Echos

Almanach des Lettres Françaises et Etrangères, publié sous la direction de Léon Treich (Crès). — Deux tome de cette œuvre ont paru, le premier et le second trimestre de 1924 ; on y trouve une quantité énorme de documents, classés par chaque jour de l'année et puisés à toutes les sources littéraires d'actualité : livres, revues, journaux. Les articles de critique y voisinent avec les anecdotes et les petits faits de la vie littéraire, les souvenirs, et aussi les analyses et les extraits des romans nouveaux. C'est une somme précieuse pour laquelle M. Léon Treich a réuni les différents articles que son grand labeur et sa curiosité essaiment journellement.

Je demanderai à l'auteur deux choses : que dans les volumes à venir les références soient plus précises, que la date du journal, le numéro de la revue cités soient relatés, et aussi que les renseignements recueillis de seconde main soient vérifiés.

Tel qu'il est, l'Almanach est indispensable à tous les journalistes et aux hommes de lettres qui se piquent de connaître leur époque.

(J. P., « Les livres », Chronique des lettres françaises, n°12, nov.-déc. 1924, p. 801.)

§

Je veux signaler encore l'Almanach des Lettres françaises et étrangères de Léon Treich (dont j'ai reçu le premier tome : janvier-février-mars 19244), qui est vraiment une synthèse de la vie littéraire du monde entier. Critique de romans et de poèmes, anecdotes, souvenirs et fantaisies, lettres inédites, extraits curieux et caractéristiques d'œuvres à paraître, cet Almanach encyclopédique non seulement renseigne sur ce qu'il faut lire, mais, simplification admirable, rend inutile, sauf pour les spécialistes, la lecture de la plupart des livres. La documentation et l’érudition de M. Léon Treich sont impeccables.

Pourtant voici page 205, à propos du premier numéro du Mercure de France, un petit péché d'inexactitude : « Le premier numéro du Mercure de France (du Mercure d’Alfred Vallette), parut le 1er janvier 1890. Il avait déjà ses locaux, 26 rue de Condé. » Non, le Mercure de 1890 avait ses locaux rue de l'Echaudé-Saint-Germain, et ce n’est qu'en 1903 que le Mercure transporta ses espoirs et ses archives déjà glorieuses rue de Condé, dans le petit hôtel de Beaumarchais.

(Jean de Gourmont, « Littérature », Mercure de France, 1er janvier 1925, p. 165-166.)


Mercredi 9 janvier 1924

Souvenirs et Fantaisies

Quelques étranges dédicaces

Joseph Delteil dédiait son premier roman : Sur le fleuve d'amour, « à maman, à la Vierge Marie et au général Bonaparte » ; il n'offre son second, Cholera, qu' « à Dieu ».

Barbey d'Aurevilly montrait évidemment plus de timidité quand il écrivait en tête de ses Diaboliques : « A qui dédier cela ? »

Restif de La Bretonne, par contre, devançait déjà M. Delteil, quand il offrait sa Mesmerianide « à la lune ».

Plus simplement Henri Béraud dédie son Martyre de l'Obèse — qui soit dit en passant, contient l'un des plus authentiques alexandrins monosyllabiques de la langue française :

Où que ce fût, ni là, ni plus loin, ni plus près,

aux « grands gros » de l'histoire contemporaine :

« Au maréchal Joffre, à Georges Pioch, à Edouard Herriot, à Gustave Téry, à G. de Pawlowsky, à Paul Souday, à Pierre Benoit, à Lucien Guitry, à Mansuelle, à Pauley, au docteur Rehm, à Felia Litvinne, à Blanche Selva, à Robert de Jouvenel, à Maurice Vlaminck, à Robert Dieudonné, à Pierre Scize, à Paul Lombard, à Albin Michel, je dédie ce livre que les maigres prendront pour un livre gai. »

Imitant l'exemple mallarméen :

Louys, ta main frappe au
Sépulcre d'Edgar Poë.

Golconde illumina toute l'Inde, mais l'Aude
A Carcassonne ; ici, je rencontre Grosclaude.

Jean Psichari écrivit pour son dernier roman, le Solitaire du Pacifique, quelque trois cents dédicaces en vers : distiques, quatrains, sextains, voire sonnets.

