Remy de Gourmont par Jean de Gourmont, son petit-neveu. |
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REMY DE GOURMONT par Jean de Gourmont ... Par un bel après-midi de fin d'été je flânais le long des quais. J'allai m'accoter entre deux boîtes de bouquinistes suivant dans son mouvement un homme... j'aurais tant voulu saisir au moins une fois son regard depuis le temps que je le suivais sur les quais quand je le rencontrais... tout à la fois absorbé et distrait, ne prenant garde à personne, le nez dans un livre, les yeux dissimulés derrière un lorgnon... On le sentait seul. C'était un bourru et il n'avait pas l'air commode... Son bouc était mal planté, les poils rares et des cheveux raides, mal fichus, débordaient par derrière d'un petit chapeau tout rond, cabossé, d'un feutre noir et léger comme en portaient à l'époque les collectionneurs d'estampes japonaises à la Goncourt et les intellectuels parisiens. Il était boutonné jusqu'au menton dans un long manteau noir, à pèlerine retombant des épaules jusqu'aux hanches, plus longue par devant que par derrière... Le grand homme fit demi-tour et s'en alla sans rien dire, son lourd antiphonaire sous le bras... Je le suivais des yeux... et je le regardais s'éloigner par la rue des Saints-Pères, têtu, mais allant d'une étrange démarche, mal articulée, mal équilibrée... J'aurais pu l'être, mais je n'ai jamais été des intimes de Remy de Gourmont... Depuis quarante ans, je ne crois pas avoir publié un livre ou un écrit sans que son nom y figure ou que je ne le cite d'une façon ou de l'autre. C'est dire combien profondément j'ai subi l'emprise du maître que je m'étais choisi à vingt ans... Un livre comme le Latin mystique a été pour moi une date, une date de naissance intellectuelle. Je la célèbre tous les ans en m'achetant un tome de la Patrologie, mais aussi en souvenir de l'antiphonaire qu'il portait ce jour-là sous le bras et qu'il emporta chez lui, 71, rue des Saints-Pères, où je le vis disparaître... Blaise Cendrars, Bourlinguer, Editions Denoël, 1948 Le surlendemain de cette rencontre sur les quais, Blaise Cendrars, car c'est bien de lui qu'il s'agit, pénétrait chez Remy de Gourmont et découvrait... " la tanière du maître tapissée de livres du haut en bas, sa table furieusement en désordre, une pile de papier blanc à gauche du sous-main, où il passait ses nuits à écrire, et une pile de papier noirci à la droite... " Nous sommes en 1910. Remy de Gourmont est alors l'un des écrivains de son temps le plus admiré ; et cependant... il est seul, isolé là haut dans son appartement de la rue des Saints-Pères, " homme curieux, curieux de tout, curieux de toute science " ; il nous a laissé quelque quinze mille pages en plus de soixante volumes ; son œuvre est véritablement immense. Il est alors l'âme du Mercure de France et a cotoyé et fasciné les plus grands : Mallarmé, Villiers de l'Isle-Adam, Huysmans, Léon Bloy, Anatole France, Henri de Régnier, Alfred Jarry, Paul Léautaud, André Gide même... Qui était donc Remy de Gourmont, maintenant, oublié, ignoré et absent de beaucoup d'ouvrages consacrés à la Littérature Française ? Absence très regrettable, et même à la limite de la malhonnêteté intellectuelle, tant son rayonnement fut immense non seulement en France, mais aussi dans les pays anglo-saxons et jusqu'en Amérique Latine. Il faut donc rendre hommage à l'Orne en Français qui consacre un numéro spécial de sa revue l'Orne Littéraire à ce grand écrivain français originaire de notre région. C'est au manoir de la Motte, à Bazoches au Houlme, non loin d'Argentan, qu'est né Remy de Gourmont le 4 avril 1858. Situé à environ 1 km 500 du bourg, la Motte est une grande maison à deux étages construite à la fin du XVIIIe siècle. C'est alors