LES POÈMES

Marie Dauguet : Par l'amour, « Mercure de France », 3.5o. — Laurent Tailhade : Poèmes aristophanesques, « Mercure de France », 3.5o. — Fernand Gregh : Les Clartés humaines, Calmann Lévy, 3.5o. — François Porché : A chaque jour, « Cahiers de Quinzaine ».

Par l'amour. Une épigraphe de Bénigne Bossuet : « Tout est de l'amour transformé » explique le titre de Par l'amour que Mme Marie Dauguet voulut imposer à son plus récent recueil de poèmes : peut-être M. Ferdinand Brunetière se pourrait-il offenser que les paroles du pompeux et sombre évêque de Meaux paraissent autoriser un livre d'une douteuse orthodoxie, où est exaltée avec une passion sensuelle et farouche la Nature, mère de tout mal; les Pères du désert le savaient, eux qui craignaient même l'eau : car l'eau aussi engendre des images et les images sont des formes du démon. Non seulement Mme Marie Dauguet ne cherche pas à exorciser le monde, mais épiant de tous ses sens la vie universelle afin de s'y mieux résorber, elle découvre et discerne les plus subtiles, les plus insaisissables des apparences, seules réelles. M. Remy de Gourmont, dans une excellente préface, publiée ici, a très justement montré par des exemples et des citations appropriées avec quel soin elle a cultivé une sensibilité naturelle et est parvenue à percevoir les plus rares des parfums : puisqu'il n'a pas craint, à propos de ce livre, de citer Lucrèce et Virgile, il ne sera pas interdit d'ajouter que, chez les poètes helléno-latins, les images visuelles dominent et c'est à peine si les bergers alexandrins de Théocrite discernent « l'odeur d'une riche automne ». Ici c'est par les parfums, plus impérieux. qui s'imprègnent et se mêlent intimement à la chair même que la communion avec les choses se consomme le plus parfaitement et que se parfont la libération et l'épanouissement de l'être dans les choses :

O Nature, que j'ai souffert en cette geôle
Mon cœur, il me fallait l'espace où l'on s'envole,
La terre qui m'accueille au limon maternel.
Il me fallait l'oubli vaste que tu prodigues,
Calme fleuve étendu, sans berges et sans digues,
Il me fallait pour lit la douceur des lotus,
Et pour chevet l'odeur féconde et primitive
De la vase et des joues pourrissant sur la rive
Où mes tourments muets à jamais se sont tus :

Le même désir revient à maintes reprises au cours du livre ; ailleurs, c'est le songe triste qui s'endort sous « la brume des brumeuses fontaines », dans le parfum de vie et de mort de « la vase odorante » ; ailleurs, c'est l'image de l'eau souterraine qui s'impose, associée à celle de la tourbe :

O mon cœur pèlerin errant,

Dépose ton bourdon, ta gourde,
Et le manteau. Voici la tourbe
Où le ruisseau s'anéantit.

Dans la paix des choses qui meurent
Entre comme en une demeure
Mulot sous la terre blotti.

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Libéré surtout de toi- même
Sois cet inconscient poème
Au creux des serpolets velus.

L'eau de mystère et de silence
Et d'où nul sanglot ne s'élance
L'eau qui dort et ne souffre plus.

Pour s'être ainsi unie aux choses, Mme Marie Dauguet est devenue presque semblable aux plantes dociles qui acceptent sans orgueil et sans humilité l'immuable loi des printemps et des automnes ; toute sentimentalité élégiaque est absente de ce livre et la douleur même y est subie avec sérénité. Dans une transposition charmante de l'ode anacréontique l’Amour mouillé, quand le petit Erôs blesse au cœur la consolatrice, elle ne répond pas par une lâche plainte :

L'aube t'attend par la saulaie,
Adieu ; mais crois que je jouis
Du mal que tu m'as fait ; ma plaie
Comme un rosier s'épanouit ;

Au vain bonheur que je dédaigne,
Je la préfère ; sous mes pleurs
S'effeuille le rosier qui saigne,
Et que m'importe si j'en meurs !

La loyale et franche simplicité de l'œuvre est telle que l'arrangement y fait autant dire défaut ; parfois la composition des poèmes n'est pas très stricte et les idées s'y diffusent et s'y évaporent. Parfois encore, comme si elle voulait renier le plus beau don que lui firent les fées heureuses, Mme Marie Dauguet tient à montrer qu'elle a, elle aussi de la littérature ; alors ce sont des ressouvenances du jargon d'il y a quelques années :

La voile, tel un philactère
Sur parchemin cabalistique
Déroulera des caractères
Obscurément talismaniques.

Ou bien elle s'égaie au pastiche et selon son caprice reprend les rythmes et les façons de dire de Ronsard, de Mme Loïsa Puget ou de notre cher Francis Jammes, avec un sens parfait de l'imitation non parodique. Mais elle ne peut faire oublier qu'elle est elle-même, et tout à coup, dans une élégie à la mode de 1825, se trahit le même poète démasqué qui chanta les quatre admirables Cantiques à la lune :

Qui nous rendra l'odeur des roses du Bengale
Que respirait Sylvie aux jardins d'autrefois ?

Mercure de France, octobre 1904, pp. 198-201.