Parmi les autres dédicaces récentes, citons encore celle, d'une franchise un peu brutale, que le mystérieux Amesakoul Ag Tidet mit en tête de ses Terrasses de Tombouctou (préfacées par Robert Randau) :

Aux mânes des héros
de la conquête civilisatrice
morts alcooliques en A. O. F.,
martyrs de leur idéal.

Celle aussi de la Divine Chanson, dédiée par Myriam Harry : Au vent, à la lune, à la magie de l'Afrique, à la douceur de ses nuits, à ses mirages d'amour. Celle surtout, si jolie, du premier roman : Rose, de Jane Cals :

Cœur de toi qui me lis, cœur inconnu, cœur près de moi, ne crois pas, dans mon livre, apprendre quelque chose, car je ne suis presque rien. Mais les mousses du bois sont fraîches, les chèvrefeuilles du talus sont odorants, et les fraises du jardin sont douces

par la grâce de Dieu
et dans leur ignorance.

Et peut-être je te serai fraîche, odorante et douce...

Mais des dédicaces, anciennes ou modernes, la plus mystérieuse ne semble-t-elle pas celle que porte la feuille de garde de l'Enquête sur la monarchie, de Charles Maurras, et que voici dans son exacte disposition typographique :

O. S. P.
P. T. E. M.
V. N.
N. V. M.
S.

Toutes lettres qui sont, en réalité, les initiales de la phrase latine qui est en tête de la page 217 d'Anthinéa.

Optume sive Pessimo
Priori Tamen Et Meliori
Vtrique Nefando
Numini Vel Monstro
Sacrum

Dédicace dont nous pourrons peut-être rapprocher celle que Lucien Fabre a placée en tête de son Rabevel (et qui, elle, n'est point si énigmatique) :

Parent, Et Frat,
Ab affect, Luc. Tor. Dic.

(Almanach des lettres françaises et étrangères, publié sous la direction de Léon Treich, Editions Georges Crès & Cie, janvier-février-mars 1924, p. 33.)


Lundi 14 janvier 1924

Souvenirs et Fantaisies

Quelques prénoms

Traînent encore sur ma table de travail quelques romans de l'année dernière... Nous les pourrons relire à loisir ? Le Blé en herbe, l'Infirme aux mains de lumière, les Amants tourmentés... voici encore un délicieux recueil de Chroniques du temps de paix. Il y a bien peu de points communs entre ces quatre volumes ; mais par un détail — un tout petit détail — peut-être peut-on les rapprocher ! De quels étranges prénoms Colette, Marcelle Vioux, Marsan, Estaunié, n'ont-ils pas appelé leurs héroïnes !

Etranges ? certes. De Vinca, l'enfant ingénument amoureuse du Blé en herbe, la mignonne Chloé du tendre Phil, à Perle, le petit modèle, la jeune amie du romancier Jacques Lachenal, du malheureux Théodal, sacrifié à sa sœur infirme, aux blondes filles d'Alsace pour lesquelles, à Alger, Eugène Marsan inventa le gris prénom d'Algue, voilà le commencement de toute une litanie bizarre que nos amis grands lecteurs continueront à leur gré, à travers leurs bibliothèques ? Lequel d'entre eux trouvera le prénom le plus étrange, le moins banal, le plus inexplicable ? ce sera notre concours d'aujourd'hui.

Au hasard des rayons qui, derrière nous, couvrent les murs, tentons ici une première série.

Lasthénie, dans l'Histoire sans nom de Barbey d'Aurevilly ! Nozette, dans le Mauvais Livre d'Henry Céard ; Alvize, dans Papillon noir de Lévis-Mirepoix ; Lizzie, dans Appassionato de Camille Audigier ; Giliane, dans l'Aube, d'Henri Ardel ; Cloud, dans le Journal de Cloud Barbant neurasthénique de P.-A. Schayé ; Nepomus et Rosalide, dans le Marchand de désespoirs de Sèverin-Mars ; Sachée ou Soskia, l'étrange jeune fille de Max Jacob, le Nom (dans la Revue européenne) ; ou encore, les cinq prénoms « géographiques » des filles de Jean Battifiore (Beltramelli, les Hommes rouges) ; Afrique, Amérique, Océanie, Asie, Europe, dont les deux derniers au moins réjouiront les Balzaciens...

