JEAN COCTEAU

Entre M. Jean Giraudoux, fantaisiste, et M. Paul Morand, réaliste, M. Jean Cocteau a adopté l'attitude de l'acrobate, du clown et de l'illusionniste. M. Morand avait pris l'Europe, l'Asie et les deux Amériques M. Giraudoux on ne sait quelle île légendaire, déplaçable sur la carte diplomatique, comme ces mouches dont la Pompadour marquait les villes à investir sur le plan du maréchal de Soubise : il s'est emparé des fêtes foraines de Paris et de sa banlieue, des cirques, des camps d'aviation et des champs de courses, et pour se donner l'ivresse de boire un peu d'azur, avec Pégase devenu « Dada », il a bondi sur les toits des maisons et sur la plate-forme de la Tour Eiffel.

Il y a du cabotinage dans son impressionnisme qui est celui du « trompe-l'œil » et je pense que c'est à la façon dont Gugusse refaisait les exercices de l'écuyère qu'il a passé d'Edmond Rostand à Mme de Noailles et de Mme de Noailles à Apollinaire, à Mallarmé, à Lautréamont et à Rimbaud, au son de la musique d'Eric Satie et de Stravinsky.

Sans doute, se recommande-t-il, par-dessus toutes choses, de la poésie. Poésie sont ses poèmes, poésie ses romans, sa critique et son théâtre. Mais il n'entend pas le mot ou la chose de la même façon que les symbolistes qui s'enfermaient dans la Tour d'Ivoire. Chanter, pour lui, c'est faire la parade. Il a, bien sûr, comme Gugusse, sa vie secrète, ses joies et ses chagrins intimes. Mais ce n'est que sur l'estrade qu'il rit et qu'il pleure, non sans délayer le fard qui le grime. Il lui faut se trouver en contact avec la foule pour se révéler, et il ne devient lyrique qu'en forçant l'attention.

Désir de réussite, objectera-t-on. Parbleu ! Et Maurice Barrès avait bien utilisé un homme-sandwich pour la réclame des Taches d'encre. Je crois, cependant, discerner davantage dans le désir de se produire de M. Cocteau. De la coquetterie, d'abord, et très féminine, avec un brin de mythomanie ; mais surtout de la faiblesse. Ecoutez-le se plaindre, sur le mode laforguien :

Ah ! que je puisse rire ! Ah ! que je me dévête
Et que je mette à nu mon cœur, mon cœur trop gros !

Ce n'est pas de dominer qu'il est avide ; ce n'est pas même d'être compris ; c'est d'être plaint, aimé, admiré, caressé…

Un enfant (il l'a écrit à M. Jacques Maritain : « J'affirme que c'est l'enfant qui m'a vu en vous. L'enfant a vu l'enfant ») un « enfant terrible », un enfant prodige, et qui voudrait être traité comme tel par le public. Il n'existe qu'en fonction de ce monstre, malgré toute sa sensibilité, toute son intelligence, tout son art, et peut-être à cause d'eux. Quand il n'amuse pas le public, ne l'étonne pas, il va cueillir des fleurs à son intention dans le jardin de nos lettres classiques, ou il pose sur ses genoux les oiseaux qu'il a attrapés au vol dans la forêt de Shakespeare, les bêtes qu'il a prises au piège dans celle d'Orphée... Voilà la merveille Raymond Radiguet, et voilà le dernier joujou J'adore, de M. Jean Desbordes…

Une telle personnalité est bien représentative d'une des formes, au moins, du nouveau « mal du siècle ». Son puéril désir de sympathie, au milieu de l'indifférence générale, est un signe pour l'observateur. Comme on se fait du mal pour punir quelqu'un de son manque de tendresse, il a fumé de l'opium, et, hier, il s'est converti…

N'est-elle pas symbolique — symbolique à la lumière de Freud — cette page du Grand Ecart où l'on voit, une nuit, deux enfants surprendre leur mère « en chemise, les cheveux épars » à la porte de leur précepteur auquel ils avaient comploté de faire une niche…?

M. Cocteau voulait jouer, et il a découvert la vie avec ses laideurs sans pouvoir se ressaisir devant elle. « Ne sois pas trop intelligent. », tel était le conseil qu'il se donnait naguère, dans un de ses poèmes. Mais ce n'est pas contre le danger de l'esprit qu'il aurait dû se mettre en garde. Il avait plus à craindre de ses nerfs que de sa pensée, de ses illusions que de sa clairvoyance. Si jeune qu'il fût encore, en 1914, sa précocité avait fait de lui un homme d'avant la guerre, et il n'a pas réussi à s'harmoniser au goût du monde chaotique que ce cataclysme a engendré. Il a eu le tort, pour mieux dire, de prendre pour un goût l'absence de goût d'un tel monde, ses engouements ou ses toquades. II a cru qu'il fallait forcer le ton, et il s'est faussé la voix. C'est bien dommage, car il était doué. La réparera-t-il dans la retraite à laquelle il prétend qu'il s'est décidé ? Je le souhaite. Mais jusque présent il n'a connu que des réussites fragmentaires. De là sa définition qui ressemble à une boutade : « Le plus grand chef-d'œuvre de la littérature n'est jamais qu'un lexique en désordre. »

Il est souvent amusant. Emouvant parfois ; parfois, aussi, profond. Si je me demande néanmoins de quoi son originalité est faite — ses meilleures métaphores me rappelant tantôt celles de M. Morand, tantôt celles de M. Giraudoux —, je suis bien obligé de reconnaître que c'est de son incohérence même ou de sa versatilité mettons de son « frégolisme »…

Acrobate, clown, illusionniste, l’ai-je qualifié au début de ces lignes. Sous l'habit noir de Gugusse, il porte aussi le joli costume bariolé d'Arlequin ; mais il garde toujours sur la tête, en signe de deuil, le chapeau de haute forme du pitre.

JOHN CHARPENTIER.

(John Charpentier, « Figures : Jean Cocteau », Mercure de France, 1er avril 1930, p. 116-118.)