Jean Gaument

Les collaborations ne sont point rares dans la littérature. Un lien fraternel donne à deux esprits, même différents, un capital d'impressions communes et cet accord intime qui reste jusqu'à la mort entre deux êtres du même sang. On le voit chez les Goncourt, chez les Tharaud. Mais quelle harmonie profonde et rare représente la collaboration durable de deux écrivains qui n'ont pas entre eux une parenté naturelle. Il y faut une jeunesse commune, les mêmes influences aux heures où les intelligences et les sensibilités s'enrichissent.

C'est de leur Normandie que Jean Gaument et Camille Cé reçurent sans doute ce lien profond que vient de rompre si tristement la mort, à cinquante-deux ans, de Jean Gaument, à Elbeuf, où il était professeur sous son vrai nom de Ferdinand Verdier. La même jeunesse au lycée de Rouen, les mêmes impressions données par les êtres et les paysages, puis la même vocation, l’enseignement resserrèrent les affinités qu'ils sentaient entre eux.

Leur vieille et vigoureuse Normandie les a marqués profondément. Dans leurs premiers livres, C’est la vie et Les Chandelles éteintes, ils ont rendu l'atmosphère de leur terroir. Ils l'ont aimé avec passion, sachant bien que la province offre au romancier le mystère de vies secrètes. Ils l'ont dit dans quelques pages où ils ont évoqué leur enfance, la cathédrale de Rouen, ses portails « rongés de lune », le vieux cimetière : « La province est pleine de petites âmes qui ont brûlé quelques instants et qui ne se sont point rallumées. Il eût suffit peut-être de la main d'un enfant pour que la flamme rejaillisse plus claire, plus belle... »

Toute leur œuvre allait d'ailleurs peindre avec un mélange de réalisme et de pitié ces vies cachées et douloureuses. Ils étaient bien du pays de Flaubert, leur maître, dont ils mettaient une phrase en épigraphe de leur premier livre et on imagine que peu de compliments leur plurent autant que ces mots d'accueil de Rémy de Gourmont : « Voici un livre que Flaubert eût aimé... »

Flaubert eût en effet aimé ces romans, La Grand'route des hommes, Largue l'amarre, Le Fils Maublanc, où Jean Gaument et Camille Cé ont montré les vies difficiles d'intellectuels riches d'ambitions mais que la vie trouve inférieurs à leurs espoirs. Il y a dans ces peintures la mélancolie des belles aurores trop tôt évanouies, la tristesse des destins manqués... Pitoyables créations. Imaginées avec la clairvoyance d'un Flaubert, mais avec plus de pitié, et qui laissent l'esprit en face du mystère de destins qui auraient pu être autres, comme le dit un grand romancier du terroir, Henri Pourrat : « Le Fils Maublanc, nous montre un homme qui est au fond ce que nous sommes tous, un Sphinx. »

(Christian Melchior-Bonnet, « Le courrier des lettres », Ouest-Eclair (éd. Orne-Sarthe-Mayenne), 21. 04. 1931, p. 4)

A consulter : Camille Cé