la mode les contes de fées ? Alors, quelque curieux essaierait d'en débrouiller l'histoire littéraire ; cela serait très utile.

pp. 248-257 de la 13e édition, 1922.

Note des Amateurs : cette promenade littéraire est d'abord parue dans The Weekly Critical Review, le 19 février 1904.