Ajoutons encore les femmes : de Cholera, à qui M. Joseph Delteil a donné les prénoms de : Cholera et de... Corne, la petite servante-épouse de Jacques Parayre, dans la Vallée de larmes, d'Albert Jean, qui s'appelle Thomasette, et la vieille domestique de Louise Auge, qui se nomme Guidette. Citons misses Eldruda et Elfreda, dans la Pupille, de Fr. Trollope, Garth (Dalmain) et Deryc (Brand) dans le Rosaire de Florence Barclay. Rappelons les extravagants prénoms recueillis dans Monsieur Nicolas par Restif de la Bretonne. Signalons l'héroine du Voluptueux voyage qui s'appelle Avertie. Mais négligeons les effarants prénoms dont pullulent les romans exotiques de J. A. Nau (nos amis des Antilles ont une imagination effrayante !), les étranges prénoms claudeliens. et tenons-nous en là : il est sans aucun doute des prénoms plus rares : la parole est à nos lecteurs.

(Almanach des lettres françaises et étrangères, publié sous la direction de Léon Treich, Editions Georges Crès & Cie, janvier-février-mars 1924, p. 53.)


Jeudi 31 janvier 1924

Souvenirs et Fantaisies

Fernand Xau et le Journal

Après Edouard Hervé, directeur du Soleil, Fernand Xau, fondateur du Journal. Ce sont là les deux journalistes dont 1924 nous apporte le vingt-cinqtenaire, celui d'Hervé en janvier, celui de Xau en mars.

Sur Fernand Xau, il faut relire les pages si verveuses de l'Entre deux guerres. Léon Daudet mémorialiste incomparable, nous y fait assister à la fondation du Journal, qui devait avoir une si rapide fortune ; Xau, actif, rond en affaires, bambocheur, trapu, de petite taille, toujours enroué, fort laid, bon garçon et d'une politesse extrême, rencontra, au cours d'une villégiature au bord de la mer, Eugène Letellier, entrepreneur fort riche et qui n'entendait nullement borner son activité à ses travaux de terrassement. Xau sut lui plaire, il lui montra les immenses avantages qu'un grand journal donnerait à un gros adjudicataire de travaux publics. Eugène Letellier se laissa persuader, et quelques millions furent mis à la disposition de Xau : Léon Letellier, frère cadet de l'entrepreneur, fut placé à l'administration du nouveau journal.

La trouvaille de Xau, sa « formule », comme il aimait à dire, fut de donner à la partie littéraire du Journal une importance primordiale. Il suffit d'énumérer la liste des premiers collaborateurs pour retrouver tous les grands noms de la fin du siècle dernier... et déjà plus d'un oublié, célèbre il y a trente ans, donnait au Journal des contes, des chroniques, des vers :

Emile Zola, François Coppée, Henri Meilhac, Paul Bourget, Emile Bergerat, Theuriet, Houssaye, H. Le Roux, Becque, Barrès, Lavedan, Grosclaude, Hervieu, Gustave Geffroy, Joseph Caraguel, Vandérem, Jean Maure, Oscar Méténier, de Kératry, G. de Sainte-Croix, Paul Alexis, Ivan Bouvier, G. d'Esparbès, Clovis Hugues, J. de Bonnefon, P. Wolff, Lucien Descaves, Jules Renard, Jules Huret, Champsaur, Bonnetain, Henry Céard, Paul Adam, Darzens, Bernard Lazare, Alphonse Allais, Pierre de Lano, Rémy de Gourmont, Emile Goudeau, Paul Brulat, Docquois. L. de Robert, Hector France, Ed. Le Roy, etc., etc.

Et, bien entendu, nous en passons, et des meilleurs. C'est qu'en vérité, ils y étaient tous, au Journal, réunis par l'incomparable sergent recruteur que fut alors Catulle Mendès.

Mendès excellait, conte Léon Daudet, à capter en l'éblouissant, en l'esbrouffant, n'importe quel homme d'affaires à tiroirs et qu'il prenait à témoin, par un bouton de sa jaquette, de la splendeur de Wagner et de Hugo, de l'excellence de Jean-Paul Richter, de la subtilité de Henri Heine et de sa supériorité sur Gœthe. L'entrepreneur Letellier, n'ayant oncques entendu parler de ces jeunes prodiges, voyait déjà en eux de futurs rédacteurs de sa feuille et il ne lésinait point avec un poète chevelu, à odeur d'éther, qui avait de si magnifiques relations.

