Journal de Coutances.

1. Journal de Coutances, 12 février 1902
2. Journal de Coutances, 6 octobre 1916
3. Journal de Coutances, 4 janvier 1930


1. Journal de Coutances, 12 février 1902

NECROLOGIES — Mme Deflandre, supérieure des Religieuses de la Providence de Coutances, est décédée à l'âge de [...].

— On nous adresse l'article nécrologique suivant : « Notre ville vient de perdre, en la personne de Monsieur Paul Blier, un homme dont l'unique ambition fut de conquérir l'estime et l'affection de tous ceux qui l'ont connu, alors qu'avec moins de modestie il pouvait prétendre à être connu de tous.

Né à Saint-Lô, Monsieur Blier ressentit, dès les bancs de l'école, l'irrésistible attrait du beau et de la poésie. Devenu maître d'étude, c'est aux Lettres qu'il consacrait les loisirs que lui laissaient ses fonctions ; c'est aux Lettres qu'il demandait l'oubli des soucis matériels. Et ses débuts furent si éclatants, qu'il remporta la coupe d'or aux Jeux Floraux de Toulouse. Octave Feuillet le remarqua, le prit comme secrétaire et lui prodigua ses conseils et ses encouragements. Des lettres du célèbre romancier attestent la considération qu'il eut pour ce débutant, dont il ne craignait pas de mettre le talent au-dessus de celui d'un Brizeux et d'un Laprade qui régnaient alors en maîtres indiscutés. Georges Sand, Jules Janin, Renan, Philippe Lebas, Ambroise Thomas, les de Goncourt devinaient en lui un poète de race, aux nobles pensées, aux rythmes harmonieux. Bientôt la Revue des Deux-Mondes allait lui faire accueil et donner la consécration définitive à cette jeune gloire... Mais sa modestie excessive, peut-être aussi l'effroi d'une vie nouvelle et agitée détournèrent Monsieur Blier d'une carrière qui s'ouvrait sous de si favorables auspices.

Il se consacra à l'enseignement, non sans regret peut-être d'avoir vu la gloire de si près, mais avec toute la conscience d'un homme qui sait quels devoirs il assume. Qui de ses élèves peut se rappeler sans émotion son enseignement si documenté, mais surtout si empreint du charme et de la noblesse de sa pensée ?.... Entre temps il publiait des œuvres de longue haleine : Mignon, la Légende dorée, et sa Jeanne d'Arc, ce poème aux allures d'épopée qui lui valut la rosette d'Officier de l'Instruction publique.

Dans cette vie, même à l'heure de la retraite, il n'y eut place que pour l'amitié et pour la bonté. Et voici que la mort vient de le surprendre , la plume à la main, dans sa quatre-vingtième année, au moment où il terminait ses Chansons d'Hyagnis, que publiait le Mercure de France ; voici qu'il a dit adieu pour toujours à Coutances, sa patrie d'adoption ! Les pauvres se rappelleront sa charité intarissable, et ceux qui l'aimèrent regretteront toujours celui qui fut non seulement un homme et un poète, mais encore et surtout le plus tendre des amis. »

— Les obsèques de M. Blier ont eu lieu dimanche dans l'église St-Nicolas, sa paroisse. Au cimetière, M. Le Parquier, censeur honoraire, ancien collègue du défunt, a retracé dans un langage ému et élevé la vie si bien remplie de son ami et a fait l'éloge du professeur et du poète.

[document communiqué par Frédéric Piton, mars 2002]


2. Journal de Coutances, 6 octobre 1916

AVIS AUX ETALONNIERS. — Il est donné avis aux étalonniers que seuls les étalons pour lesquels on demande l'approbation, c'est-à-dire une subvention, sont astreints à la visite ; pour les autres, c'est-à-dire ceux simplement autorisés, la monte sera libre sans visite.

Nouveau service des trains au 5 Octobre 1915 :

Au mois de juillet dernier, l'administration des Chemins de fer de l'Etat avait mis en vigueur un service de trains étudié principalement dans le but de faciliter les déplacements des familles pendant la saison d'été.

La période des vacances étant sur le point d'être terminée, cette administration a dû envisager certaines modifications dans l'organisation actuelle de ses trains et elle a appliqué, depuis hier, 5 octobre, un nouveau service mieux approprié aux circonstances actuelles.

