The Anglo-French Review |
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Une Revue bilingue : « The Anglo-French Review ». Ce n'est pas la première fois qu'une entreprise de ce genre est tentée. Longtemps avant que l'on eût des feuilles à périodicité régulière, on publia parfois des pamphlets destinés à renseigner, à des intervalles plus ou moins rapprochés, sur des événements courants. C'est ainsi qu'à la fin du XVIe siècle, il parut en Angleterre de menues brochures donnant des nouvelles sur les guerres de religion en France. Le fait est que l'on s'est toujours beaucoup occupé en Angleterre de ce qui se passait chez nous. Cromwell, qui fut un précurseur de l'entente cordiale, puisqu'il contracta plusieurs traités d'alliance avec la France, vit paraître de son temps deux feuilles périodiques The French Intelligences, et Frenh Occurences. Au XVIIIe siècle, on publia de nombreux journaux franco-anglais, tels que La Bibliothèque anglaise, Les mémoires littéraires de la Grande-Bretagne, Le Journal britannique. Les encyclopédistes, en particulier, et beaucoup d'écrivains et d'artistes français, vinrent, pendant ce siècle, en Angleterre, et l'abbé Prévost, qui fut un anglomane obstiné, publia même pendant plusieurs années une revue dans laquelle il manifestait ses sentiments d'admiration pour les institutions anglaises. Plus récemment, à la fin du siècle dernier, parut Cosmopolis, dont tout le monde se souvient, mais l'entreprise n'eut qu'un succès très relatif. Au commencement de cette année, une tentative nouvelle fut faite, et il est intéressant d'examiner comment le programme annoncé a été poursuivi, ou plutôt, il n'y eut pas de programme, car l'Anglo-French Review estima inutile d'imprimer un manifeste. Tout au plus indiqua-t-elle dans un « editorial » quels seraient ses principes, et, six mois après qu'elle paraissait, les directeurs pouvaient dire que bien qu'ils fussent partis sans déclaration retentissante, le contenu de la revue indiquait bien que leurs efforts s'inspiraient d'une ligne de conduite très nettement tracée : « Quelles que soient nos vues sur le libre échange commercial, nous tenons pour la porte ouverte en matière d'idées. Les articles les plus divers sont les bienvenus chez nous, pourvu qu'ils soient originaux et portent un certificat d'origine, c'est-à-dire qu'ils soient sincères, bien écrits et signés de l'auteur. C'est notre conviction que la prospérité du monde ne peut résulter que d'une union étroite et durable entre la France et l'Angleterre, union non seulement commerciale, mais intellectuelle et artistique. » Chaque numéro contient une dizaine d'articles, un certain nombre de poèmes, ainsi que des chroniques et des comptes rendus variés. Ce qui paraîtra le trait le plus original de cette revue, c'est que les articles et les poèmes sont alternativement en français et en anglais ils sont publiés dans la langue où ils sont écrits, sans jamais être traduits. N'était-ce pas un peu audacieux de composer des sommaires en deux langues ? Il semble que, du même coup, le public auquel s'adresse la revue est limité, car on ne peut guère compter comme abonnés ou acheteurs que les Français qui parlent ou lisent l'anglais, et les Anglais qui parlent ou lisent le français. Non seulement le public est limité pour une publication de ce genre, mais encore paraît-il difficile de bien savoir quel genre d'articles peuvent l'intéresser, et l'on se trouve immédiatement dans un champ restreint. Les directeurs de la revue, avec qui nous avons causé récemment, ne semblent pas avoir d'inquiétudes sur l'avenir de leur entreprise. Ils assurent que le nombre de leurs lecteurs augmente continuellement dans une proportion des plus encourageantes. M'était délicat d'insister pour avoir des précisions à ce sujet. Toutefois il est une constatation qui s'impose si l'on examine le contenu des douze numéros parus la variété et la qualité des articles rivalisent avec ce que les meilleures revues d'Angleterre et de France donnent en général. Les pages de l'Anglo-French Review reflètent, dans ses diverses manifestations, la vie intellectuelle des deux peuples, et en même temps on y trouve, sur les questions politiques et économiques, sur des sujets historiques, militaires, navals, coloniaux, sur les questions sociales ou d'enseignement, des études qui ont le mérite d'être courtes et claires. Elles sont signées de noms également bien connus de chaque côté de la Manche. M. Steeg y voisine avec Mr Harold Cox, l'économiste qui dirige l'Edinburgh Review, et M. Albert Thomas avec Mr W.-A. Appleton, le secrétaire de la Fédération des Trade-Unions. C'est aussi tour à tour sir Leo Chiozza-Money, l'ancien ministre socialiste, et M. Eugène d'Eichtal, l'Alderman A. Emil Davies et Henri Mazel, le Reverend et Honorable E. Lyttelton, l'ancien « headmaster » du fameux Collège d'Eton, et M. V.-H. Friedel, du Musée Pédagogique, le vénérable socialiste patriote H. M. Hyndman et M. André Lebon, le professeur Foster Watson et M. André Vernières, le très révérend doyen de Saint-Paul W.