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Référendum de la Chronique médicale sur la prophylaxie anti-conceptionnelle
Le succès de notre enquête sur la réglementation du mariage, à propos d'un roman médico-social (1), nous avait laissé espérer que nos lecteurs s'intéresseraient au problème soulevé par notre distingué collaborateur, le Dr Klotz-Forest (2) (légitimité de la prophylaxie anti-conceptionnelle).
Les résultats de notre référendum ont dépassé toutes nos prévisions.
Le Dr Klotz-Forest s'est efforcé, dans un exposé historique de la question de justifier « toutes les mesures préventives employées pour éviter la grossesse, chaque fois que cette grossesse mettait la vie ou la santé de la femme en péril ; chaque fois que, par suite d'une tare héréditaire des parents, le produit de la conception était presque fatalement menacé de dégénérescence ; ou que la misère, la « pire des maladies », vouait des êtres innocents à une existence lamentable, pécaire et douloureuse ».
Nous rappelons ici les termes mêmes du questionnaire, auquel nous avons prié nos lecteurs de répondre :
1° Admettez-vous ou rejetez-vous la prophylaxie anti-conceptionnelle ?
2° Si vous l'admettez en principe, limitez-vous son application aux cas médicaux ; ou, au contraire, pensez-vous que des raisons sociales ou simplement individuelles puissent la justifier ?
3° Dans le cas où vous n'en seriez pas partisan, nous vous serions reconnaissant de formuler les motifs qui vous la font rejeter.
Nos lecteurs ont élargi le débat, et c'est tout le problème, si passionnant de la procréation volontaire, de sa légitimité, de ses indications, qui a été discuté.
Certes, tous nos correspondants n'approuvent pas la prophylaxie anti-conceptionnelle, mais tous sont d'accord pour nous féliciter d'avoir posé la question et de leur avoir permis d'exprimer leur pensée sur un problème de la plus haute importance.
Nous avons classé les réponses sous trois rubriques différentes :
I. Les adversaires de la prophylaxie anti-conceptionnelle ;
II. Les partisans de cette prophylaxie, mais sous certaines réserves ;
III. Les partisans, sans réserves ni restrictions, de la prophylaxie anti-conceptionnelle.
Qu'il nous soit permis, avant de donner la parole à nos collaborateurs et collaboratrices occasionnels : hommes de lettres, auteurs dramatiques, philosophes, sociologues, médecins, de les remercier pour l'empressement qu'ils ont mis à nous répondre, et pour la netteté et la franchise de leurs déclarations.
La preuve est faite que l'on peut traiter les questions les plus délicates, à la condition qu'on le fasse avec courtoisie et mesure.
Le problème sexuel est de ceux qui effarouchent d'ordinaire la fausse pudeur et encouragent l'hypocrisie. Dans une revue médicale, il nous a paru que nous pouvions en causer librement, en gardant la grave préoccupation des difficultés qu'entraîne sa solution.
I. Adversaires de la prophylaxie anti-conceptionnelle.
[Réponses de : Dr J. Arrous (Prade), Dr Félix de Backer, Dr Alfred Fleury (de Bar-le-Duc), Dr J. Grasset (de Montpellier), Dr André Lucas (de Monte-Carlo), A. Ganier]
II. Partisans de la prophylaxie anti-conceptionnelle avec restriction limitée aux cas médicaux seulement.
[Dr Bernard (de Cannes), Dr Francis Bleynie (de Masseret, Corrèze), Maurice Boniface, Dr Cazalis, André Couvreur, Dr E. Latruffe-Colomb, Le Véziel (ancien professeur à l'école de médecine de Paris), président Magraud (de Château-Thierry), Dr Moreau (de Malakoff), Camille Pert (de la Société des gens de Lettres), Dr Raoult (de Vernon), Joanny Roux (médecin des hôpitaux de Saint-Etienne), Dr Salignat]
III. Partisans, sans réserves, de la prophylaxie anti-conceptionnelle.
[Dr L. Achard (médecin chef de l'hôpital civil et juge de paix suppléant, à Aïn-Thémorchent, Algérie), Dr Adda (Tunis), Dr E. Callamand (de Saint-Mandé), Dr J. Darricarrère (ex-médecin major), Dr Paul Denis (Bruxelles), Lucien Descaves, Jeanne Dubois, Dr Féraud (de Philippeville), Dr Foveau de Courmelles, Dr Aimé Gardette, Dr Gotchalk, Fernand Kolney, professeur Lacassagne, Odette Laguerre, (rédactrice à la Fronde), Maurice Landay, Dr G. Lévy, Dr L. Maurice, Dr L. Pron (de Joinville), Rachilde-Vallette, Paul Robin, Nelly Roussel, Dr Sicard de Plauzoles]
(La Chronique médicale, n°4, 15 février 1905, p. 97-138.)
[...] à côté du lit conjugal. Dieu merci, les apôtres de la repopulation ont assez fait gémir tous les échos de ces constatations, navrantes pour eux !
En résumé, ici encore, je suis partisan de la prophylaxie anti-conceptionnelle, laissée au libre arbitre de chacun : cela pourrait bien être la mort de la société individualiste dont nous jouissons, et ce sera le grand cheval de bataille des ennemis de la prophylaxie anti-conceptionnelle. Tant mieux : cela montrera que l'individualisme n'est pas viable et qu'il faut d'autres principes à la base de la société.