Ce service se rapproche sensiblement de celui qui fonctionnait avant le 10 juillet. Pour le moment, il ne saurait être question de revenir à l'organisation du temps de paix ; les besoins de la Défense nationale imposent encore, en effet, de nombreuses sujétions devant lesquelles doivent s'incliner tous les desiderata des voyageurs civils quelque intéressants qu'ils puissent être.

Quoi qu'il en soit, des trains express continueront à circuler, au moins aussi nombreux qu'au printemps dernier, sur toutes les artères principales du réseau, notamment sur les lignes ci-après

Paris à Dieppe par Pontoise. — Paris à Rouen et au Havre. — Paris à Caen et à Cherbourg. — Paris à Granville. — Paris à Rennes et à Brest — Paris à Bordeaux. — Rouen au Mans et à Angers. Rennes à Nantes et à Bordeaux.

COUTANCES

Morts au Champ d'Honneur.

PERILLIAT, de Saint-Sauveur-la-Pommeraye, adjudant d'artillerie, tombé à Sommes-sur-Tourbe, en Champagne.

FRIGOULT, Adrien, sergent au 36e de ligne ; décédé à l'ambulance de Haute-Avernes des suites de blessures. Ce militaire était de La Haye-du-Puits.

M. Emile PIEDAGNEL, de Feugères, dont on avait annoncé la mort, n'est pas confirmée. Ce brave soldat est disparu le 10 novembre à Bischoote et on a tout lieu de croire que blessé, il a été fait prisonnier.

JUSTICES DE PAIX. — Par décret en date du 20 septembre 1915, les justices de paix de Barneville et de La Haye-du-Puits sont provisoirement réunies sous la juridiction du juge de paix de La Haye-du-Puits.

ŒUVRE DES PRISONNNIERS DE GUERRE.

L'œuvre des prisonniers de guerre du quartier Saint-Nicolas Coutances, continue à fonctionner.

Hier soir les personnes s'occupant de façonner les colis se sont réunis, comme de coutume, chez madame de Saint-Germain et aujourd'hui la neuvième expédition a quitté le local de l'œuvre.

A PROPOS DES PRISONNIERS. — On demande comment avoir des nouvelles des captifs détenus dans les départements français encore occupés par l'ennemi ou en Belgique. Il leur est interdit d'écrire à leurs familles. Le ministre des Affaires étrangères ne perd pas de vue ce cas particulier et arrivera sans doute par l'intermédiaire des diplomates des puissances neutres qui agissent si persévéramment, à Berlin, en faveur de nos nationaux, sinon à faire lever, du moins à atténuer l'interdiction qui isole ces malheureux des êtres qui leur sont chers. En attendant, le meilleur moyen d'essayer d'obtenir des nouvelles des prisonniers en question est peut-être de s'adresser à Sa Majesté le roi d'Espagne, à Madrid, qui, chevaleresque, a établi dans son palais même un service de renseignements. Donner le plus possible de détails précis : date de la capture, numéro du régiment, de la compagnie, ou batterie. Puis attendre et espérer.

Courtes nouvelles

Le colonel de gendarmerie Rouch est arrivé lundi à l'improviste à Coutances, et a passé immédiatement l'inspection aux hommes formant les brigades. Il a adressé ensuite ses félicitations au maréchal des logis chef, M. Mahier, qui commande en ce moment l'arrondissement.

Hier mardi, un certain nombre de propriétaires de chiens ont été condamnés en Justice de paix pour les avoir laissé échapper.

D'après les comptes fournis par l'Institut Pasteur, le département de la Manche serait un de ceux où le plus de personnes auraient été mordues.

Parce que c'est la guerre, il ne faut pas croire que la gendarmerie sommeille. Des ordres lui ont été donnés récemment pour verbaliser contre les cyclistes qui ont oublié de se rendre possesseurs d'une plaque, contre les voituriers conduisant leur attelage sans guides, ou voyageant de nuit sans lanterne, etc., etc.

