Enquête sur le vote |
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VARIÉTÉS Une enquête sur les écrivains et le vote en 1914. En avril 1914, une revue Les Ecrits français avait posé à un certain nombre de gens de lettres et d'artistes ces deux questions indiscrètes : Votez-vous ou bien vous abstenez-vous ? Et pour quelles raisons ? Considérez-vous que notre élite s'intéresse aujourd'hui à la politique ou s'en désintéresse ? L'enquête recueillit de nombreuses réponses qu'il est intéressant, aujourd'hui encore, de passer en revue. M. Léon Hennique, l'ancien président de l'Académie Goncourt, se déclarait un « fervent du scrutin ». Et je ne saurais croire, d'ailleurs, ajoutait-il, que certains, parmi nous, soient vis-à-vis de la politique aussi indifférents qu'ils s'amusent à le raconter. M. J.-H. Rosny, aîné, écrivait : Je vote... L'élite, ce me semble, est un peu irritée, sinon contre la politique, du moins contre les politiciens. Elle les trouve encombrants, elle juge qu'ils s'agitent trop et que leur agitation coûte trop cher. M. Henry Céard confiait discrètement : Puisque vous désirez connaître quel usage je fais de ma carte d'électeur, je vous révèle confidentiellement que je l'emploie avec succès pour retirer des lettres en souffrance à la poste. M. René Boylesve, qui, depuis, fut reçu à l'Académie française, affirmait simplement: Je vote. Nous devons tous voter. Le romancier Charles-Henry Hirsch déclarait en substance : J'ai voté : jamais mon candidat n'a été élu. et il ajoutait : L'élite, je comprends que vous parlez là de l'intellectuelle, s'intéresse à la politique seulement dans les périodes critiques que les parlementaires préparent par leur abjecte domesticité à l'égard de l'électeur. Nous sommes, je crois, à la veille d'une crise sociale... M. Paul Souday, le critique littéraire du Temps, écrivait alors de Palerme : Oui, je vote habituellement, d'abord parce que je vais retirer ma carte d'électeur qui peut être utile, et puis parce que mieux vaut, en somme, un député intelligent qu'un imbécile. Je considère la valeur personnelle des candidats plus que leurs programmes. Je voterais volontiers pour Anatole France ou pour Barrès, jamais pour Tartempion, M. G. de Pawlowski, rédacteur en chef du Comœdia de ce temps-là, répondait : Je n'ai jamais trouvé de candidat intéressant. C'est uniquement pour cela que je n'ai jamais pu me décider à voter. Je crois très fermement que la plupart des électeurs sont dans mon cas et que les élus ne représentent jamais véritablement leurs circonscriptions. La lettre de M. Fernand Vandérem était assez désabusée : L'arrondissement où j'habite nomme de toute éternité un député conservateur ; que je vote pour, que je vote contre, même prix. Alors, j'évite de me déranger. Quant à notre élite, elle représente un si petit nombre de voix que ce n'est vraiment pas la peine d'en parler. M. Pierre Mille déclarait que pour sa part, il serait plutôt syndicaliste. Je suis assez de l'avis de Charles Benoist avant qu'il eût inventé la R. P. Dans une série d'articles parue dans la Revue des Deux Mondes, et qui me semblaient pleins de bon sens, il demandait une représentation professionnelle, ce qui se rapproche, en somme, beaucoup de l'idéal syndicaliste. M. Henri Duvernois, le romancier d'Edgar, s'excusait de n'avoir « sur ce sujet aucune ce qui s'appelle aucune compétence ». Mais Ernest La Jeunesse, qui est mort pendant la guerre, affirmait avec force : Je n'ai jamais voté, je ne vote point et je ne voterai jamais... Je suis, disait-il en terminant sa proclamation, pour le coup d'Etat, pour les baïonnettes, fort de cette idée que le peuple ne peut être mené au bien-être, à la conscience de soi-même et à la perfection qu'à coups de pieds dans le cul. Et Laurent Tailhade, qui vient de mourir, donnait cette réponse où il se résume tout entier : Je n'ai voté de ma vie et me flatte de ne voter jamais. En effet, j'estime qu'il est très suffisant d'être, chaque jour, le « confrère » de M. Henry Bordeaux, pour se ramentevoir le néant de la condition humaine, sans avoir besoin, par surcroît, de s'égaler, tous les quatre ans, au charbonnier du coin, à MM. Millevoye, Henri Galli [chet], vicomte d'Andigné, Maurice Talmeyr et autres pédicures. Le romancier Paul Acker, qui mourut sous les drapeaux, déclarait : Je ne vote jamais. Le vote est le plus grand mensonge qui existe et il ne sert qu'aux minorités qui détiennent le pouvoir, On ne changera rien à un régime par le vote, car c'est toujours le gouvernement qui fait les élections. M. Clément Vautel, qui enseignait la sagesse aux lecteurs du Matin, répondait modestement : Je vote... Je pense, ajoutait-il, que la politique a passionné et passionne tous les grands écrivains vraiment grands. Remy de Gourmont avouait doucement : Oui, je le reconnais : quoique je sois fort attaché à un régime qui, jusqu'ici, a garanti ma liberté d'homme et ma liberté d'écrivain, ce dont je lui suis très reconnaissant, je n'ai jamais voté. Mais il est probable que je ne me serais pas abstenu sous un régime qui les eût menacées ou même discutées. Notre Willy national