A propos de Lemice-Terrieux. — Auriant ne me tiendra pas rigueur, j’espère, si je précise ou rectifie quelques-uns de ses dires au sujet de Lemice-Terrieux, dans la Petite histoire littéraire du Mercure du 1er mai. J'ai beaucoup connu Paul Masson qui mélangeait si savoureusemnt la vérité à la fiction, comme dit Gœthe. On ne savait jamais avec lui à quoi s'en tenir, et ça en devenait très amusant.

C'est ainsi qu'il était bien réellement commandeur du Nicham (et non Nichon) Iftikhar, et membre correspondant de l'Académie Hippone, ce qui s'explique par le fait qu'il avait été substitut au tribunal de Tunis. Il aimait à annoncer comme prêts à paraître des livres qui ne devaient jamais voir le jour, et on peut en ajouter d'autres à ceux que cite Auriant. Paul Adam ayant pris date pour un roman, Dieu, Paul Masson annonça gravement : Dieu d'après des documents inédits, et un antimilitariste du temps ayant publié Psychologie du militaire professionnel, il fit savoir qu'il écrivait une Psychologie du civil professionnel. Par contre la Fantaisie mnémonique sur le Salon de 1890, qu'Auriant croit n'avoir jamais paru, a parfaitement vu le jour, un jour un peu de souffrance ; c'était un recueil de près de 300 pages contenant un calembour par nom de peintre ou de sculpteur, donc près de 3.000 jeux de mots : je n'en cite qu'un, comme spécimen : « On dit qu'il n'y a qu'Axilette dans votre nom ; quelle erreur ! il y en a huit ! » Au bout de quinze minutes de lecture de ces cocasseries, on était tout à fait loufoque, mais c'était le résultat que cherchait Paul Masson. — Les Pensées d'un Yoghi dont parle également Auriant ont paru sans nom d'auteur, en sorte que beaucoup de gens doivent ignorer qu'elles sont de lui. C'est un choix, parmi les innombrables qu'il a données des 300 pensées qu'il estimait les meilleures, et dont certaines sont en effet très fines. Celle-ci par exemple : « Les fonctionnaires sont comme les livres d'une bibliothèque ; les plus haut placés sont ceux dont on se sert le moins. » Quelques-unes de ces pensées étaient empruntées sans malice aux uns et aux autres, et quand Masson venait nous rejoindre au Café François-Ier du boulevard Saint-Michel, aujourd'hui disparu, où se réunissaient mes amis de l'Ermitage, il sortait à chaque instant son calepin pour y noter les calembours ou les coq-à-l'âne qui fusaient de notre joyeuse troupe, et plus il y en avait, plus il était heureux !

Il aimait aussi à noter, précurseur du Sottisier du Mercure, les âneries qu'il relevait dans les journaux et les revues, et se déclarait ainsi le fils légitime de Gaston de Flotte qui, un demi-siècle auparavant, avait réuni celles qu'il découvrait dans un volume intitulé Bévues parisiennes. Paul Masson signait Trissotin celles qu'il collectionnait dans la Plume ; Vadius était la signature d'un autre que lui, je ne sais au juste qui, et dont les commentaires ne valaient pas les siens.

Je m'arrête, car on n'en finirait plus avec ce merveilleux Lemice-Terrieux. Je lui ai consacré un chapitre dans les Souvenirs de mon Ermitage, un livre que j'ai écrit, mais que je garde jalousement dans mes tiroirs pour la délectation future des souris grignotantes. Ayant écrit Le Prix du Sourire, je donnerai ainsi à tous mes manuscrits inutilisés ce titre d'ensemble : Le Prix des Souris. — HENRI MAZEL.

(« Echos », Mercure de France, 15 mai 1938, p. 252-253.)