la demeure des grands-parents du jeune enfant : Monsieur et Madame Philogène de Montfort, leur fille Mathilde ayant épousé à Bazoches l'année précédente, en 1857, le comte Auguste-Marie de Gourmont. L'enfant est prénommé Remy, en souvenir de son arrière-grand-père Remy de Montfort qui habitait la propriété de la Motte au moment de la Révolution et avait laissé à tous le souvenir d'un homme droit et juste... Malgré cette époque particulièrement troublée, il avait été désigné en 1792 comme maire de la commune de Bazoches, et allait le rester plus de trente ans jusqu'en 1826. Remy de Gourmont passera à la Motte ses huit premières années entouré de ses parents, de ses grands-parents et de sa sœur Marie, née en 1860. Ce n'est qu'en 1866, peu après la naissance de son jeune frère André (mon grand-père), que ses parents partent s'installer dans le département voisin, au manoir du Mesnil-Villeman, près de Villedieu. Les Gourmont rentrent chez eux ; ils sont du Cotentin, et le premier ancêtre connu vivait près de Sainte-Mère-Église au milieu du XIVe siècle. D'ailleurs ils n'en bougeront guère, seule une branche quitta sa province et s'installa à Paris pour donner naissance, au XVIe siècle, à plusieurs générations de maîtres-imprimeurs, graveurs et peintres réputés, tel ce Gilles de Gourmont qui fut le premier en France à imprimer des ouvrages en grec et en hébreu, ou ce Jean de Gourmont, graveur ayant laissé de très nombreuses estampes de qualité et une Nativité conservée au Louvre. Certes Remy de Gourmont ne descend pas de cette branche, mais il en fut sans nul doute marqué et influencé lorsqu'il dirigera avec Alfred Jarry en 1894-1895 l'Ymagier, ce recueil de gravures anciennes, si recherché maintenant ! En octobre 1868, Remy rentre comme interne au lycée de Coutances ; il y restera huit longues années et semble ne pas avoir gardé le meilleur souvenir de ces années de pensionnat. Timide et solitaire, il avait alors peu d'amis. Il fut toutefois un très bon élève, brillant en français, en anglais et en latin. Dans l'un de ses bulletins trimestriels, le proviseur avait noté : " Intelligence facile, distinguée, mais qu'il ne peut apprendre à diriger. Il fait un peu trop d'excursions dans le champ de la fantaisie ... " Sa grande joie restait les bonnes journée de vacances qu'il passait à la Motte, auprès de sa chère grand-mère et au Mesnil-Villeman, où il retrouvait les paysages de son enfance qui resteront profondément gravés dans son esprit et dont on retrouve d'excellentes descriptions dans ses premières œuvres (Merlette, Sixtine, le Songe d'une Femme)... Après sa réussite aux examens du baccalauréat en 1876, il quitte Coutances et s'installe à Caen, 46 rue Écuyère, pour suivre à la faculté de Droit les cours des professeurs Bayeux et Demolombe. Il y retrouve son cousin germain Olivier de Gourmont, mais également son ami Émile Barbé qui a rapporté d'intéressants souvenirs sur cette époque dans l'un des numéros de l'Imprimerie Gourmontienne. Il nous apprend que Remy allait en fait assez rarement suivre ses cours à la faculté, et préférait passer de longs moments à la bibliothèque municipale de Caen où il dévorait tous les ouvrages qu'il pouvait. Malgré tout, il passe en juillet 1879 avec succès ses deux premiers examens, le second lui conférant le titre de bachelier en droit. Bien pourvu de lettres de recommandations, Remy de Gourmont s'installe à Paris, d'abord rue Richer, puis peu après 41 rue d'Hauteville. Et très vite il va porter des notes et divers petits articles aux périodiques catholiques d'alors le Monde, le Contemporain... Le 2 octobre 1881 il sollicite un emploi à la Bibliothèque Nationale et commence à y travailler le 7 novembre suivant comme attaché. Cet emploi à la Nationale