A la réquisition, depuis une quinzaine, les achats se poursuivent activement. Du 30 au 29 septembre, jour de la montre de la St-Michel, la Commission n'a pas acheté moins de 500 têtes de bétail, des bœufs pour la plupart. Les prix donnés ont varié entre 0 fr. 90 et 1 fr. 10 le demi-kilo vif.

Une vente importante d'épaves déposées sur le littoral de Pirou-Blainville-Anneville et Bréville aura lieu à Granville, Bureau de la Marine, le 10 Octobre, à dix heures du matin.

Les pommes sont en abondance et le sol est couvert de fruits. Il est à désirer que l'autorité militaire veuille bien organiser des équipes de travailleurs pour le ramassage des pommes.

Rémy de Gourmont

Les lettres françaises viennent de perdre Rémy de Gourmont. Victime lui aussi des heures douloureuses que nous traversons ; la guerre l'a tué !

Quand j'eus l'honneur de le voir à Coutances, à la fin de l'année dernière, je trouvai l'illustre écrivain horriblement changé, déprimé, et je sentis combien il était vraiment frappé au cœur par toutes les monstruosités de la soldatesque allemande, lorsque je l'entendis me dire sur le parvis : « Il n'y aura pas que ceux qui iront au feu qui pourront être tués ! »

Je ne ferai pas ici la critique de l'œuvre du maître, d'autres, plus autorisés et mieux outillés que moi diront son énorme labeur, l'étendue et la diversité de ses connaissances et de ses aptitudes, la variété de ses productions. Poète, critique dramatique, érudit, biologiste, philosophe et romancier, philologue et grammairien, il toucha avec une égale maîtrise à tous les sujets de l'activité humaine. Son œuvre embrasse tous les domaines intellectuels montrant en lui un esprit sans cesse renouvelé, sans cesse enrichi de nouvelles acquisitions.

Je veux, en ces quelques lignes , qui sont un humble hommage à sa mémoire, rappeler que si Rémy de Gourmont fut tout cela, il fut aussi et reste un normand de race et d'esprit.

Né en 1858, au château de la Motte, à Bazoches-en-Houlme (Orne), il appartient à une vieille famille originaire du Cotentin. Nous voyons, en effet, en 1606, un Charles de Gourmont, sieur des Fontaines, acquérir du duc de Rohan la baronnie de Gyé en Carentan et villages circonvoisins.

De cette famille sont issus les célèbres imprimeurs et artistes des XVe et XVIe siècles : Jean, Robert, Gilles, François, Théobald de Gourmont et de nos jours le peintre Jean de Gourmont, frère de l'écrivain. Sa grand'mère maternelle, une Malherbe, le rattache à la famille du poète, dont il fut le digne descendant.

Venu à Paris, en 1883, il entra à la Bibliothèque Nationale, qu'il abandonna peu d'années après pour les lettres, auxquelles il se consacra tout entier, collaborant à la plupart des grands journaux et revues de son époque.

Remy de Gourmont a donné plus de 50 volumes parmi lesquels je citerai : Le Latin mystique (1892). Le Pèlerin du Silence (1895). Esthétique de la langue Française (1899). La Culture des idées (1900). Simone (1901). Dans nombre de ses œuvres, il s'est rappelé sa province ; ses vers comme sa prose, sont pleins de réminiscences, de notations, où nous retrouvons facilement les senteurs du terroir normand ; mais c'est surtout en son exquis petit poème de « Simone » qu'il a le mieux et le plus vigoureusement caractérisé la terre et le pays Bas-Normand.

Ne serait-ce que pour cette seule page d'un lyrisme attendri, Remy de Gourmont a droit à la reconnaissance de ses compatriotes qui doivent lui garder un souvenir fidèle et ému.

Frappé brusquement du mal qui devait l'emporter en quelques jours, il fut transporté dans une clinique dirigée par des religieuses ; il y est mort le mardi 28 septembre, assisté des secours de cette religion catholique qui fut celle de sa jeunesse et dont il a, ne l'oublions pas, magnifiquement chanté la beauté et la richesse des hymnes sacrées en son poétique et savant ouvrage « Le Latin mystique ».

R. D'ALAUNA.

Pères et Mères de famille !!!