Mendès donc recruta. Avec le succès que l'on sait. Xau, de son côté, n'était point homme inactif. Il s'adressait à Armand Gouzien pour sa critique musicale ; il prenait comme secrétaire de rédaction un journaliste de métier et de grand talent, Alexis Lauze, qui avait pour le seconder le très fin et très malicieux Provençal Auguste Marin, l'auteur de ce chef-d'œuvre, la Belle d'août.

La « formule » de Fernand Xau réussit à merveille ; les articles de Coppée et de Barrès notamment eurent un immédiat succès. Quand Xau mourut, un peu plus de six ans après, son Journal était le grand, le très grand journal qu'il est encore.

L'esprit de Jean Moréas

Il n'y a que les vers médiocres qu'on puisse mettre en musique, la musique les embellit. Les bons vers ont leur musique à eux, qui est parfaite.

Tous les paysages sont beaux quand on les regarde avec esprit, les plus pauvres sont les plus beaux.

(Almanach des lettres françaises et étrangères, publié sous la direction de Léon Treich, Editions Georges Crès & Cie, janvier-février-mars 1924, p. 121.)


Samedi 2 février 1924

Baltazar Gracian

Baltazar Gracian — dont André Rouveyre nous présente l'Homme de cour ? naquit en 1601 œur qui tous entrèrent en religion. La famille, d'esprit très caustique, était plus portée, aux activités spirituelles qu'aux tâches pratiques. Baltazar à dix-huit ans entra chez les jésuites. Corps d'aspect parcimonieux, de médiocre santé, nerveux, il déborda vite la préoccupation d'être conforme à sa compagnie. Emprisonné par ses vœux, dans la souquenille noire et le bonnet carré, son effort fut de s'évader vers le monde raffiné de la culture intellectuelle et vers la cour.

Il vécut principalement à Hesca, sa ville d'élection où résidait le grand seigneur, qui fut son frère spirituel mondain et son éditeur, Vincencio-Juan Lastanosa ; puis à Madrid, à la cour de Philippe IV. De ces deux établissements, il ne fut dispersé que par les devoirs de sa profession, vers Saragosse et vers Valence, notamment, où il fut tour à tour prédicateur et maître d'Écritures. Il participa à la guerre où il se montra aumônier excitant et héroïque. Toute sa vie, l'ordre le surveilla, mais il y fut constamment réfractaire ; il publia ses œuvres (1) avec une indépendante témérité. La maison de Loyola était alors fort attaquée par Pascal et Port-Royal. Le général des jésuites, Goswin Niekel, en resserrait la discipline. Il reprit Gracian.

Gracian, appuyé par ses amis et protecteurs de Huesca et de Madrid, avait cru pouvoir braver la règle ; il s'aperçut qu'il y était cloué. Il demanda au général la permission de quitter la Compagnie pour entrer dans un ordre ascétique ou mendiant. Le général refusa.

Dès lors, après semonce, et condamnation au jeûne, il fut exilé dans une cellule de Tarazona Ainsi étouffé, rien ne filtra plus, vers le monde, de celui qui avait avancé les bornes de l'inquisition psychologique humaine jusqu'aux états, constants et francs, de nos appétits les plus formellement intéressés et les plus naturellement cyniques. Nous savons seulement qu'il mourut en 1658.

***

L'Homme de cour (2) eut un destin singulier. Publié en 1647, en Espagne, il est aussitôt connu en France. La Rochefoucauld ne l'ignorait point au temps où il écrivait ses Mémoires. Traduit en 1684 par Amelot de la Houssaye, il est réimprimé plus de vingt fois durant les dix-septième et dix-huitième siècles, au cours desquels il se répand hors de nos frontières propagé par la version d'Amelot qui sert de texte aux différents traducteurs. On peut ainsi affirmer que l'Homme de cour est un des textes fondamentaux de l'ancien régime humaniste et classique, et que, de la Rochefoucauld à Gœthe, il a été lu par le public le plus averti qui fut jamais.

A partir de 1800, le livre (et cela est, croyons-nous, un fait unique pour une œuvre de cette puissance) disparaît en France, d'une manière presque absolue. En Allemagne, il garde un lecteur ; c'est Schopenhauer, qui, rencontrant Gracian, en fait son maître familier, le traduit (1862) et en transmet la tradition à ses disciples — à un Nietzsche.

En France, ni Stendhal, ni Sainte-Beuve ne le connaissent. Tout le dix-neuvième siècle — mis à part les spécialistes et cette centaine de parfaits lettrés qui n'ignorent rien — le méconnaît.