lui donne tout le loisir de lire et de dépouiller une multitude d'ouvrages. De 1882 à 1886, paraissent ses premiers ouvrages, la plupart édités chez Degorce-Cadot. Ce sont Un Volcan en Eruption, Une Ville Ressuscitée, Bertrand du Guesclin, Tempêtes et Naufrages, les Derniers Jours de Pompéi, En Ballon, les Français au Canada et en Acadie, les Canadiens de France. Ces huit premiers livres, dits de vulgarisation, témoignent des sérieuses recherches qu'il dut faire pour les écrire. C'est en 1886 que paraît également, chez l'éditeur Plon, Nourrit et Cie, son premier roman Merlette dont l'action se passe tout entière dans la région de Villedieu et d'Avranches. L'année 1886 est de toute importance pour son orientation littéraire : " ...J'étais resté - écrit-il dans ses Promenades Littéraires - assez étranger au mouvement dessiné par mes contemporains, vivant très solitaire, en de peu littéraires quartiers; ne connaissant que des noms qu'un écho parfois me renvoyait, ne lisant que des œuvres anciennes ... " Or un soir qu'il se promène sous les galeries de l'Odéon, il découvre un numéro de la Vogue, que dirige alors Gustave Kahn, l'un des créateurs du vers libre... " ... à mesure, je sentais le petit frisson esthétique et cette impression exquise de nouveau qui a tant de charme pour la jeunesse... Ce que j'avais écrit jusqu'alors m'inspira soudain un profond dégoût, mon orientation littéraire se trouva, en moins d'une heure, radicalement modifiée... " C'est à la fin de cette même année 1886, qu'il fait la connaissance, chez des amis, de Berthe de Courrière, femme étrange, d'un caractère curieux, portée sur la magie noire, et encline à l'hystérie. Légataire universelle du sculpteur Clésinger, statuaire connu et gendre de George Sand, elle demande à Remy de Gourmont de faire une petite étude sur l'œuvre de l'artiste. Il accepte, la revoit souvent, lui adresse des poèmes puis des lettres de plus en plus ardentes... Ces lettres, qui sont datées du 14 janvier au 15 décembre 1887, sont ces Lettres à Sixtine qui ne furent éditées que six ans après la mort de l'écrivain par les soins de son frère Jean. C'est dans ces lettres, écrites pour beaucoup de Normandie (Bazoches, Le Mesnil-Villeman, Coutances, Geffosses où habitait sa bonne tante de Longueval), qu'apparaissent les premiers vers de Gourmont : une quinzaine de courts poèmes... Berthe de Courrière restera près de lui et lui sera dévouée jusqu'à sa mort. Remy de Gourmont menait alors une vie assez mondaine et sortait beaucoup. C'est à cette époque qu'il connut Villiers de l'Isle-Adam, avec lequel il aura en effet pendant plus de trois ans des relations de sincère amitié : " ... Je connus Villiers à la Bibliothèque Nationale où j'étais alors attaché au service public... ". Son roman Sixtine édité en 1890 chez Albert Savine lui sera dédié. C'est le même Villiers qui semble avoir présenté Huysmans à Gourmont : " ... Je connus Huysmans vers la fin de 1890 ; je crois que c'est Villiers qui m'avait envoyé vers lui ; ce fut le commencement d'une liaison qui devait durer deux ou trois ans. Je sortais de la B.N. à quatre heures, Huysmans ne quittait son bureau qu'à cinq heures ; c'est donc moi qui venais le prendre presque tous les jours pour le ramener vers le faubourg Saint-Germain où nous demeurions tous les deux... " Remy de Gourmont travaillait alors à son Latin Mystique, et c'est à Huysmans qu'il demanda la préface... Il fut aussi de ceux qui se rendaient rue de Rome chez Stéphane Mallarmé : " ... Où est le petit salon de la rue de Rome où le cri des locomotives venait se mêler à nos effusions esthétiques... " C'est en 1889 qu'un groupe de jeunes écrivains " sans relations, sans argent et sans notoriété " décidèrent de fonder une nouvelle