LA BIBLIOTHEQUE DU COMTE ROBERT DE MONTESQUIOU

Le comte Robert de Montesquiou passait pour un écrivain d'une réputation bruyante, voire tapageuse, et voici que sa bibliothèque dispersée aux enchères après une publicité suffisante, nous montre en lui un travailleur, un curieux, un chercheur.

Rien, en effet, ne découvre l'identité d'un homme comme sa bibliothèque qui renseigne sur ses goûts et ses prédilections, la direction de ses études et la voie littéraire où il s'est engagé.

On tenait Montesquiou pour un poète fort discuté, et voici que, dans ses livres, il ressort la haute considération, la parfaite estime que lui témoignent ses maîtres et les plus illustres de ses contemporains.

Evidemment les dédicaces tracées sur les feuillets de garde des volumes n'ont pas une signification absolue, et il convient de tenir compte des intérêts de conscience et d'obligation confraternelles qui ont pu dicter leurs termes souvent hyperboliques. Elles ne sont qu'une sorte de commencement de preuve.

D'un examen d'ensemble, il ressort d'abord que Robert de Montesquiou se rattache étroitement à la génération symboliste et qu'il entretenait des relations étroites avec les principaux auteurs de ce groupe : Schwob, Gourmont, Jammes, Rodenbach, Samain, Tinan, Louys, Guérin, Régnier ; ensuite que leurs aînés Goncourt, Mallarmé, Verlaine, Leconte de Lisle, Heredia, étaient attentifs aux productions de Montesquiou.

Pour Verlaine, une mention spéciale s'impose : de l'épaisse liasse de lettres adressées par le pauvre Lélian à Montesquiou il rejaillit un magnifique honneur pour ce dernier d'avoir été mêlé aussi étroitement à la vie du poète malheureux et de l'avoir assisté comme il l'a fait dans son agonie.

Aux témoignages de camaraderie littéraire que nous avons cités il convient d'ajouter les preuves d'amitié sincère données à Montesquiou par Anatole France, Abel Hermant, D'Annunzio, sans oublier Maurice Barrès, dont le sentiment et le témoignage lui ont servi de réconfort lorsque, vieilli, il vivait seul -et retiré.

C'est alors qu'il connut certains de. ses cadets, tels que Jules Romains, Paul Fort, Duhamel, et surtout Marcel Proust qui professa pour Montesquiou un culte, une admiration, une ferveur extrêmes, qui reconnut en lui son maître, un maître qui joua un rôle considérable sur la formation intellectuelle de l'auteur de Sodome et Gomorrhe. (Pierre Lièvre, Revue hebdomadaire, 21 avril 1923).

« Bibliophilie », Chronique des lettres françaises n°3, mai-juin 1923, p. 445-446