Et l'honneur de l'avoir retrouvé revient à Remy de Gourmont, qui écrivait, il y a plus de vingt ans, dans le Chemin de velours : « Baltazar Gracian est un grand écrivain, quelque chose peut-être comme le Machiavel de la vie pratique. »

(1) El Heroe (1637), El Politico Fernando (1640), A udeza, El Arte de Ingenio (1642), El Discreto (1646), El Oraculo Manual (1647), El Criticon (1651, 1653, 1657), El Comulgatorio (1655).

(2) Chez Bernard Grasset.

(Almanach des lettres françaises et étrangères, publié sous la direction de Léon Treich, Editions Georges Crès & Cie, janvier-février-mars 1924, p. 132.)


Vendredi 8 février 1924

Souvenirs et fantaisies

Ce qu'il faut lire

Dans l'excellent Thyrse belge, M. Louis Thomas, grand érudit et homme d'esprit, donne à nos amis quelques conseils sur les livres français qu'ils doivent avoir dans leur bibliothèque. Suivons un instant M. Louis Thomas.

Rayon des « romans anciens », il recommande : Manon Lescaut ; Atala, René ; Adolphe ; Servitude et Grandeur militaires ; le Rouge et le Noir ; la Chartreuse de Parme ; l'Abbesse de Castro ; le Père Goriot ; Eugénie Grandet (eh ! oui, deux Balzac seulement !) ; la Mare au Diable ; la Petite Fadette ; François le Champi ; Carmen, la Double Reprise ; Colomba ; Chronique du règne de Charles IX, de Mérimée ; Madame Bovary ; Salammbô ; Trois Contes ; l'Education sentimentale, de Flaubert ; Dominique ; Boule de suif ; Lettres de mon Moulin ; Contes du lundi ; le Petit Chose ; Tartarin de Tarascon ; Tartarin sur les Alpes , et... Port-Tarascon ; Contes cruels, de Villiers de l'Isle-Adam.

Rayon des « romans » : le Lys rouge ; la Rôtisserie de la reine Pédauque ; Thaïs ; les Dieux ont soif ; les romans d'Elémir Bourges ; En marge des vieux livres, de Lemaître ; D'Ulysse à Panurge, de Gebhardt ; le Songe d'une femme ; Un Cœur virginal de Rémy de Gourmont ; sept ou huit Loti ; Contes de la vieille France, de Moréas ; Poil de carotte ; Cœur double ; le Roi au masque d'or ; les Vies imaginaires, de Marcel Schwob ; le Tournoi de Vauplassans ; Saint-Cendre ; Pingot et moi ; Monsieur Pierre, d'Art Roe ; Mon amie Nane ; le Mariage de Don Quichotte ; Monsieur du Paur, de Toulet ; Colette Baudoche, Un Jardin sur l'Oronte, la Colline inspirée, de Maurice Barrès ; Maria Chapdelaine ? bien entendu ? et la Belle que voilà... (oh ! ! !) de Louis Hémon ; le Grand Meaulnes ; Hien le Maboul, de Nolly ; les trois Codet ; la Jeune Fille aux pinceaux, de Jean Pellerin.

Parmi les contemporains, M. Louis Thomas se promène éclectiquement de René Bazin à Colette Willy par Pierre Benoit, Farrère, les Tharaud, Régnier, Louys, Duvernois, Hermant, Chateaubriand [sic], Pérochon, etc.. etc. On voit tout ce qu'une pareille énumération a à la fois de facile et de délicat. Quoi ! pas un Zola ! pas un Goncourt ! pas un Bourget ! pour ne citer que les trois noms qui surgissent immédiatement dans ma mémoire.

Wilde avait, il y a quelque trente-cinq ans, fait dans une de ses chroniques de la Pall Mall Gazette une tentative analogue à celle de M. Louis Thomas. Mais au lieu d'indiquer les livres à lire, il énumérait les livres à ne pas lire. Méthode incomparablement plus heureuse.

Les livres à ne pas lire du tout sont, par exemple, écrivait-il, les Saisons, de Thomson ; l'Italie, de Rogers ; les Preuves, de Paley ; tous les Pères, excepté saint Augustin ; tout John Stuart Mill, excepté l'Essai sur la liberté ; tout le théâtre de Voltaire sans aucune exception ; l'Angleterre, de Hume ; l'Histoire de la Philosophie, de Lewes ; tous les livres d'argumentation et tous les livres où l'on s'efforce de prouver n'importe quoi.