revue, le Mercure de France ; c'est Louis Denise, également attaché à la Nationale, qui lui parla de cette jeune équipe : Alfred Valette, Louis Dumur, Ernest Raynaud, Jules Renard, et lui demanda s'il acceptait de se joindre à eux. Remy de Gourmont, qui écrivait alors Sixtine, accepta et son nom fut alors ajouté à la liste des fondateurs. Tout de suite il apporta à cette équipe un esprit vif, cultivé, prodigieusement armé ; et dès le second numéro du Mercure, en janvier-février 1890, Remy de Gourmont commençait une collaboration qui ne devait cesser que vingt-cinq ans plus tard, par sa mort. Cette célèbre revue, avec sa non moins remarquable " Revue de la Quinzaine ", allait jouir près des Lettres, et cela pendant plusieurs décennies, d'un très grand et très légitime prestige. Le Docteur Paul Voivenel, que Remy de Gourmont avait fait rentrer rue de Condé et qui y collabora de 1912 à 1940, a tout à fait bien défini l'esprit français rayonnant sur le monde. " On s'y montrait favorable à toutes les audaces, mais on y conservait toujours la mesure. On disait ce qu'on pensait sans songer à l'intérêt, pas même à la camaraderie... " (cf. Remy de G. vu par son médecin par le Dr Paul Voivenel). On devra toujours associer par la pensée Remy de Gourmont et le Mercure de France, car s'il dut à la revue une liberté parfaite d'écrire ce qui lui plaisait, le Mercure, à son tour, fut profondément marqué par la personnalité de Gourmont... " J'y ai pu parler en toute liberté; c'est ce principe de liberté qui a permis l'éclosion de ma personnalité... " La grande preuve de cette liberté fut la publication dans le numéro du mois d'avril 1891 d'un article de Gourmont intitulé " le Joujou Patriotisme ", article politique dont l'idée essentielle était l'utilité et la nécessité d'un rapprochement entre la France et l'Allemagne. Il voulait essayer de démontrer que les deux pays avaient des qualités complémentaires et que l'amitié artistique et spontanée qui aurait dû lier les deux pays était faussée par le patriotisme. Mais il est bien certain que le ton assez dédaigneux et la violence du mépris choquèrent l'opinion. Un critique, Henri Fouquier, en exprima l'indignation dans un article de l'Écho de Paris du 26 mars 1891, et réussit par sa campagne et ses attaques à faire révoquer de ses fonctions à la Bibliothèque Nationale l'audacieux pamphlétaire. La perte de cet emploi lui ferma une partie de la grande presse et il rencontra un obstacle véritable dès les débuts de sa production littéraire. Il fut alors obligé de se retourner vers les petites revues où il put exprimer et développer en toute liberté son individualisme. C'est à peu près à la même époque que son visage fut atteint par une forme de lupus tuberculeux que seule une thermocautérisation lente et atroce parvint à traiter ; mais les cicatrices qui en résultèrent étaient telles qu'elles firent de ce visage un spectacle insoutenable qui a été décrit par son ami André Rouveyre dans Souvenirs de mon Commerce. Sa figure est maintenant couturée, déformée, et la lèvre inférieure " boudinée " ! Pendant de très longues semaines, Remy de Gourmont reste cloîtré chez lui... puis, peu à peu, il se décide à reprendre ses habitudes et à reparaître au Mercure. A partir de cette époque, il est alors bien rare qu'il sorte de sa routine quotidienne, le monde lui étant devenu intolérable. Levé très tôt, il travaille toute la matinée à ses divers articles et à son courrier ; vers cinq heures de l'après-midi, il passe rue de Condé, au Mercure, où il reste environ une heure ou deux à s'entretenir avec Alfred Valette, Paul Léautaud, André Rouveyre... puis, toujours par les quais, rentre chez lui au n° 71 de la rue des Saints-Pères... pour se remettre à sa table de travail. Les