M. BONNEFOY, horloger, se chargerait de l'apprentissage de votre fils.

[document communiqué par Frédéric Piton, mai 2002]


3. Journal de Coutances, 4 janvier 1930

Louis Beuve et Rémy de Gourmont

[un problème de photocopie ne nous permet pas pour l'instant de reproduire le début de l'article ]

Vous vous rappelez « Coutances est mieux qu'un décor d'éventail, mieux qu'un poème : Coutances est une épopée ! Fierté partout... »

Rémy de Gourmont l'a décrite en cette Petite Ville que publiait naguère : « La petite ville est agréable à contempler. On la voit de partout et c'est toujours la même île de pierres accumulées émergeant d'une mer de verdure...»

Deux poètes ! Les amis de Louis Beuve n'ignorent pas que celui-ci ne manque point en ses « pèlerinages » coutançais d'aller s'incliner et rêver longuement devant le buste de l'auteur de Sixtine qu'encadrent les fraîches verdures de notre beau jardin, mais savebnt-ils tous comment Rémy de Gourmont a parlé de Louis Beuve.

Il y a, dans l'Anthologie normande, deux merveilleux poètes. L'un écrit en français, et c'est Mme Delarue-Mardrus ; l'autre écrit en patois, et son nom est Louis Beuve.

Puisqu'il s'agit de poètes normands, je dirai un mot de Louis Beuve, car c'est un des seuls qui ose être normand jusqu'au bout, normand de pensée, normand de langage. Il est né en 1869 à Quettreville, près de Coutances, mais d'une famille originaire d'entre Lessay et La Haye-du-Puits, et c'est dans le dialecte encore parlé en cette région qu'il a écrit ses poèmes. Son premier métier fut la librairie, qui est, comme il l'a dit lui-même, « le métier national des Coutançais » ; son second métier fut le journalisme [1]. Il demeure à Saint-Lô, à la lisière même du patois dont il a fait un si bel usage. Je ne l'ignore pas tout à fait, ce patois, qui, avec des nuances, est parlé dans tout le nord de la Manche ; M. Louis Beuve l'écrit avec pureté et le manie avec verve. A lire ses chansons et ses poèmes, on se croit transporté au milieu des paysans ; l'effet que cela me produit doit être analogue à celui qu'exerce sur les Méridionaux la poésie de Mistral. Louis Beuve n'a pas le sentimentalisme de Mistral ; ses poèmes sont surtout des tableaux de mœurs .

Des deux morceaux que cite l'Anthologie, on ne sait lequel préférer. Le premier a pour titre Adieux d'eune graind'mère à san fisset loué p'tit valet l'jou de la Saint-Quiai, ce qui se comprend, je pense, sans traduction. L'autre s'appelle la Graind-Lainde de Lessay ; c'est un chef-d'œuvre, en patois ; transposé en français, ce qui lui enlève beaucoup de son caractère, c'est encore un beau morceau de poésie. »

... « On cherche beaucoup, en France, à détruire les patois, les coutumes, tout ce qui caractérise les anciennes provinces et les maintient encore un peu différentes de Paris. Mais tous les efforts se briseront contre les patois qui ne sont que du français prononcé d'une manière particulière, et cela pour des motifs physiologiques qui se comprennent facilement. La prononciation tient à la forme des organes vocaux ; un très long exercice est nécessaire pour les discipliner. En fait, à l'heure actuelle, un observateur, un écouteur, est capable de déterminer l'origine exacte de n'importe quel habitant de la France. L'accent ne passe pas dans le langage écrit ; et c'est pourquoi nous n'aurions jamais deviné, à lire ses vers, que Mme Delarue-Mardrus fût née à Honfleur, plutôt qu'à Beauvais. C'est un éloge, et Malherbe avait raison de dire : « Hors de Paris il n'y a pas de salut. » C'était pourtant un Normand renfoncé, mais non en littérature. Il faut suivre son exemple ou celui de M. Louis Beuve. Je ne vois pas de milieu. »

Georges Laisney

[1] Ici le texte, sans que cela soit signalé, a été amputé du passage suivant : « Il est aujourd'hui rédacteur en chef d'un des journaux les plus répandus de la Basse-Normandie, le Courrier de la Manche. » (note des Amateurs)

[document communiqué par Frédéric Piton, mai 2002]