Et Wilde s'expliquait :

Dire aux gens ce qu'ils doivent lire est, en général, inutile ou nuisible, car l'appréciation de la littérature est une question de tempérament et non d'enseignement.

Il n'y a pas de manuel du commençant pour le Parnasse, et rien de ce qu'on peut apprendre par l'enseignement ne vaut la peine d'être appris.

Mais dire aux gens ce qu'ils ne doivent pas lire, c'est chose bien différente, et je me hasarde à recommander ce sujet à une mission du projet d'extension universitaire.

Et vraiment, c'est un besoin qui se fait sentir avant tout, dans ce siècle où nous vivons, un siècle où on lit tant, qu'on n'a plus le loisir de penser.

Quiconque choisira dans le chaos de nos modernes programmes : les « Cent livres les plus mauvais », et en publiera la liste, rendra à la génération future un réel et durable service.

Et l'on comprend bien ce que Wilde entendait par « mauvais livre »... Quel journal, quel critique aura le courage de tenir à jour la liste | des « livres à ne pas lire » ?

(Almanach des lettres françaises et étrangères, publié sous la direction de Léon Treich, Editions Georges Crès & Cie, janvier-février-mars 1924, p. 153.)


Lundi 14 avil 1924

Résurrection !

La « Phalange » va reparaître

Tout le monde connaît le rôle joué par la revue la Phalange, de 1906 à 1914, et l'influence qu'elle a exercée sur les lettres contemporaines. Son premier numéro porte la date du 15 juillet 1906 ; elle fut une des premières « revues de conciliation » qui parurent dans cette période de fragmentation et de confusion des groupes et des écoles qui suivit immédiatement l'entrée du symbolisme dans l'histoire littéraire de la France. Son fondateur et directeur Jean Royère représentait la tradition symboliste dans toute sa pureté, mais il ouvrait sa revue à tous les jeunes gens qui avaient du talent (1)...

En feuilletant les volumes de la collection complète, on reste confondu de lire aux sommaires tant de noms, aujourd'hui très connus, et même fameux et qui étaient alors si obscurs ; d'abord les meilleurs écrivains de deux grandes générations : F. Vielé-Griffin, Rémy de Gourmont, Emile Verhaeren, Stuart Merrill, Saint-Pol-Roux, Paul Claudel, André Gide, Francis Jammes, Paul Fort ; ensuite : Guillaume Apollinaire, John-Antoine Nau, Jules Romains, Robert de Souza, André Fontainas, Albert Mockel, les unanimistes Georges Duhamel et Charles Vildrac ; enfin, les noms les plus prestigieux du Mercure de France, d'Antée, de l'Ermitage, de Vers et Prose.

Quand les historiens de l'époque actuelle commenceront à s'occuper des écrivains les plus représentatifs du mouvement contemporain, ils devront, écrit encore Larbaud, étudier la Phalange comme un document de première main. Là, et là seulement ils trouveront les premiers écrits d'un grand critique, comme Albert Thibaudet ; d'un important critique d'art, comme Léon Werth, et d'un poète et critique musical, comme René Chalupt.

Ils y trouveront « en train de se faire » la littérature des années 1915-1925. Ils y trouveront les germes du dadaïsme dans les fantaisies que Guillaume Apollinaire donnait à la Phalange (Onirocritique), comme ils y trouveront les premiers écrits d'André Breton. Ils dépouilleront les numéros de la Phalange pour y trouver des inédits ou des premières versions de : Henri Hertz, Olivier C. de La Fayette, L. de Gonzague Frick, Georges Périn, Mandin, A. Gaspard-Michel, Paul Drouot, F.-T. Marinetti, André Spire, G. Jean-Aubry, Elsa Kœberlé, Julien Ochsé, Henri Aimé, René d'Avril, Daniel Thaly, Guy Lavaud, Han Ryner, Léon Bazalgette, Marcel Ray et beaucoup d'autres.

