1. « Les journées Rémy de Gourmont à Coutances », ?, 4 septembre 1922.

Les journées Rémy de Gourmont à Coutances.

Ce sont les 16 et 17 septembre que se dérouleront à Coutances les fêtes en l'honneur de Rémy de Gourmont. Elles sont organisées par le comité Rémy de Gourmont et la municipalité de Coutances. Celle-ci, qui a à sa tête comme maire le docteur Leconte, veut que ces fêtes en l'honneur de l'écrivain, dont la naissance honore la vieille cité normande, aient un bel éclat.

Afin de marquer le caractère normand de l'œuvre du bel écrivain français que fut Rémy de Gourmont, des délégations d'étudiants de l'université de Caen ont été invitées à y prendre part.

Le 16 sera jouée sur la scène du petit théâtre de la ville, l'Ombre d'une femme, comédie en un acte que Rémy de Gourmont destinait à la Comédie-Française. Elle sera interprétée par M. Jacquin et Mlle Devillers, que M. Gémier, directeur de l'Odéon a obligeamment mis à la disposition du comité. Il y aura des récitations de poésies et de prose du maître ; M. Louis Dumur fera une conférence sur son œuvre.

Le 17 aura lieu l'inauguration du buste de l'écrivain, œuvre de Mme Suzanne de Gourmont, dans le jardin public de Coutances, qui est attenant à la maison de la famille de Gourmont.

[Michel Boulier]


2. « Rémy de Gourmont aura son buste à Coutances », ?.

Rémy de Gourmont aura son buste à Coutances.

On sait que Rémy de Gourmont, qui naquit au château de La Motte, à Bazoches-en-Houlme (Orne) le 4 avril 1858, était d'origine normande. Il descendait même de la famille des peintres, graveurs, typographes normands des XVe et XVIe siècles, au nombre desquels fut Gilles de Gourmont qui, le premier, imprima en caractères grecs et hébreux. Par sa mère, il se rattachait directement à la famille François de Malherbe. Il est donc essentiellement un Normand qui ajouta ainsi un fleuron de plus à l'admirable couronne littéraire de cette grande et belle province.

La Normandie s'apprête à fêter Rémy de Gourmont qui ne connut pas, durant sa vie, la gloire qu'il eût méritée, mais dans laquelle il semble bien qu'il soit entré, en même temps que dans la mort, tandis que celle-ci éteint la renommée tapageuse mais toute viagère de tant d'autres.

Il y aura à la fin de septembre, à Coutances, une journée Rémy de Gourmont. On inaugurera alors le buste de l'écrivain, œuvre de Mme Suzanne de Gourmont, qui est la femme de son frère, notre confrère M. Jean de Gourmont.

[Michel Boulier]


3. Charles-Henry Hirsch, "Les Revues", Mercure de France, n°585, 1er novembre 1922.

A propos de l'inauguration du buste de Remy de Gourmont, M. Gustave-Louis-Tautain, - Le Monde Nouveau (15 septembre-1er octobre),- et M. Constant Bourquin,- Belles-Lettres (octobre), - rendent hommage à la grande mémoire de ce maître.

La cérémonie de Coutances n'honore pas seulement la vieille cité normande. Elle doit réjouir ceux qui ont admiré l'écrivain, dans sa vie digne et dans l'œuvre de son beau labeur; car la gloire méritée lève pour lui. Elle aidera à répandre ses livres vivants. Après l'étranger (bien après lui, il faut le dire!), la France va connaître qu'elle a eu un nouveau Montaigne, riche d'idées et d'intelligence autant que l'ancien, plus artiste et savant que ne fut celui-ci. Poète, romancier, grammairien, philosophe, critique, physicien et métaphysicien, Remy de Gourmont est tout cela avec excellence. S'il y eût été moins original, dans la lettre et l'esprit, les honneurs sociaux lui seraient venus facilement. C'est la durable immortalité qu'il a conquise, en homme libre, réglé par sa conscience et son amour du Beau


1. Assises scientifiques, littéraires et artistiques, Compte rendu de la VIe session tenue à Rouen les 23-24-25 juillet 1923, Albert Lainé, Rouen, 1924 (pp. 154-155).

Rémy de Gourmont est mort le 27 septembre 1915. Son œuvre de guerre se compose de cinq volumes posthumes qui ont été publiés par les soins de son frère Jean de Gourmont. Ce sont d'abord les deux petits recueils intitulés Pendant l'Orage (1915) et Dans la Tourmente (1916), où sont réunis les articles écrits au jour le jour dans le journal La France d'octobre 1914 à septembre 1915 ; puis ses lettres à l'Argentine, données au journal La Nacion, de Buenos-Ayres, et éditées en volume sous le titre : Pendant la Guerre (1917) ; enfin, les deux tomes des Idées du jour qui font suite à Pendant l'Orage et Dans la Tourmente.

