REVUE DE LA QUINZAINE

LITTERATURE

Charles Maurras : Barbarie et Poésie, Champion. — Charles Maurras : La musique intérieure, Grasset. — André Maurel : Souvenirs d'un écrivain (1883-1914), Hachette. — Frédéric Lefèvre : Une heure avec... (Deuxième série). Nouvelle Revue Française. — Jacques Roujon : La vie et les opinions d'Anatole France, Plon-Nourrit. — Willy : Souvenirs littéraires et autres, (Edition Montaigne).

Sous ce litre significatif : Barbarie et Poésie, M. Charles Maurras réunit en volume des articles anciens, vraiment d'un autre âge, qu'il eût mieux valu laisser dormir dans leurs bandelettes de momies. Ces études sur la poésie symboliste, considérée comme une sorte de barbarie sauvage, nous font rire aujourd'hui qu'une auréole de gloire a nimbé le front olympien de ses poètes : ... Mais c'est tout de même curieux de voir un écrivain comme M. Maurras s'obstiner à vouloir arrêter le flot de la poésie vivante. Les écluses qu'il s'est efforcé de construire n'ont pas résisté au courant, et tous les vrais poètes ont passé au-dessus de la vanne, tenant leur lyre au-dessus de leur tête. En vérité, malgré les coups d'aviron que M. Maurras leur a assénés au passage, ils se portent tous bien, eux ou leur gloire, et c'est seulement la matraque homicide de M. Maurras qui se trouve être intellectuellement faussée.

M. Charles Maurras a voulu à sa façon refaire le coup du Père Boileau pour les poètes du XVIe siècle ; mais M. Maurras n'est pas Boileau, et le « Malherbe-enfin » n'est pas revenu.

Tout de même, ce qu'il y a d'admirable dans ces pamphlets de M. Maurras, c'est cette incompréhension absolue et touchante de toute vraie poésie. Le critique se bute aux chœurs d'Esther et d'Athalie, qui ont ému sa jeune sensualité, et ne veut plus en sortir. Il n'accueillera comme poètes que les versificateurs, tous les poètes qui ne sont pas des poètes, comme Anatole France, tandis que l'œuvre d'un Mallarmé, selon lui, « ne passe point la médiocrité honorable et jolie », et que Rimbaud, cette pureté classique, est venu précipiter la décadence. En vérité, le Barbare ici, c'est bien M. Maurras, qui nous affirme que le plus grand poète français est Ponchon. Et puis M. Maurras entre en une stupéfiante apologie de la poésie didactique où je ne puis le suivre. Il regrette le temps où les poètes mettaient la mythologie et l'histoire de France en rondeaux. La moitié de son livre : La Musique intérieure, est consacrée à la théorie de l'art des vers ; théorie subtile et étroite où il est surtout recommandé d'éviter le rythme inutile et la vaine richesse des mots et des images. Ce qu'il faut chercher, c'est l'expression la plus sobre et la plus exacte de l'idée pure. M. Maurras oublie sans doute que les vers de Racine, dont les couleurs se sont ternies, furent à leur naissance, d'une audacieuse et violente coloration.

M. Maurras nous donne, dans ce volume de musique intérieure, ceux de ses poèmes qu'il veut sauver de l'oubli. Quelques petits poèmes un peu mallarméens (mallarméens sans musicalité) plaisent par une sorte d'abstraction où on dirait que le poète a effacé toutes les images pour ne garder qu'une idée : Pour Psyché, Dernière Ballade, Révélation. Mais trop souvent dans ses autres vers, sous le prétexte que les mots immuables enferment en eux une vérité immuable, M. Maurras tombe dans le cliché et le lieu commun. Les fleurs qu'il nous offre ont perdu, hélas ! toute couleur et tout parfum. Mais il y a une poésie dans ce livre, poésie émouvante, contenue dans ces premiers chapitres où M. Charles Maurras nous raconte son enfance et le premier éveil de sa sensibilité devant la beauté de la vie : Musique intérieure. Ce mot convient merveilleusement à la sensibilité de l'écrivain pour lequel les rythmes de la vie se résolvent en musicale abstraction, en idées pures. Ame musicienne, certes, où chantent les rythmes de la lumière et de l'intelligence, mais presque silencieusement.

Jean de Gourmont, Mercure de France, 1er juin 1925, pp. 469-470