-R. Inge, surnommé « le maussade », et M. Albert Dauzat. Sur les questions maritimes Jean Norel répond à Arthur Pollen, et les sujets militaires sont traités par le général Palat et un officier d'état-major anglais contraint d'observer l'anonymat au profit de sa liberté d'expression. Plus variées encore sont les études de littérature et d'art. Du côté français, les collaborateurs se nomment Emile Boutroux, Camille Mauclair, Pierre Mille, André Lichtenberger, Charles Cestre, Alfred Loisy, Daniel Halévy, Camille Flammarion, André Fontainas, Charles Derennes, Henry-D. Davray, Robert Cru, Henri Malo, Louis Brandin, X.-M. Boulestin, Auguste Monod, et du côté anglais les « contributors » sont non moins distingués : Edmund Gosse, Maurice Hewlett, Lord Charnwood, Arthur Symons, Maurice Gerothwohl, Charles Whibley, Sir E. Brabrook, l'anthropologiste, A. Francis Steuart, Ecossais d'Ecosse, Sir Sidney Lee, biographe d'Edouard VII et de William Shakespeare, Sir George Greenwood, le « tombeur » de ce même Shakespeare, Sir Frederick Wedmore, Ie compétent commentateur de la gravure française, et Mr W.-H. Helm, l'érudit biographe de nos peintres, le professeur W.-P. Ker, historien de la littérature médiévale, le professeur H.-E. Butter, le latiniste dont les travaux sur Apulée et Properce sont « exhaustive » ; Miss Winifred Stephens, spécialiste de notre littérature moderne, et Miss Monica M. Gardner, champion de la littérature polonaise, Frédéric Niven, admirateur de Francis Jam[m]es, J. Lewis May, qui préside à la « translation » d'Anatole France en beau langage anglais, W.-L. George, le romancier dont on ne sait s'il est anglais ou français à l'entendre parler l'une et l'autre langue et à l'audace de certaines scènes et situations dans ses livres, Osman Edwards, trop modeste et toujours fidèle disciple de la culture française et un bon nombre de jeunes écrivains dont les noms nous deviendront familiers comme ils le méritent, entre autres, ceux de Miss Joan Thompson et de S. Bagenal, dont les récits sont d'une originalité puissante, et qui sont d'heureuses trouvailles des « editors ». La poésie est fort bien représentée au milieu de tant de sujets graves et badins. De remarquables poèmes, aussi bien français qu'anglais, sont signés de noms qu'on n'a guère rencontrés jusqu'ici. Toutes les tendances, toutes les écoles même reçoivent un accueil impartial. Nous retrouvons avec plaisir des amis de longue date, Vielé-Griffin, Henri de Régnier, Paul Fort, André Fontainas, A.-F. Herold, Pierre Camo, S.-C. Leconte, Fernand Gregh, Maurice Magre, Emile d'Erlanger, Paul Morand, André Lebey, vers-libristes ou fidèles de la prosodie régulière, et leurs confrères anglais sont Laurence Binyon, John Drinkwater, Walter de la Mare, Wilfrid Wilson Gibson, Richard Aldington, Victor Plarr, Robert Nichols, James Joyce, F.-S. Flint, John Still, Joan Thompson, R.-L. Mégroz et dix autres. La Belgique sœur n'est pas oubliée. De beaux poèmes sont signés par Emile Cammaerts ; le professeur Paul Hamélius, de Liège, exerce son sûr jugement sur des livres récents ; le compositeur Louis Delune disserte sur la musique avec la fougue et le savoir de Berlioz ; M. Paul Lambotte, l'éminent directeur des Beaux-Arts de Belgique, exprime si bien le charme de Londres qu'il le révèle aux yeux habitués de ses habitants. L'Anglo-French Review n'est cependant pas parfaite. Elle a des chroniques et c'est là sa partie faible. Non pas que ces chroniques ne soient excellentes, mais peut-être ne sont-elles pas nécessaires, et peut-être aussi serait-il préférable de leur donner un autre objet, plus nettement anglo-français. Les comptes rendus critiques sont de la plus grande valeur, rédigés avec soin par des écrivains compétents ; ce sont des Français qui ont charge des livres anglais, et des Anglais qui jugent les ouvrages français. La combinaison est heureuse et les opinions ainsi prononcées sont fort intéressantes. Sans doute aussi vaudrait-il mieux que certains articles ou études fussent traduits de façon à atteindre un plus grand nombre de lecteurs et à produire un effet plus étendu. Mais sur ce point, les directeurs, Mr J. Lewis May et M. Henry-D. Davray ne paraissent guère disposés à céder. Partant de ce principe que leur revue bilingue s'adresse à des lecteurs, sinon toujours bilingues, du moins capables de lire couramment l'une et l'autre langue, ils n'estiment pas nécessaire de s'écarter de ta régie établie. Jusqu'ici leur publication s'est maintenue à un degré remarquable de distinction ; ils ont découvert des sujets anglo-français fort inattendus, et ils en promettent beaucoup d'autres. L'accueil que leur a fait la presse anglaise prouve que l'entreprise est la bienvenue et que la revue pourra devenir l'un des plus importants truchements de l'union économique, politique et intellectuelle, sans laquelle on ne saurait espérer une sécurité et une prospérité réelles en Europe. (Robert Douglas, « Variétés : une revue bilingue : The Anglo-French Review », Mercure de France, 1er janvier 1920, p. 272-276)
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