Georges Prévot les a étudiés et dans le Mercure de France et dans la Revue Normande (septembre-octobre 1918). Citons la conclusion de ce dernier article : "Au milieu de la foule versatile et illogique, presque toujours fausse dans ses jugements, tandis que la plupart des Français et jusqu'à des écrivains de génie s'abandonnaient sans réflexion aux préjugés les plus sots, Rémy de Gourmont, toujours maître de sa pensée ne se sépare point des idées qu'il estime encore justes. Peut-être sa philosophie méthodiquement réfléchie et positive paraîtra-t-elle parfois un peu dure. Mais de toute façon subsiste la leçon de cette belle maîtrise de soi. Gourmont, meurtri, profondément, violemment affligé dans son patriotisme, souffre de toute la douleur qui endeuille le monde. Mais il reste équitable, parfaitement probe, sans excès, sans partialité chauvine. Il étudie, il réfléchit, il pèse minutieusement le vrai et le faux, fait la part de l'erreur et la rejette, mais applaudit à la vérité d'où qu'elle vienne. Et ainsi Rémy de Gourmont aura montré par son propre et admirable exemple qu'un "intellectuel" français peut être en même temps un homme sensible, auquel rien de ce qui est humain n'est étranger, mais aussi qu'on peut être homme dignement sans être infidèle au respect de soi-même".

Le 24 septembre 1922, on inaugurait dans le jardin public de la ville de Coutances, où il fit ses études, un buste de Rémy de Gourmont "à la fois sacerdotal et ironique", taillé dans la pierre par Mme Suzanne de Gourmont. Georges le Cardonnel a fait dans le Mercure de France du 15 octobre une vivante relation de ces fêtes si pittoresques organisées par le Pou qui grimpe. Dans une magistrale conférence Louis Dumur résuma "toute l'histoire d'une période littéraire, en racontant celle d'un admirable esprit. Il nous montre Rémy de Gourmont venu à la littérature en plein symbolisme apportant à celui-ci de parfaits et délicats modèles comme Les Litanies de la Rose, Lilith, Le Fantôme, Fleurs de jadis, Hiéroglyphes ; un poème dramatique Théodat, Histoires magiques, D'un Pays lointain, Le Pèlerin du Silence, Le Vieux Roi, Les Chevaux de Diomède. Il définit le symbolisme ; il se livre aux études qui devaient en fonder la raison et en soutenir le mouvement somptueux, et écrit Le Latin Mystique. Enfin, dans ses deux Livres de Masques, il pose les premiers jalons d'une histoire de la période symboliste. Le symbolisme ne lui suffit plus. Il se prend à jouer avec les idées, se plaît à leur cache-cache avec les mots, leurs heurts, leurs répercussions, et il donne ces quatre magistraux volumes d'essais : L'Esthétique de la Langue française, La Culture des Idées, Le Chemin de velours, Le Problème du style, qui resteront probablement comme l'expression la plus originale et la plus réussie de sa pensée. Puis ce furent les Epilogues et la Physique de l'Amour, les Promenades littéraires, les Promenades philosophiques, les Dialogues des Amateurs sur les choses du Temps. En philosophie, il s'adonne avec une profusion de pensée étonnante aux considérations les plus neuves tirées de la biologie, de la botanique, de la paléontologie, de la physique ou de l'ethnographie. Les lois de constance proposées par Quinton l'incitent à en faire l'application aux fonctions supérieures de l'intelligence et lui fournissent l'argument d'un de ses plus prestigieux essais. M. Dumur termine en le montrant critique social dans les dernières années de sa vie".

A l'inauguration même du monument, plusieurs discours furent prononcés. M. Eugène Morel montra en Rémy de Gourmont "par ce temps de spécialismes, un homme universel. Sa clairvoyance sut émonder et connaître, aller à l'essentiel, le tenir et voir d'ensemble. Comme ces maîtres du XVIe et aussi du XVIIIe siècles, érudits, savants, poètes et artistes tout à la fois, avec lesquels à chaque instant on est tenté de le comparer, cet homme sut ce qu'on pouvait savoir de son temps". Pour Marcel Coulon : "célébrer Rémy de Gourmont, c'est célébrer l'Intelligence. Gourmont est allé plus droit quelquefois et plus loin que nos autres sages". M. le Dr Voivenel retraça "le drame intellectuel grandiose qu'un médecin a cru deviner dans l'œuvre d'un de nos plus grands écrivains, et qui fit remonter sa sensualité païenne vers son intelligence et son imagination ; cette sensualité sous pression vient revêtir de sa splendeur frémissante le moindre de ses écrits". M. Lecomte, maire de Coutances, rattacha l'auteur de La Petite Ville à Coutances : "Quelle description précise et concise de sa cathédrale, de ses églises, de ses maisons et de son beau jardin public, de son vieux savant qui savait tout du passé et ne voulait rien apprécier du présent !" M. Souriau s'attacha à l' œuvre de guerre et Ch.-Th. Féret salua le fils des vieux chefs normands, "l'ouvrier, lui aussi, de la grandeur normande : Son palais fut celui de la mysticité, où du seuil nous tendait les mains, la vérité" (1).

Flaubert et L. Bouilhet, A. Sorel, O. Feuillet, R. de Gourmont, Barbey d'Aurevilly furent ainsi célébrés en Normandie au cours de cette période décennale dont nous nous sommes efforcés de dresser l'inventaire.

(1) Le 9 mai 1924 eut lieu l'inauguration d'une plaque commémorative sur la maison qu'habita R. de Gourmont, 71, rue des Saints-Pères. On trouvera dans le Mercure de France du 1er juin (p. 556 à 565), les discours prononcés par MM. Léon Riotor, G. Lalou, Aubanel, G. Lecomte, J. de Gaultier, L. Dumur et les sonnets de Henri de Régnier et Ch.-Th. Féret.

Les Nouvelles Littéraires consacrent un numéro fort intéressant (10 mai) à Rémy de Gourmont.