La question de sociologie médicale que vous soulevez et qui concerne la prophylaxie anti-conceptionnelle est des plus intéressantes et même des plus importantes.
Comme médecin, je pense qu'il devrait être interdit à toute personne en état de maladie chronique d'avoir des enfants, qu'on saura à l'avance devoir être voués aux souffrances physiques ou à quelque tare, qu'ils transmettront à leur tour à leur descendance.
Comme homme, je pense que tout être humain a le droit absolu de se soustraire à la procréation, pour des raisons sociales ou individuelles, dont lui seul est juge. Et ce droit n'aura pas des suites aussi fâcheuses que le redoute l'honorable sénateur Piot, car l'acte procréateur, qui est accompli à l'aurore du XXe siècle comme à l'âge de pierre, et qui le sera ainsi tant qu'il y aura des hommes, restera toujours un piège alléchant et trompeur.
Dr L. PRON (de Joinville).
A mon tour, une question, qui contiendra peut-être toutes les réponses que vous me demandez : si l'on admet la prophylaxie anti-conceptionnelle, à qui donnera-t-on le droit d'en user : à l'homme ou à la femme ?
Dans la majorité des cas, les ménages sans enfant sont beaucoup plus l'œuvre du mari ou du médecin, que l'œuvre de la femme.
Il faut se souvenir, en dépit de tout le féminisme actuel, que la volonté d'une femme est subordonnée à la volonté de son mari. L'homme est capable, s'il le veut bien, d'inspirer le sentiment maternel à sa compagne, même quand elle ne l'éprouve pas naturellement. Les femmes stériles, physiquement et moralement, sont fabriquées par leurs compagnons, de route ou de passage, et presque toujours la femme qui aime son mari, ou son amant, aime l'enfant, les enfants qui lui viendront de lui.
Mais il ne faut jamais admettre qu'une femme (en dehors de la question de clinique) puisse entièrement abdiquer sa volonté de rester mère, c'est-à-dire de reproduire une image qui lui plaît.
De plus, l'âge maternel chez la femme est très incertain. Telle jeune fille de vingt ans qui n'a pas le sentiment maternel devient, plus tard, de trente à trente-cinq ans, une excellente mère de famille ; mais elle peut parfaitement dissimuler ses nouveaux instincts, si elle est la compagne d'un homme qui ne partage pas ses idées. Que les jeunes [p. 132] femmes le veuillent ou non, elles sont généralement le reflet de leur époux, et pour elles la haine ou l'amour leur dicte leur conduite de bonne ou mauvaise femelle.
Pour me résumer : oui, l'on doit choisir le moment de la conception : c'est le devoir des civilisés.
Mais il faut admettre la femme à partager l'opinion du médecin ou mari, et ne jamais permettre que seul, un médecin, ou un mari, se reconnaisse le droit de donner ou de retirer le pouvoir de la procréation.
L'esprit est prompt, la chair est faible... la femme aussi.
Non seulement j'admets la prophylaxie anticonceptionnelle, mais je la trouve très désirable dans l'immense majorité des cas. Ce n'est que très exceptionnellement que l'on doit consentir à ce que le coït puisse être fertile.
La prophylaxie dans « les cas médicaux » devrait être de règle absolue. Procréer volontairement des enfants qui auront des chances d'hériter de graves tares parentales est de l'inconscience, de la folie, de l'atroce malfaisance. Je ne doute pas qu'un temps soit proche où l'opinion morale des médecins et de la masse se sera transformée dans le sens que j'ai osé indiquer, au milieu de la désapprobation unanime de tous, au Congrès d'assistance familiale (juin 1902) ; que, dans les cas extrêmes, au moins, on stérilisera d'office ceux qui ne pourraient s'empêcher d'encombrer l'humanité de dégénérés, sans espoir de bonheur pour eux-mêmes et dangereux pour les autres.
D'ailleurs, le bon vouloir des parents et surtout de la mère, est un motif tout à fait suffisant pour accepter ou rejeter la procréation. Au lieu de les y pousser, de sages conseillers de leurs semblables devraient, au contraire les en dissuader, excepté dans les cas, fort rares, où le produit possible aurait, de par l'état de santé physique et morale, de la valeur intellectuelle des parents, de leur situation dans leur milieu social, toutes les chances possibles d'être des humains de qualités très supérieures, à tous les points de vue possibles. Ce n'est qu'en appliquant ces principes dans toute leur étendue, que l'on pourra en finir avec le fumier social actuel ; que l'on pourra remplacer l'énorme quantité de fous rapaces et querelleurs qui encombrent, souillent et gaspillent la planète, par un nombre sagement modéré d'humains heureux et bons, travaillant à améliorer au maximum la grande habitation commune et à procurer à eux-mêmes et à leurs semblables, dans toutes les directions, la plus grande somme de bonheur.
Toute femme adulte et normale c'est-à-dire apte à concevoir se trouve placée en face de ces trois solutions : la chasteté, la prophylaxie anti-conceptionnelle, la gestation continue, ou à peu près.
La chasteté, toujours funeste, est impossible dans le mariage.
La gestation continue, ou tout au moins très fréquente, transforme [p. 135]
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