dates de la vie de Remy de Gourmont sont maintenant les dates de ses livres et de ses articles. Il ne vit plus officiellement et publiquement que par eux; il ne paraît vivre que pour eux. Sa curiosité est intense, et son esprit, désireux de connaître tout à fond, le porte à une analyse très poussée de tous les raisonnements et de tous les sentiments. L'œuvre littéraire de Remy de Gourmont est considérable, et sa vaste érudition s'est manifestée dans beaucoup de domaines : l'admirable Latin Mystique est l'œuvre de l'humaniste ; l'Esthétique de la Langue Française est celle du philologue ; la Culture des Idées, celle du naturaliste ; ses Promenades Littéraires et ses Promenades Philosophiques, celle de l'homme de science. Jusqu'à sa mort, il participera activement à la vie du Mercure et y fera pratiquement éditer tous ses livres : ses deux Livres des Masques, les sept volumes des Promenades Littéraires, les trois séries des Promenades Philosophiques, les six volumes de ses Épilogues, lEsthétique de la Langue Française, le Problème du Style, le Chemin de Velours, la Physique de l'Amour ; ses romans Sixtine, les Chevaux de Diomède, le Songe d'une Femme, Une nuit au Luxembourg... mais également son recueil de poèmes Divertissements, dans lequel figurent environ soixante-dix pièces, la plupart très courtes, parmi lesquelles les onze poèmes de Simone, les Saintes du Paradis... En 1910, une femme va venir bouleverser sa vie et ses habitudes et éclairer d'une lumière de bonheur ses cinq dernières années. Il s'agit d'une jeune américaine née dans l'Ohio en 1876 et à Paris depuis quelques années... Natalie Clifford-Barney, la célèbre "Amazone". Dès les premières lettres échangées et qui seront par la suite éditées sous le nom de Lettres intimes à l'Amazone, Remy de Gourmont se livre au plaisir de cette nouvelle amitié ; il aime en sentimental et évoque celle qu'il aime et qu'il admire en des lettres longues et fréquentes. Grâce à l'Amazone, il connaît de nouveau les plaisirs mondains, accepte de sortir, se laisse entraîner au bois de Boulogne, au théâtre... et disparaît même quelques jours avec elle en Normandie pour faire près de Rouen une petite croisière en bateau à vapeur sur la Seine. Mais la santé de l'écrivain est de plus en plus chancelante; il est assez souvent immobilisé dans son logis. Depuis plusieurs années, le mal qui devait l'emporter se manifeste de plus en plus : il est atteint d'ataxie locomotrice. Comme chaque année, entre 1910 et 1914, Remy de Gourmont ne manque pas d'aller passer quelques semaines de vacances et de repos à Coutances, où s'est retirée sa sœur, à l'ombre des arbres du très beau jardin des plantes et des flèches de sa chère cathédrale... Il en profite alors pour se promener dans les vieilles rues toutes peuplées de souvenirs, et " croquer " les moindres faits et gestes des habitants de la cité qu'il fixera dans la Petite Ville, éditée au Mercure en 1913. Quand la guerre éclate en août 1914, il se trouve une nouvelle fois en Normandie, à Coutances. Cet événement lui donne un choc terrible ; il avait jusqu'alors mené une vie à l'abri du monde, et, devant cette catastrophe, il est totalement dépourvu de résistance morale. Il avait besoin de tranquillité extérieure pour poursuivre son œuvre, et fanatique de l'intelligence, il avait besoin de travailler dans une atmosphère où l'intelligence était respectée. Remy de Gourmont voit tous ses amis partir pour le Front ; il hante les quais... le Mercure cesse de paraître pendant près d'un an ; personne n'a plus la tranquillité d'esprit nécessaire pour lire et apprécier les pages ironiques de Gourmont : " Ce sont des heures bien lourdes que celles que nous passons ; toute vie intellectuelle est arrêtée ; on se