1. Courrier de la Manche, 1er octobre 1922

1. Courrier de la Manche, 1er octobre 1922

Arrondissement de COUTANCES

L'inauguration du buste et les fêtes
en l'honneur de Remy de Gourmont
à Coutances

Coutances a la réputation méritée de savoir bien préparer les fêtes. Dimanche, elle jetait à travers ses rues, des arceaux de verdure, pour rendre un solennel hommage à l'un des anciens élèves de son lycée, qui sera considéré, un jour, comme un des grands normands de la littérature française. Poète, romancier, dramaturge, critique, philosophe, érudit, philologue, grammairien, naturaliste, biologiste même, Remy de Gourmont a promené sa curiosité dans les domaines les plus divers.

La ville de Coutances a eu raison de l'honorer la première. Il lui eût été difficile d'avoir des origines plus normandes. Une vieille tradition de famille veut même qu'il ait compté parmi ses ancêtres un neveu du vieux roi Gormont, prince de Danemark, qui débarqua en France avec Rollon et y fit souche. Aux XVe et XVIe siècles, des Gourmont se distinguèrent comme savants, peintres, graveurs, imprimeurs, ils ont timbré d’admirables éditions de leurs armes « d'argent au croissant de sable, au chef de gueules chargé de trois roses d'or. » Ce fut Gilles de Gourmont qui imprima en France le premier livre en caractères grecs. Enfin, par sa grand'mère maternelle, Mlle de Malherbe, il descend de François de Malherbe.

Lorsque Remy de Gourmont mourut le 21 septembre 1915, à l'âge de 57 ans, un [comité ?] de ses admirateurs se constitua dans la Capitale sous la présidence d'un normand de Honfleur, M. Henri de Régnier, membre de l'Académie Française, dont l'absence a été bien regrettée, dimanche, lors des fêtes coutançaises.

Ce comité se mit en rapport avec nos artistes de Coutances, les vaillants imagiers du « Pou qui Grimpe » Joseph Quesnel, René Jouenne, Jean Thézeloup, Georges Laisney, etc., qui veillent avec un soin jaloux à ce que la mémoire de ceux qui illustrèrent la Petite Patrie ne tombe pas dans l'oubli.

Bien que Remy de Gourmont soit né (le 4 avril 1858) dans l'Orne, au château de Basoches-en-Houlme, il appartenait à Coutances par ses origines. Un autel de la Cathédrale (chapelle de Notre-Dame-du-Puits) porte les armoiries de ses aïeux.

L'écrivain passa une partie de sa jeunesse au château du Mesnil-Villeman près Gavray, et c'est au Lycée qu'il fit ses premières études. Enfin, il a consacré à Coutances, où il revenait chaque année, l'un de ses meilleurs ouvrages « La Petite Ville ».

Nombre de pages de ce livre devraient être données comme modèle de style dans nos écoles.

Le buste de l'écrivain, œuvre de sa belle-sœur, Mme Jean de Gourmont, a été placé dans le magnifique Jardin Public que Remy de Gourmont avait célébré dans la grâce de ses fleurs et le murmure de ses abeilles.

Mais, en attendant l'inauguration fixée au dimanche, avait eu lieu, samedi, l'ouverture dans l'0rangerie du Jardin Public, de l'exposition des peintures et gravures des imagiers du « Pou qui Grimpe ». Nous avons rendu compte du succès remporté par notre légion d'artistes à l'exposition des Arts Appliqués de Caen. Maître Willette, dans un discours pétillant de verve montmartroise, inaugura l'exposition en présence de M. le Maire de Coutances, de M. Dudouyt, sénateur, et de nombreuses personnalités. Un très nombreux public vint admirer son « Saint François d'Assises », enchaînant un loup avec son chapelet, au milieu du chant des oiseaux.

On admirait encore les toiles du regretté François Enault, dont « Le taureau primé » et la « Fenaison » ; sept tableaux où M. et Madame Clément-Chaussagne de Montsurvent, faisant ressortir la beauté de nos sites ; les dessins égyptiens de Georges Laisney, qui eurent tant de succès à Caen ; la galerie que J. Quesnel a consacrée à la Vieille Fille « Les Confitures, sont un chef-d'œuvre » ; les acquarelles de M. Burnouf, et les travaux de nos graveurs sur bois, MM. Jean Thézeloup, Joany Durand, Arlette Bouvier, Pierre Le Conte, René Jouenne.

Le soir, au Théâtre, M. Louis Dumur fit devant un auditoire choisi, une conférence sur l'œuvre du littérateur normand.

Mmes Bathouré, Claude Hariel, chantèrent et dirent tour à tour des poèmes du maître accompagnées par le compositeur Robert Montfort, M. Georges Laisney lut quelques fragments de « La Petite Ville ».

Enfin, l'Ombre d'une Femme, [pièce] en un acte, interprétée par M. de Rieux et Mlle Devilliers du théâtre de l'Odéon, et notre compatriote M. L. Coignard, fut très applaudie.