C'est cette incomparable Phalange qui, après une interruption de dix ans, donne à nouveau signe de vie. Non plus, il est vrai, sous sa forme ancienne. Mais qu'importe si son esprit reste le même. La Phalange ce ne sera plus la revue mensuelle à couverture orange que tous les lettrés connaissent si bien, ce sera une collection de volumes émanant des initiateurs du groupement, des maîtres, de ceux qui l'ont le mieux caractérisé et des jeunes qui le continuent aujourd'hui. Voici la liste des livres qui paraîtront cette année :

Paul Adam : Dieu.
John-Antoine Nau : Poèmes triviaux et mystiques.
Valéry Larbaud : Ce vice impuni, la lecture...
Stuart Merrill : Proses et vers.
Jean Florence : le Litre et l'amphore.
Emmanuel Lochac : l'Oiseau sur la pyramide.
André Mora : Polyphonies.
Jean Royère : Clartés sur la poésie.

Paraîtront ensuite, des ouvrages de : Henri Aimé, Saint-Pol-Roux, Albert Thibaudet, André Fontainas, Albert Mockel, Fernand Mazade, Louis Mandin, etc..

Composée d'un petit nombre d'ouvrages, mais choisis, — de six à huit par an, — cette collection constituera, en quelques années, une bibliothèque de haute littérature. La poésie, l'esthétique et la prose d'imagination en feront les frais ; mais n'y entreront que des livres d'art et de pensée. Jean Royère qui la dirigera ne se propose rien de moins que de travailler à un reclassement des valeurs dans la librairie actuelle. Est-il besoin d'ajouter que nous suivrons avec attention ses efforts ?

(1) Valéry Larbaud, dans la Nacion de Buenos-Ayres (le 20 janvier 1924).

(Almanach des lettres françaises et étrangères, publié sous la direction de Léon Treich, Editions Georges Crès & Cie, avril-mai-juin 1924, p. 53.)


Dimanche 1er juin 1924

Les pastiches

A la manière de...
Maurice Boissard

C'est le compte rendu d'En Dromak, drame en cinq actes de M. Rassine que nous donne ici Maurice Boissard (1) :

Hier soir, la Comédie-Française faisait sa cour à l'Internationale, en jouant un drame en cinq actes, bien ennuyeux entre parenthèses, d'un M. Rassine, qui nous vient tout droit de Moscou, comme son nom du moins le donne à supposer.

Je n'ai pas très bien compris la pièce parce que je dormais. Je dormais, parce que je m'étais couché très tard la veille. J'avais raté mon dernier train à la gare du Luxembourg, à cause d'un pauvre diable de chien errant, que j'avais rencontré au coin d'une boîte à ordure, dévorant tristement d'humbles reliefs. J'essayai de le caresser, mais bernique. On devait l'avoir roué de coups, car il s'enfuit à mon approche. J'avais beau prendre ma voix la plus douce, il se sauvait mais à regret, en regardant derrière lui, avec l'air de me reprocher de ne pas le laisser tranquille à ronger son os. Je m'aperçus, au bout d'un instant de ce manège, que c'était ma canne qui l'inquiétait. Je la déposai contre un réverbère. Alors il se laissa prendre. Je lui donnai des croûtes de pain, dont j'ai toujours dans le fond de mon chapeau. Il remua joyeusement la queue et me suivit. Mais j'entendis siffler mon train. Je fus donc obligé de rentrer à pied à Bourg-la-Reine, accompagné de mon nouvel ami. C'est pour vous dire comment il se fait que j'étais si fatigué l'autre soir. Ajoutez à cela que je dus, le lendemain, aller aux Objets perdus chercher ma canne. Ce n'est pas qu'elle soit belle, mais j'y tiens.

Je dormais donc, tandis que les acteurs se renvoyaient la prose de M. Rassine. Mais vous savez comment je dors : d'une oreille, et j'écoute de l'autre. A force d'entendre des pièces de théâtre, on finit par arriver très facilement à ce dédoublement de la personnalité. C'était même, en cette occurrence, un détriplement, car pendant que mon oreille droite écoutait, et que mon oreille gauche dormait, mon cœur était ailleurs. Il était resté dans ma chambre, où, quelques heures auparavant, j'avais quitté l'Impératrice en pleine crise de coliques. L'Impératrice, de qui je vous ai parlé dans une de mes précédentes chroniques, est la plus vieille de mes chattes. Elle est sujette aux flux de ventre, et je dois la surveiller afin qu'elle ne mange pas trop. Ses petits gémissements de douleur me poursuivaient jusque dans la salle de spectacle, et je ne parvenais guère à saisir toutes les finesses que M. Rassine a prétendu mettre dans sa pièce, bizarrement intitulée : En Dromak. Je ne sais pas ce que c'est qu'un dromak. Ce doit être une espèce de véhicule utilisé en Orient. Car il faut vous dire que la scène se passe en Turquie. J'ai reconnu cela à ce qu'il y est tout le temps question des Grecs.