déclarait : Dans les différents arrondissements de Paris que j'ai habités, depuis que je suis électeur, j'ai toujours vu, quand les affiches politiques arlequinent les murs, deux candidats principaux en présence : a) Un gaillard intelligent, mais malhonnête. b) Un brave homme, mais stupide. Entre les deux mon cœur ne balance pas, il se soulève. C'est pourquoi, résolu à ne voter ni pour la ficelle ni pour la poire, je reste chez moi. Les raisons qu'apportait M. Jean de Bonnefon étaient péremptoires : Oui, je vote et je fais voter, parce que je suis maire du village natal où je possède les six mètres de terre qui seront (je l'espère) mon définitif asile. M.Georges Fourest donnait une note humoristique, naturellement : L'élite intellectuelle s'intéresse-t-elle à la politique ? Mais, de grâce, qui donc la constitue, cette élite, sinon les hôtes du Luxembourg et ceux du Palais-Bourbon ? Je vote, disait M. Albert Flament. Pourquoi ne voterait-on pas ? se demandait M. Fagus. Je n'ai jamais voté, déclarait le peintre Paul Signac. Je ne vote pas, disait M. Han Ryner. Et le philosophe Gonzague Truc d'avouer : Je vote, et voici comment je rédige mon bulletin, en principe, pour un tel ; en fait, pour personne. Non dignus. Les écrivains de la nouvelle génération, ceux qui ont fait la guerre, répondaient avec un touchant désaccord : Je vote parfois, suivant le temps qu'il fait, disait Jean-Marc Bernard qui fut tué devant Carency. On devrait voter et faire de la culture physique, déclarait M. Emmanuel Bourcier. M. Claudien reconnaissait : Je ne vote pas et j'ai probablement tort. De même, le romancier André Billy : Je n'ai pas encore voté. Et M. Francis Carco : Je ne vote pas, mais je n'ai que de mauvaises raisons pour m'abstenir. M. Léon Deffoux faisait une réponse de Normand. Et M. Fernand Fleuret également : Je crois que nous ne devrions plus nous occuper de choisir nos valets de « Chambre », puisque les femmes se proposent à nous rendre ce service. Elles savent beaucoup mieux que nous choisir des domestiques et les congédier à temps. M. Fernand Divoire disait : Je pensais m'abstenir, par discrétion. Mais je voterai parce que c'est une question religieuse. M. Ernest Gaubert, homme de lettres et sous-préfet, assurait : Je n'ai jamais voté. Je ne sais pas pourquoi, je crois que cela tient à ce que je suis électeur dans l'Hérault et que je n'ai jamais pensé que l'exercice de ce devoir valût le prix du voyage. Il faut voter, déclarait M. Emile Henriot. Et M. Max Jacob s'excusait : Nous ne votons pas, parce que nous ne savons pas voter. Le directeur du Divan, le docteur Henri Martineau, disait : Je vote parfois, je me suis abstenu aussi... Mais M. Mario Meunier : Non, je ne vote jamais. D'accord avec M. Maurice-Verne : Je n'ai jamais pu voter. M. Gabriel Reuillard de dire : Non, je ne vote pas. La duperie électorale a déjà trop duré. Je voterai certainement en 1914, se promettait le romancier André Salmon qui s'engagea pour faire la guerre. Et M. Eugène Montfort, directeur des Marges, résumait dans sa réponse la pensée de la plupart des jeunes écrivains de ce temps-là : Je ne vote pas. Je n'ai jamais voté. Je ne m'intéresse pas à la politique parlementaire qui m'écœure. Mais j'observe avec passion les courants d'idées et de sentiments qui mènent la société d'aujourd'hui... Ce temps-là ? La curieuse époque de fièvre et d'attente ! Qu'on veuille bien se souvenir. On parlait de la réforme électorale et de révision de la constitution. On parlait des campagnes de Léon Daudet, de celle de Calmette, du geste de Mme Caillaux... Un malaise général persistait. L'enquêteur des Ecrits Français concluait alors, sans conclure : Les écrivains, s'ils ne se désintéressent pas de la politique, semblent plutôt se détourner des politiciens. Et, un peu sévèrement, il ajoutait : S'il est vrai, comme on l'a dit, que la République n'a pas besoin de savants, notre actuelle démocratie n'a pas besoin de lettrés. Mais la véritable conclusion, celle d'aujourd'hui, je crois bien que dans un récent numéro d'Excelsior 9 novembre M. Emile Henriot l'énonça justement : Il me semble que nous sommes aujourd'hui d'accord : bien sûr, on votera. Ce n'est pas que beaucoup soient absolument certains d'avoir une idée politique. Mais tout de même on a ses idées, on y tient un peu plus qu'avant : on aimerait à les faire prévaloir parce qu'elles nous ont coûté si cher, à tous. Et l'on croit que cela modifiera peut-être quelque chose... Des écrivains se sont inscrits sur les listes électorales. Avec les noms de MM. Maurice Barrès et André Lebey, députés sortants, on a relevé ceux de MM. André Çhéradame, Léon Daudet, Gaston Deschamps, Louis Dimier, Fernand Laudet, Raymond Lefebvre, Jean Piot, Maurice Pujo, Gustave Téry, Paul Vaillant-Couturier, Colrat, R. Vallery-Radot, etc. Quelques-uns d'entre eux ont été élus ou réélus. Et des écrivains qui ne votaient pas, ou qui ne votaient plus ont voté cette fois, parce que, selon l'expression de M. Emile Henriot, « voter, c'était une occasion pour dire son mot ». EMILE ZAVIE. (Mercure de France, 1-XII-1915, p 791.) A consulter : |