Au cours de cette soirée, une quête a été faite par Mme Maundrell et M. le Maire de Coutances, Mme Aubin et M. le Sous Préfet, au profit de la commune de Lau[?]court, filleule de Coutances.

Dimanche matin, M. Leconte, Maire de Coutances, assisté de M. Céron, adjoint, a reçu le comité Remy de Gourmont, ainsi que MM. Jean et Henri de Gourmont, frères de l'écrivain et Mme Jean de Gourmont, la statuaire de talent.

Avant de sabler le champagne, M. Souriau, l'éminent professeur de la faculté de Caen, délégué du Ministre des Beaux-arts, parla au nom de la littérature, rapprochant ces fêtes, de celles organisées à Rouen, en l'honneur de Flaubert et de Louis Bouilhet.

Parmi les personnalités parisiennes présentes aux fêtes, on cite MM. Jean et Henri de Gourmont, les très distingués frères de l'écrivain ; Mme Suzanne de Gourmont, auteur du buste ; M. Alfred Wallette, directeur du Mercure de France ; Mmes Rachilde, Claude Harivel, Berthory, J. de Gauthier, Jeanne, Ronsay ; MM. Lucien Corpechot, Jules de Gaultier, Marcel Coulon, Dr Paul Voinenel ; Gustave-Louis Tautain, directeur du Monde Nouveau, François Bern[ou]ard, de l'Imprimerie Gourmontienne, Jean Roger, Dr de la Phalange, etc.

Coutances avait élu une reine, Mlle Suzanne F[?]mond, et deux demoiselles d'honneur, charmantes sous leurs belles et hautes coiffes normandes : Mlles Charlotte Joguet et Louise Lefrançois. Elles symbolisèrent le pays près de Remy de Gourmont. Qu'elles en soient félicitées !

Dans l'après midi, un cortège fleuri partit du Pont-de-Soulles pour se rendre au Jardin Public afin d'assister à l'inauguration du buste de Gourmont.

Il comprenait des chars et des costumes merveilleux dessinés par Joseph Quesnel et Georges Laisney et il a obtenu beaucoup de succès : cavaliers, coquelicots, char de la reine des Lilas (quartier Tancrède-Saint-Nicolas, reine Mlle Germaine Laruelle ; page de la reine, Robert Laisney, fils de notre bon poète) ; char de la reine des Cerises (quartier Geoffroy-de-Montbray ; reine Mlle Fernande Lurienne) ; char de la reine du Pommier Fleuri (quartier de Passe-Maire ; reine Mlle Marguerite Mougin) ; char de la reine du Bouais-Jan (Pont-de-Soulles ; reine Mlle Agnès) ; char de la reine des reines, la Rose au Bois (quartier de l'Ouest) ce char était l'œuvre de M. Jean Thézeloup.

Une affluence énorme se pressait dans les allées, sur les pelouses et les gradins du jardin public. Des discours que malheureusement peu de personnes [?] près du buste de [?] se tenaient les [?] Eugène Morel, délégué de la Société des Gens de Lettres, qui fut très applaudi ; M. Marcel Coulon, qui déversa une longue philosophie ; Dr Voivenel, ami de Remy, de Gourmont, qui fut acclamé ; Dr Lecomte, maire de Coutances, qui félicita Madame Suzanne de Gourmont, la statuaire, et donna un éloge mérité à J. Quesnel [et] Georges Laisney, qui furent l'âme de cette belle fête littéraire ; M. Souriau, le docte universitaire, délégué du Ministre de l'instruction publique.

Le grand poète Charles-Th. Féret lut une ode où il célébra les origines scandinaves de Remy de Gourmont, le viking.

Après cette manifestation littéraire, contrariée par la pluie, le cortège fleuri reprit sa marche à travers les rues. Les reines furent reçues à l'Hôtel de Ville par M. le Maire, et l'on écouta les remerciements du Président du Comité, le dévoué M. Le Denier, qu'il convient de remercier lui même, pour tout le zèle qu'il sait si bien déployer.

Un banquet intime a réuni, à l'Hôtel de Ville, les amis de Remy de Gourmont, tandis que la foule prenait part, sur le Boulevard de l'Ouest, à l'assemblée, devenue traditionnelle, de la « St-Pinxit ». Au banquet, M. Fontaine, censeur du Lycée, a retracé un curieux portrait de Remy de Gourmont, lycéen, d'après les souvenirs de ses anciens condisciples et M Jean de Gourmond a remercié au nom de la famille.

***

« Bien qu'ayant publiquement manifesté mon enthousiasme durant le défilé des chars délicieux, écrit Willette, je dois dire au Pou-qui-Grimpe combien j'ai jubilé hier, en voyant l'heureux résultat de l'influence artistique de ce même P. Q. G. sur cette ville de Coutances bâtie par la joie et pour la joie... la vraie, celle que procurent la recherche et la découverte de la beauté..

« Et c'est, de tout cœur, que j'applaudissais hier, face à la cathédrale, à ce retour de la jeunesse et du glorieux passé. »

[document communiqué par Frédéric Piton, mars 2002]