Je ne vous ai pas raconté la dernière équipée de la Dame aux Camélias ? La Dame aux Camélias, vous ne l'ignorez pas, est cette épagneule jaune que j'ai recueillie l'hiver dernier dans un terrain vague. Eh bien ! le croiriez-vous ? la Dame aux Camélias s'est encore fait prendre par un gros terre-neuve, sale, dégoûtant. Je suis arrivé juste pendant la grande scène du deux. Le mal était fait. J'ai bien jeté un seau d'eau sur le couple, mais sans pouvoir interrompre leur duo. Vous savez, quand des cabots sont lancés... C'est à propos de cet Oreste et de son insupportable Hermione que cette histoire me revient. Que voulez-vous ! Avec les bêtes, il faut s'attendre à toutes sortes de désagréments. C'est comme avec les auteurs dramatiques. Encore, en général, les auteurs dramatiques ne font-ils pas pipi dans la corbeille ; tandis que l'autre jour j'ai surpris Bout-de-Baba dans ma corbeille à papier, en train de... parfaitement. Je lui pardonne volontiers, car il n'a que deux mois, le cher petit, et il ne sait pas encore ce qu'il fait. Tandis que la Totote, qui est une personne d'âge, une chatte bien élevée... Je suis vraiment fâché après elle. Je ne lui parle plus depuis une semaine. Le 25 à midi, prise de je ne sais quel délire, ne voilà-t-il pas qu'elle a griffé Kokto, le perroquet, qui, depuis, garde un silence réprobateur et ne me demande même plus si j'ai bien déjeuné, signe de grave colère chez un animal d'ordinaire très poli.

Mais cela n'est rien. Croiriez-vous qu'après cela, elle est venue rendre sur une chronique que j'allais envoyer aux Informations littéraires ? Il m'a fallu essuyer avec mon mouchoir, et puis boire, tache après tache, avec du papier buvard. J'en ai usé pour deux sous. J'ai pu tout de même envoyer l'article, une fois sec. Il a paru hier. Je crois que les lecteurs ne se sont aperçus de rien.

Bah ! je le sais bien, la journée ne se passera pas que je ne pardonne à la Totote, comme j'ai pardonné aux autres. Voyez-vous, les bêtes, c'est comme les pièces de théâtre : quand on les aime, ce n'est pas comme quand on ne les aime pas.

(1) G.-A. Masson, le Parfait Plagiaire, aux Éditions du Siècle.

(Almanach des lettres françaises et étrangères, publié sous la direction de Léon Treich, Editions Georges Crès & Cie, avril-mai-juin 1924, p. 249.)


Dimanche 1er juin 1924

Souvenirs et Fantaisies

Jean Royère

Jean Royère, qui fut directeur de la Phalange, la fameuse revue des poètes hermétiques, vient de faire paraître en un volume ses poésies complètes. Elles sont musicales, mystérieuses et souvent profondes. A ce propos, le Cri de Paris conte quelques anecdotes :

Naguère, une dame à qui l'on récitait des vers de Jean Royère demanda ingénument : « N'a-t-il pas des fous dans sa famille ? »

Lui-même déclare que sa poésie est « obscure comme un lis ». Et cette association de la fleur la plus royalement lumineuse avec les ténèbres, n'est pas pour éclairer ceux qui aiment à comprendre. Mais « l'obscurité du lis » a eu tant de succès, qu'on en fait généralement honneur à Mallarmé. Rendons à Royère ce qui appartient à Royère.

Parmi la gent irritable des poètes, son esthétique a soulevé des fureurs. Il est fonctionnaire à la Préfecture de la Seine. Un de ses adversaires alla jusqu'à demander dans un journal qu'on le mît à pied. C'était pousser un peu loin la passion lyrique.

Quant à lui, il se soucie des louanges et des critiques comme un poisson d'une pomme. Et il a coutume de dire avec ravissement :

— La poésie est pour moi une fuite vers la béatitude.

(Almanach des lettres françaises et étrangères, publié sous la direction de Léon Treich, Editions Georges Crès & Cie, avril-mai-juin 1924, p. 249.)