dévore soi-même; et tout avenir est affreux, car tout est mort, et je ne sais pas si j'en verrai la résurrection. Plus de revues, plus de journaux où écrire, je ne fais rien. J'attends. Je tâche de penser. Les temps sont durs pour l'écrivain... " Sa maladie ne fait qu'empirer. Il peut à peine marcher et souffre de tout son corps. Mais, jusqu'à la fin, il continue d'écrire des articles qui paraissent dans plusieurs journaux entre autres la France et la Dépêche de Toulouse. Tous ces articles furent réimprimés, après sa mort, par les soins de son frère Jean, Dans la Tourmente, dans Pendant la Guerre, les idées du Jour ... Treize mois après le déclenchement des hostilités, Remy de Gourmont meurt à l'hôpital Boucicaut des suites d'une congestion cérébrale le 27 septembre 1915. Il sera inhumé le vendredi 1er octobre suivant au cimetière du Père Lachaise dans le caveau du sculpteur Clésinger. Au Mercure de France, l'émoi fut vif et Alfred Vallette, son directeur écrivit à Édouard Champion : " ...Voici donc notre Mercure découronné. La perte de Gourmont est irréparable, et vous pensez bien si moi, un vieux compagnon de tous les jours, je la ressens vivement ... " Mais à cause des événements, sa mort n'eut évidemment pas le retentissement qu'elle aurait eu si cette disparition était survenue en temps de paix... Berthe de Courrière, qui était toujours auprès de lui, hérita de tous les manuscrits et de la bibliothèque de l'écrivain, qu'elle léguera à sa mort survenue moins d'un an plus tard, le 15 juin 1916, à Jean de Gourmont, frère de Remy. Celui-ci s'attache alors, avec beaucoup d'affection, à servir son souvenir, en publiant pendant près de dix ans de nombreux inédits, et en fondant avec quelques amis - Henri de Régnier, Rachilde, Vallette, André Rouveyre, Jules de Gaultier, Octave Uzanne, le Dr Voivenel, Francis de Miomandre, François Bernouard, Natalie Barney, Édouard Champion, George Crès, André Billy... - l'Imprimerie Gourmontienne, bulletin trimestriel dont le but premier était de recueillir la correspondance de l'écrivain, de publier des inédits, des études sur son œuvre et une bibliographie aussi complète que possible. En 1922, furent organisées à Coutances de grandes fêtes à la mémoire de l'écrivain, et c'est à cette occasion que fut inauguré, dans le jardin des plantes, le buste de Remy de Gourmont, taillé dans la pierre par Suzanne de Gourmont, sa belle-sœur. Depuis cette date, de nombreux auteurs se sont penchés sur la vie et sur l'œuvre de Gourmont... et quatre thèses ont été publiées : d'abord celle de Eugène Bencze, en 1928, la Doctrine esthétique de Remy de Gourmont, publiée aux Éditions du Bon Plaisir ; puis en 1931, celle de Paul-Émile Jacob, publiée par l'Université de l'Illinois en collaboration avec les Presses Universitaires de France ; en 1940, celle de Garnet Rees, présentée pour le doctorat d'université à la faculté des lettres de l'université de Paris et éditée chez Boivin ; enfin, la plus récente la Passion littéraire de Remy de Gourmont, par Karl-D. Uitti, publiée en 1962 par le département de langues romanes de l'université de Princeton et les Presses Universitaires de France. Son influence fut particulièrement grande dans les pays anglo-saxons et des auteurs comme Ezra Pound, T.S. Eliot, Richard Aldington, Hulme, et Aldous Huxley portaient une admiration sans borne pour son uvre . Remy de Gourmont doit retrouver très vite la place qu'il mérite dans l'histoire de la littérature française... Son œuvre ne peut tomber dans l'oubli. Jean de Gourmont Ce texte, paru dans le numéro 12 de l'Orne littéraire, est reproduit ici avec l'aimable autorisation de Monsieur Jean de Gourmont, petit-neveu de Remy de Gourmont.
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