Enquête sur les prix littéraires |
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LES REVUES La Revue : Enquête sur les prix littéraires. Conclusion de l'enquêteur. Remarques à propos des prix décernés par des femmes de lettres et de Mme Rachilde. La Foire aux Chimères est présentée au public par M. Anatole France et groupe les écrivains « visionnaires ». Revue hebdomadaire : M. Robert Mitchell écrit ses souvenirs sur !a guerre de 1870-71. Memento. Décembre, c'est le mois des, cadeaux, celui des distributions de prix aux gens de lettres, aux débutants et à ceux dont la carrière s'achève modestement ou dans la gloire. M. Georges le Cardonnet a fait une enquête Pour ou contre les Prix littéraires. Il a obtenu des réponses d'un grand, nombre de correspondants et elles ont paru dans La Revue. Le numéro du 15 décembre les résume après avoir publié les «opinions des jeunes revues » sur cette question. Voici une partie des conclusions de l'enquêteur : Des nombreux témoignages que nous avons recueillis, il résulte que, sur le principe même des prix, les avis sont très partages. Les écriva!ns qui ont acquis la notoriété semblent plutôt partisans des récompenses. Certains néanmoins font des restrictions. C'est ainsi qu'ils n'admettent pas les concours avec sujet imposé. Ceux qui ne sont pas encore parvenus à la grande notoriété sont, en majorité, adversaires des prix. Il en est même qui le disent avec véhémence. Quant aux jeunes écrivains des jeunes revues que la question a les meilleures raisons d'intéresser le plus, ils se déclarent, à quelques exceptions près, contre les récompenses ou, s'ils. les admettent, c'est seulement comme un moindre mal. Pour ce qui est de l'influence que peuvent avoir ces fondations de prix sur l'indépendance de l'Art, la presque unanimité de nos correspondants reconnaît que la préoccupation d'obtenir un prix ne saurait en aucun cas influencer les véritables artistes. Ceux-ci, en effet, n'écouteront jamais que leur inspiration ; ils ne sauraient écrire ni pour plaire à un jury, ni pour plaire à un public ; ils s'efforceront de faire œuvre excellente à leurs propres yeux, et il arrivera souvent que leur premier public sera celui dont ils auront été les initiateurs. L'attribution d'un prix fait toujours beaucoup de mécontents, parce que le bonheur de l'un ne suffit jamais à tous les autres. Le fond de l'homme n'est pas excellent. Dans l'adolescence ou la vieillesse, il est meilleur, soit de ne point calculer encore, soit d'être désabusé de l'avoir trop fait sans profit. Que de jeunes gens pestent actuellement contre les prix littéraires, qui seront dans quelques années des négociants rassis, de sages procéduriers ou des fonctionnaires souples ! Il est bon qu'ils dédaignent les raisins qui n'ont pas mûri pour l'ardente soif de leur fine bouche. La grappe n'est pas toujours dévolue à bon escient, si l'on juge, à quelques ans de là, celui qu'elle désaltéra de son suc. Mais on ne saurait médire de jurys qui ont encouragé l'honnete talent de M. Léon Frapié, la couleur verbale de MM. J.-A. Nau, Claude Farrère, le style pondéré des frères Tharaud et de M. Moselly, ou qui saluèrent le glorieux début d'Abel Bonnard, notre grand poète de demain, et ont récompensé M. Romain Rolland ou M. Charles Géniaux. Dernièrement, une moitié du prix de l'Association de la Critique littéraire a été attribuée à Mme Rachilde. Il est curieux qu'un tel écrivain soit, après avoir écrit plus de vingt volumes, récompensé pour en avoir lu et jugé des milliers dont beaucoup des meilleurs ne valaient pas les moindres des siens. Ce mot n'est pas de moi. Je le répète parce qu'il est juste, essentielle condition des mots jolis. Mais il ne donne pas le vrai sens de la preuve d'estime donnée au critique littéraire de cette revue et je le voudrais dire avec la brutale franchise d'un Alceste qui ne serait que l'ennemi des bas bleus montés sur des talons d'ou leur vient une apparence de grandeur. Ceux qui ont lu la Princesse des Ténèbres, la Tour d'Amour, le Démon de l'Absurde, la Sanglante Ironie, le Meneur de Louves comprendront que, par un prix qu'ils décernaient à Mme Rachilde, des lettrés aient entendu indiquer à l'aréopage de poétesses, de femmes écrivains et de mondaines, qui donne chaque année le prix de la Vie heureuse, que s'il est un jury féminin dont les jugements portent sur la production littéraire française, Mme Rachilde devait être l'une des premières à siéger dans ce jury. Ni Mme de Noailles, ni Mme Catulle Mendès, ni Mme Marcelle Tinayre, ni Mme de Pierrebourg, ni Mme Myriam Harry, qui y ont été appelées par un ta!ent incontestable et leur connaissance de l'art d'écrire, ni les deux ou trois autres dont je m'excuse de ne point trouver le nom à cette minute où je corrige l'épreuve de cet article, aucune, dis-je, ne trouvera inopportune cette manifestation d'hommes de lettres en faveur d'une femme de lettres de cette valeur. Les femmes du monde admises à distribuer un prix littéraire par ce qu'elles savent offrir de petits gâteaux et leur main à baiser, et qui se soucient de la langue française comme des modes de l'an 1889, ô, ces femmes-ci se demanderont, dédaigneuses à défaut de mieux, de quoi se mêent, en vérité, de pauvres hommes, d'aller trouver du mérite à une femme qui les honorerait de siéger auprès d'elles et pour n'être jamais de leur opinion ! (Charles-Henry Hirsch, Mercure de France, 16 janvier 1908, p. 326-328.) |